C’est un des aspects qui fait écho avec mon expérience en tant que Noir. Tu te rappelles de la phrase de Martin Luther King ?
Les Blancs, il faut le dire, ne sont pas soumis à la même charge mentale pour se rééduquer et se sortir de leur ignorance raciale. C’est un aspect de leur complexe de supériorité qui fait que les Blancs d’Amérique pensent qu'ils ont si peu à apprendre.
Et bien je retrouve pareil sur l’autisme. Je le dis sans jugement puisque j’ai moi-même refusé pendant longtemps de m’éduquer sur l’autisme.
Dans le groupe WhatsApp de l’Atelier (accessible aux membres premium), l’autisme a souvent été un sujet de discussion. Et bah ça fait partie des sujets que je zappais immédiatement. En me disant pas un truc qui m’intéresse.
Donc je vois très bien. Ça n’est pas ok pour autant. Nous devons faire l’effort de nous éduquer sur l’autisme car c’est la seule manière d’augmenter l’inclusivité de nos sociétés. Comment faire un Noël inclusif pour les autistes de ton entourage si tu ne sais même pas ce qu’est l’autisme ? Comment créer des espaces de travail inclusifs ?
Ne parlons même pas des entretiens de recrutement. Si le taux de chômage est plus élevé chez les autistes c’est aussi parce que pour avoir un travail il faut passer par un moment totalement excluant pour un·e autiste. On demande parlez-moi de vous, on pose des questions qui ne sont pas au premier degré comme quels sont vos défauts ?
(Ne réponds jamais au premier degré à cette question si tu veux avoir un job).
La charge doit être partagée.
Quand j’ai demandé à mon père comment c’était possible que j’ai vu un psy à 6 ans et que je sois ressorti avec le diagnostic HPI (on disait surdoué à l’époque) mais que le mot autiste n’ait jamais été ne serait-ce qu’évoqué, il m’a répondu :
Mais t’avais aucun signe, tu avais des amis.
Alors que la bonne réponse était : à l’époque on avait aucune idée de ce qu’était l’autisme.
Parce que, paradoxalement, ma mère a passé mon enfance à s’inquiéter en disant : je ne m’inquiète pas pour [soeur numéro 1], elle est super sociable elle sait se faire des amis… mais ta [soeur numéro 2] et toi…
Comme quoi même sur cette dimension super réductrice (car c’est faux, je sais me faire des amis)… y’avait bien un signe.
Pareil, je ne compte plus le nombre de fois où mes parents m’ont dit que j’étais arrogant. D’ailleurs on le dit encore de moi. Et à chaque fois ça me plonge dans une confusion totale…
Bah en fait c’est un des aspects de l’autisme : les autres nous perçoivent comme arrogant·es, brusques, impoli·es, détaché·es (ou tout ça à la fois). Je dis bien nous perçoivent.
D’ailleurs c’est fou le nombre de fois où les autistes (surtout quand ce ne sont pas des hommes cis) s’entendent dire ah mais t’as pas l’air autiste !
Alors que je vous assure que si… les autistes ont l’air autistes. C’est juste que vous savez pas ce que le mot veut dire. C’est sûr que si pour vous un autiste c’est Sheldon Cooper ou le héros de Rainman alors non y’a pas beaucoup de gens qui ont l’air autistes en effet.
C’est sûr que si pour vous un autiste c’est un “Asperger” et que ça veut dire un petit garçon ou un homme blanc qu’on montre à la télé parce qu’il est capable de faire des calculs mentaux impressionnants… bon bah ouais y’a pas beaucoup d’autistes qui ont l’air autiste, ça c’est sûr.
Le problème de la double empathie
On l’a vu, l’autisme est décrit par des médecins allistes (non-autistes) qui voient l’autisme comme un déficit au lieu de le voir comme une différence. Mais ça ne s’arrête pas aux médecins. Les allistes, en général, sont convaincu·es que les autistes ont un déficit de communication. À cause d’un déficit d’empathie de leur part.
Heureusement, les recherches récentes (2012) de Damian Milton nous ont montré qu’on avait tout faux là-dessus. Voici le résumé qu’en fait Julie Dachez dans L’autisme autrement :
Milton explique que les personnes autistes et non-autistes possèdent des cadres de référence différents pour comprendre et interpréter les interactions sociales, ce qui peut entraîner des malentendus des deux côtés. Il souligne que ces malentendus sont souvent perçus comme unilatéraux, c'est-à-dire que les non-autistes considèrent que seuls les autistes ont des difficultés de compréhension.
Cependant, Milton montre que les non-autistes ont également du mal à comprendre les autistes, ce qui crée le fameux "problème de la double empathie". Il écrit :
"Les difficultés de communication entre personnes autistes et non-autistes ne sont pas dues à un déficit chez l'un ou l'autre groupe, mais à une différence de disposition sociale, ce qui complique l'établissement d'une compréhension réciproque".
