T'as tes règles ?
Aujourd’hui voici un email de Nastasia. Un des humains les plus intéressants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Mais surtout… une personne qui a ses règles.
C’est un sujet où elle m’a appris plein de choses, mais je ne me voyais pas t’écrire dessus alors que je ne suis pas concerné.
Quand Nastasia m’avait dit que les mecs devraient tous avoir des tampons/serviettes dans leur toilettes, au cas où… j’en avais fait un email :
Pour le coup j’étais concerné puisque c’était pour chez moi.
Bref… je parle beaucoup alors que tu as compris où je veux en venir : aujourd’hui un email sur les règles par une personne directement concernée.
T’as tes règles ?
Spoiler alert : “oui”
Cette question pue le mépris.
À chaque fois qu’un homme cisgenre me la pose, c’est quand je suis en colère.
Comme si – en tant que femme - je n’étais pas légitime à éprouver cette émotion.
Comme si – en tant que femme – mes révoltes étaient forcément hormonales.
Comme si – en tant que femme – je n’étais qu’un être régi par ses humeurs.
Et c’est assez humiliant.
Parce que ça arrive souvent dans un cadre professionnel, face à une majorité d’hommes et sous couvert d’humour. Ce qui rend toute stratégie de défense très compliquée.
Mais le pire, c’est pas ça.
Le pire c’est qu’on ne me pose JAMAIS cette question quand j’ai VRAIMENT mes règles.
Et alors, il se passe quoi quand j’ai mes règles ?
J’ai eu mes règles une semaine après ma rentrée en 6ème. J’avais donc 11 ans.
Et malheureusement, je fais partie de ces femmes pour qui la menstruation est extrêmement douloureuse.
Je dis malheureusement comme si c’était une fatalité, mais je suis convaincue que si c’était un problème d’homme on aurait déjà investi beaucoup plus pour l’arranger. Cf le scandale du spasfon.1
Alors depuis 24 ans, dix jours par mois, je souffre.
Je dis dix jours parce que j’ai mal avant et pendant les règles.
Les symptômes physiques
Je ne vais pas te détailler l’intégralité des symptômes mais en voici quelques uns :
je ne peux plus dormir correctement parce que j’ai extrêmement mal au dos, je suis donc très fatiguée,
j’ai très mal aux seins donc certains mouvement sont à proscrire,
je perds mes cheveux et j’ai des boutons,
mon système digestif ne fonctionne plus correctement,
je prends du poids,
j’ai très mal au bas du ventre. (douleur entre 7 et 8/10 selon les cycles),
et puis le plus évident : je perds du sang. Beaucoup de sang.
Je dois donc me changer toutes les heures (ou 2h en fin de cycle) pour éviter un débordement.
La nuit aussi, sauf si je sacrifie mes draps.
En plus de me fatiguer, ça demande également une logistique qui pèse sur la bande passante de mon cerveau : je dois penser à avoir des protections tout le temps et estimer correctement mon flux.
Mais le pire dans tout ça, c’est que je dois me cacher.
Les règles, même si on en parle de plus en plus, restent un tabou.
Prenons mon cas. Je suis prof au lycée. Je n’ai légalement pas le droit de quitter ma classe pour aller aux toilettes. Or, si je me mettais brusquement à saigner du nez en classe, il serait assez naturel que je quitte la pièce quelques minutes pour trouver un mouchoir. Ou au moins que je demande à l’un de mes élèves, d’aller chercher de quoi m’aider à arrêter le flux.
Et pourtant, quand j’ai mes règles, il est inenvisageable d’en faire autant. Pourquoi ?
D’abord parce que ça serait gênant. Le fait que le sang des règles coule par le sexe rend le sujet intime. Donc difficilement abordable au travail ou face à des élèves ou des clients.
