Voici le troisième et dernier épisode des réponses à vos questions.
Ici le premier :
Et ici le second :
Let’s go pour le troisième.
Comment communiquer
Comment peut-on entrer en communication avec les jeunes qui brûlent les écoles et les médiathèques ? Je veux dire, vraiment rentrer en communication, essayer de discuter. (En tant que femme blanche privilégiée, mais aussi maman solo d’un enfant de six ans vivant dans une ville du 93.)
Pourquoi dire ceux « qui brûlent des écoles » ? Quand ils brûlent autre chose on veut pas leur parler ?
Mais je ne redétaille pas, j’ai eu l’occasion de développer cette partie dans un email qui a été écrit après cette question :
Mais sinon, pendant les émeutes ce n’était absolument pas le moment de discuter. On peut discuter après.
D’ailleurs c’est là que va se révéler notre sincérité. Est-ce qu’on veut discuter avec eux uniquement quand on se sent menacés ? Ou alors on va discuter avec eux APRÈS ?
Si on veut discuter après alors y’a pas de secret : écouter. Faire preuve d’empathie. Ecouter pour comprendre et non écouter pour contredire.
Quand j’ai besoin de comprendre quelqu’un je me mets dans l’état d’esprit d’un journaliste qui fait une interview. Mais le genre de journaliste cool qui met l’invité·e en valeur. Ça marche toujours.
D’ailleurs c’est pour ça que c’était super facile pour moi de faire un podcast. Parce que dans ma vie j’ai déjà souvent cette posture.
Et si je n’étais pas Noir ?
Est-ce qu’il t’arrive parfois de vouloir revenir à la période où tu n’avais pas conscience d’être Noir ? D’avoir envie de t’enterrer six pieds sous terre et de laisser les gens se démerder entre eux, courir à sa perte ? D’avoir envie juste envie de vivre sans prendre part à toute cette lutte ?
Je ne crois pas. Parce que dans cette période je vivais dans un monde dur à comprendre. Par exemple, je ne comprenais pas pourquoi les mamies du 16ème arrondissement ne voulaient jamais que je les aide à porter leur sac. Je croyais que c’était parce que les mamies sont globalement de mauvaise humeur.
Et ça créait une incompréhension entre moi et les Noir·es qui étaient dans un niveau de conscience plus élevé. Je me rappelle encore l’époque où une amie m’appelait mon seul ami blanc.
Je suis mieux les yeux ouverts.
D’ailleurs, j’y repense… c’est quand je n’avais pas pleinement conscience d’être Noir que je me disais que j’aurais voulu être blanc. C’est chelou et paradoxal.
Ce qu’on ne mesure pas ne s’améliore pas
Que penses-tu des statistiques ethniques ? Le fait qu’elles soient interdites en France est-il un frein majeur à la lutte contre les bavures policières ?
Très clairement. Ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas. D’ailleurs on sait très bien le faire avec le genre : la loi de parité en politique par exemple.
L’interdiction des statistiques dites ethniques (en vrai des statistiques raciales) est un frein non seulement pour lutter contre les crimes policiers mais également pour lutter contre le racisme de manière générale.
Apprendre de ses erreurs ?
Une leçon très répandue est que faire des erreurs est une bonne chose pour évoluer, pour s’améliorer. Alors pourquoi la France a-t-elle tant de mal à reconnaître son racisme ?
Bonne question. Premièrement c’est une leçon répandue mais fausse. On n’apprend pas de l’erreur, on apprend de la difficulté. Perdre un match 15-0 ou le gagner 15-0 n’apprend rien du tout.
J’en ai parlé ici :
Deuxièmement, ça fait partie de la particularité du racisme français. Une de ses stratégies principales est de toujours dénoncer celui des autres (principalement le racisme aux USA) sans jamais voir le sien.
Parce que la France se voit comme ce pays universaliste qui a apporté la lumière des droits de l’ “Homme” au monde barbare.
Et l’amour dans tout ça ?
Comment remettre de l’amour et du respect dans notre société ?