Imaginez que vous ne parliez pas un mot d'espagnol et que vous fassiez la rencontre d'un Colombien. Vous allez échanger comme vous le pourrez, avec des gestes, des sourires, peut-être l'aide de Google traduction (merci la technologie !).
Vous allez vous adapter et faire du mieux de votre côté car vous savez que la difficulté provient du fait que vous parlez deux langues différentes et avez baigné toute votre vie dans deux cultures différentes. Jamais il ne vous viendrait à l'esprit de vous dire "Dis donc, il a de grosses difficultés de communication, ce garçon !".
C'est pourtant ce que se disent les non autistes à l'égard des autistes, et ce que se dit la société toute entière à l'égard des personnes qui communiquent de façon différente (je pense également aux personnes sourdes, ou non oralisantes).
La perspective de Milton est soutenue par d'autres recherches qui ont notamment démontré qu'il peut être difficile pour les non autistes de décoder les états mentaux et les expressions faciales des autistes.1
Ça décrit tellement bien ce que je vis depuis enfant ! Des gens persuadés de comprendre mieux que moi comment je me sens… parce que l’expression de ma tête est pas la bonne.
Si c’était un déficit alors ce serait unilatéral. Par exemple, une personne qui va avoir un gros déficit intellectuel aura du mal à me comprendre, et ça vient d’elle, ça n’est pas bilatéral. Moi je n’aurais pas de mal à la comprendre.
Et surtout… si je mets deux personnes avec un déficit intellectuel ensemble, elles ne vont pas mieux se comprendre.
Or, “Les recherches de Brewer et Edey ont examiné comment les interactions entre personnes autistes sont souvent plus fluides et naturelles qu'entre autistes et non-autistes.”2
Les personnes autistes se comprennent bien entre elles. Les personnes non-autistes se comprennent bien entre elles. Il y a des difficultés de communication quand on mélange une personne autiste et une personne non-autiste : comme si on mélangeait des cultures différentes.
Encore une fois on confond l’autisme avec un trouble psychique.
À votre décharge on dit le TROUBLE du Spectre Autistique… mais on devrait pas. Comme on devrait pas dire TDAH puisqu’ils n’ont pas de DEFICIT d’attention.
J’ai déjà été atteint d’une attaque de panique. Si tu me donnes une pilule qui me garantit de ne plus jamais en avoir je signe immédiatement. Parce que c’est un trouble psychique. Idem pour la dépression. En revanche si tu me donnes une pilule pour arrêter de parler au premier degré et aimer le small talk, il faudrait me payer en milliards pour que je la prenne.
Parce que l’autisme est une condition. Il y a la condition autiste comme il y a la condition noire. Ce n’est pas une tare. Ça n’est un handicap que parce que le reste de la société refuse de s’adapter. C’est une condition minoritaire.
Si tout le monde était autiste probablement que ça fait longtemps par exemple qu’on arrêterait d’utiliser le courrier comme moyen de communication ultime pour communiquer des trucs cruciaux comme les impôts.
Un·e autiste passe son temps à faire de son maximum
Une fois j’ai eu ce débat où je disais c’est à ton proche de s’adapter car les non-autistes ne font aucun effort et ça a interpellé quelqu’un qui m’a répondu un truc du genre on peut pas dire ça, chaque personne doit faire un effort.
Je persiste et je signe : non, non et re-non.
Dire ça c’est ne pas comprendre qu’une personne autiste fait déjà son maximum. Dire : chacun doit faire un pas vers l’autre c’est oublier que la personne autiste est déjà à mi-chemin donc tu es en train de lui demander de faire 75% du chemin.
Les recherches sur le problème de la double empathie nous montre que les autistes et les non-autistes ne se comprennent pas. C’est donc mutuel. Oui sauf qu’un·e autiste a passé sa vie à communiquer avec les non-autistes.
La vérité brutale c'est que, pour une personne autiste, simplement EXISTER dans le monde est épuisant - sans parler de conserver un emploi ou d'avoir une quelconque vie sociale.3
Il est donc temps que les autres prennent leur charge de travail. Et ça commence par simplement se renseigner sur ce qu’est l’autisme (comme tu fais en lisant cet email).
D’autant plus que les autistes sont ultra-minoritaires. Ça veut dire que moi je dois faire 50% du chemin avec 99 personnes sur 100 que je rencontre. Alors qu’une personne non-autiste devra faire 50% du chemin avec 1 personne sur 100 qu’elle rencontre.
Tu vois la différence énorme ?