Ensuite, parce que je pense que la société nous élève en nous faisant comprendre que c’est notre problème à nous les femmes. Et que si j’admets que j’ai besoin d’aide parce que mon sang déborde ou que j’ai tâché ma robe alors j’admets aussi que j’ai failli en tant que femme. Incapable de gérer mon corps. Et comme toujours – c’est sur nous que revient la honte.
Alors, je ne dis rien. J’assure le spectacle du cours.
Si mon sang coulait de n’importe quel autre partie de mon corps et que j’avais mal à ce point, on me demanderait très probablement d’arrêter immédiatement le cours et de rentrer chez moi.
Mais comme il s’agit des règles et que c’est tous les mois : je joue la comédie.
Je me tords intérieurement de douleur mais personne ne remarque que j’ai mal. 2
Je fais semblant.
Brave fille.
À tout ça, s’ajoutent les symptômes hormonaux.
Parce que oui, la question « t’as tes règles ? » aussi sexiste soit-elle, ne sort pas de nulle part.
Avant et pendant les règles, les oestrogènes et la progestérone fluctuent. Ces hormones et leur dérégulation jouent un rôle sur les sautes d’humeur, l’anxiété, les crises de larmes et même la confiance en soi.
Certaines femmes ont des déréglements hormonaux moins conséquents que d’autres et peuvent donc mieux le gérer.
Mais moi…je ne vais pas bien du tout pendant cette période. Je me sens à fleur de peau. Je suis souvent très triste. Retenir mes larmes est très difficile. C’est une sorte de brouillard. Mon regard sur moi devient extrêmement cruel et je suis très susceptible.
Le monde perd sa saveur pendant une semaine.
Tous les mois. (j’insiste)
Et pourtant, là encore, on me demande d’agir normalement.
Pas de bienveillance, pas de traitement particulier. C’est naturel donc c’est à moi de faire avec.
Tant pis pour moi, fallait pas avoir ses règles.
Alors battons-nous pour que les hommes nous demandent « T’as tes règles ? »
Pas pour nous humilier, pas pour ridiculiser nos colères.
Mais juste comme ça.
Pour que nos patrons réduisent un peu notre charge de travail ce jour-là, qu’ils nous proposent un équivalent de congé menstruel…
Pour que nos collègues soient plus attentifs à notre tristesse et prennent un peu plus soin de nous à cette période…
Pour que nos mecs nous amènent une bouillotte et prennent en charge les tâches ménagères…
Bref, pour que ça soit plus simple .
Ça me paraît pas contradictoire de souhaiter ET qu’on me demande plus « t’as tes règles ? » alors que je m’insurge ET qu’on me demande « t’as tes règles ? » pour prendre soin de moi.
Déjà parce que on comprend bien ici que l’intention n’est pas la même mais aussi parce que les combats féministes ne sont pas linéaires.
La partie du mail qui devrait pas être dans le mail mais que j’avais envie de mettre
Dans les années 70 les femmes se sont battues pour pouvoir prendre la pilule. C’était un indispensable de leur libération. Aujourd’hui, on se bat pour ne plus être obligées de prendre la pilule. Parce que les femmes ne sont fertiles que 3 jours par mois et que cette contraception assez invasive devrait être un choix et pas une injonction. Ce n’est pas contradictoire. Le combat évolue.
On s’est aussi battues longtemps pour que les femmes ne soient pas contraintes d’allaiter. Le biberon a pu être un certain soulagement et permettre à des femmes de se réapproprier leur corps. Aujourd’hui, on se bat pour que l’allaitement dans les lieux publics ne soit plus stigmatisé.
Ce n’est pas contradictoire, le combat évolue.
Je me suis battue pour qu’on ne me demande pas si j’ai mes règles parce que c’est humiliant. Ça m’empêche pas aujourd’hui de me battre pour qu’on s’en soucie.
Note : j’ai mal quand j’ai mes règles alors qu’a priori tout va bien pour moi. Une grosse pensée pour les femmes atteintes d’endométriose qui vivent l’enfer et pour qui c’est bien pire…