Je ne sais pas trop comment on en est arrivé là, à ce degré de violence, de haine. Je ne sais pas non plus comment on pourrait en sortir. Aucun politique ne prendra la responsabilité de bouger (sous peine d’être jugé de racisme). Réformer la police oui, mais si les mentalités ne changent pas derrière, ça ne sert pas à grand-chose. La police est raciste, mais on a vu la violence également lors des Gilets Jaunes. Que penses-tu qu’il faudrait faire à court et moyen terme pour pérenniser les relations ?
Première étape : comprendre que ce n’est pas un problème de haine. Une partie du problème réside dans ce discours des gens du « milieu ». Le fait de ne pas comprendre que le racisme n’est pas affaire de haine.
On peut très bien être raciste et avoir une épouse noire. Comme on peut être misogyne et avoir une épouse tout court.
On peut très bien faire preuve de racisme par condescendance et paternalisme : comme quand on affirme que les Noirs dansent mieux.
Le racisme ce n’est pas la haine. Le racisme c’est un complexe de supériorité.
Voilà pourquoi quand on me parle d’une personne qui a vécu en Algérie en me disant mais tu comprends, elle a perdu une guerre donc c’est normal de haïr le camp d’en face. Je réponds toujours bizarrement la haine contre les Allemands s’est vite estompée, et même à son apogée c’était une haine qui venait d’une sensation d’infériorité, ça change tout.
L’amour n’a absolument rien à voir là-dedans. La haine non plus.
L’amour n’a JAMAIS résolu le sexisme, il ne résoudra JAMAIS le racisme.
Je ne veux pas être aimé, je veux être égal.
Comment agir en tant que personne non concernée ?
Quelle est la place des non-concernées par les violences policières et/ou le racisme et/ou les banlieues dans lutte ? Comment peuvent iels prendre la parole sans la ternir agir sans prendre toute la place ?
Je parle des personnes blanches bien entendu mais aussi des personnes racisé-es issues de famille aisés, habitant dans des quartiers calmes voir riche ou transfuges de classe. Je pose cette question car dans les milieux militants le « ne pas prendre toute la place des concernées » circulent beaucoup.
Résultat, par crainte de monopoliser le débat, certaines personnes se posent 1000 questions avant d’agir ou de relayer ou marchent sur des œufs. Ce qui est bien, ça permet des discours posé mais voilà. Que faire quand les personnes comprennent les enjeux, veulent agir et après le choc qui parfois paralysent se demandent comment faire sur la longueur.
C’est une question que beaucoup se posent à gauche. Je n’ai pas de réponse facile mais j’attire l’attention sur plusieurs points.
Premièrement j’évacue la question des personnes racisées aisées. Je suis moi-même riche et je ne vais pas m’empêcher de parler de racisme pour autant. Parce que ça n’est pas lié.
Pire encore, si les personnes qui ont le plus accès à la parole ne le font pas on se tire une balle dans le pied. On remarque d’ailleurs qu’on ne dit pas à une féministe qu’elle est riche donc qu’elle ne peut pas s’exprimer sur le féminisme.
Enfin si… on le dit… mais c’est tout aussi impertinent. Emma Watson est riche. Mais c’est bien en tant que femme qu’elle subit des vagues de harcèlement. C’est donc en tant que femme qu’elle est légitime dans le féminisme.
Deuxièmement, la notion de paroles aux personnes concernées est subtile. Il s’agit de ne pas s’accaparer la parole. C’est d’autant plus important quand on parle de sexisme car il y a toute une notion des hommes qui confisquent la parole. C’est déjà moins vrai quand on parle de racisme.
Mais, surtout, la paroles aux concernées c’est souvent quelque chose qu’on dit pour dire qu’il faut écouter avant. On critique les personnes qui sans rien avoir vécu ont l’impression de tout comprendre pour contredire les personnes en question.
Ça ne vaut pas si tu es témoin d’un événement raciste. Là, il est de ton devoir de profiter de ta position privilégiée pour le dénoncer. Pour que justement on ne puisse pas dire non mais c’est parce qu’ils sont pas blancs qu’ils disent que c’est du racisme.
Et, si tu ne sais vraiment pas quoi dire, tu peux relayer. Relayer la parole d’une personne concernée.
Merci 🙏