Même si je me mettais à faire seulement 1% du chemin, et les autres 99%… et bah au bout de 100 personne c’est moi qui aurait fait le plus d’effort ! Puisque chaque personne aura mis 99 unités d’énergie et moi j’aurais mis 1 unité, cent fois, donc 100 unités d’énergie.
Pire encore, l’adaptation faite par les autistes s’appelle le masking (mal traduit par camouflage). Et… malheureusement le masking n’est pas gratuit. Il explique pourquoi autant d’autistes sont régulièrement en dépression ou sujets aux troubles anxieux. Il est même le facteur principal pour prédire si un·e autiste va tenter de se suicider à un moment. Sachant que les autistes sont largement surreprésenté·es dans les statistiques de suicide.
Une étude suédoise publiée en 2016 conclut à un taux 7,5 fois plus élevé4
Il en va de même pour le shutdown. Quand une personne autiste fait trop de camouflage ou vit une surcharge sensorielle elle a deux options : le shutdown et le meltdown. Le meltdown c’est une forme de “crise de colère” énorme.Le shutdown c’est l’inverse : un besoin irrépressible de se replier. Ça peut être la perte temporaire de la parole, le besoin d’aller se cacher dans un endroit calme et sombre, une forme d’apathie totale comme un zombie, voire même un endormissement soudain.
Il faut parfois plusieurs jours pour récupérer à la fois de la violence mais aussi de la honte que ça génère.
Le souci c’est que la plupart des non-autistes (et des autistes non “diagnostiqué·es”) ignorent ce que c’est. On se retrouve avec des scènes invraisemblables comme celle-ci que j’ai quasiment vécu mot pour mot (alors que ce n’est pas moi qui écris) :
La plupart d'entre nous savons ce qu'il faut faire lorsque la crise s'approche rapidement : il est essentiel de s'extraire immédiatement de la source de stress et de se rendre dans un endroit avec le moins de stimuli possible – une pièce calme, par exemple, où nos niveaux de stress peuvent progressivement diminuer et où nous pouvons nous rétablir.
C'est une solution assez simple, mais il est surprenant de constater à quel point elle est rarement mise en œuvre. Trop souvent, les personnes non-autistes sont occupées à critiquer ou même à punir la personne autiste pour un comportement perçu comme problématique dans les premières phases de la crise (par exemple, quitter une pièce – une réaction extrêmement courante, mais frustrante, car bien que cela soit apparemment "impoli", c’est aussi un mécanisme automatique pour éviter l’escalade).
Trop souvent, les personnes autistes sont suivies de pièce en pièce alors qu'elles tentent d’échapper au facteur de stress, on leur crie dessus et on les challenge. Dans ces conditions, le shutdown total devient inévitable, et est même encouragé par ceux qui échouent à "lire la situation".
Les autistes doivent être autorisé·es à s'isoler pour se rétablir.5
Encourage tes proches à s’identifier autistes
Le premier truc que tu peux faire c’est déjà d’aider un·e autiste à s’identifier (s’auto-“diagnostiquer”). C’est important que tu lui expliques qu’elle peut s’identifier toute seule (ou en demandant à une autre personne autiste si vous en connaissez) plutôt que de l’envoyer vers la procédure longue et inefficace du système de santé actuel.
Pour y arriver, tu peux utiliser la liste de traits que je t’ai déjà partagées :
Tu peux également pousser la personne à regarder le premier épisode de la série Iris sur Canal+. Si elle dit un truc comme mais c’est ma vie ! Y’aura peu de doutes.
Attention je n’ai pas dit que toutes les personnes autistes vont se reconnaître dans le personne d’Iris, je dis que toutes les personnes qui se reconnaissent sont autistes.
Exceptionnellement, l’email de samedi sera gratuit et je te partagerai une autre liste de traits écrits par un psy autiste.
Et si la personne lit en anglais tu peux lui faire lire directement, au choix
Unmasked : The Ultimate Guide to ADHD, Autism and Neurodivergence - Ellie Middleton (c’est là où j’ai pris la liste des traits dans mon article)
Unmasking autism : The Power of Embracing Our Hidden Neurodiversity - Devon Price
Untypical: How the world isn’t built for autistic people and what we should all do about it - Pete Wharmby
Ou alors tu peux lire toi-même puis montrer à la personne les passages qui t’interpellent.
Je suis encore à la recherche d’un bon livre pour débuter en français. Pour l’instant je n’en connais aucun, mais je continue de chercher. Le livre que j’ai cité plusieurs fois de Julie Dachez est très bien mais pas accessibles aux débutant·es. Faut déjà savoir ce qu’est l’autisme.
En français sinon y’a les articles d’
:Bon voyage !
L’autisme autrement : rompre avec la vision médicale, embrasser la neurodiversité - Julie Dachez
Idem
Idem
Untypical: How the world isn’t built for autistic people and what we should all do about it - Pete Wharmby