On en a parlé hier : il n’y a pas la moindre raison de dévaloriser les auto-diagnostics.
Attention, je ne veux pas qu’en retour ça dévalorise les diagnostics cliniques, mais j’insiste parce que l’image de l’auto-diagnostic est vraiment mauvaise, alors que le diagnostic clinique a moins besoin que je le défende.
Ça me rappelle Wikipédia. Tu sais quand les gens disaient de manière condescendante pfff mais c’est dans Wikipédia que t’as vu ça ? Alors que très vite c’était plus fiable que n’importe quel autre encyclopédie. Ça me rendait fou.
Et puis, de toute façon, tout le monde n’a pas ce choix : le diagnostic clinique peut prendre des années. Le délai d’un diagnostic via le privé est plus rapide mais c’est des sommes de l’ordre de grandeur du millier d’euros à débourser (non remboursées).
Mais ce que je ne t’ai pas dit c’est que, le comble du comble c’est que les traits sont rédigés par des personnes non autistes. Et comme elles ne savent pas écrire de manière rigoureusement littérale… souvent c’est très flou, donc on doit en permanence déchiffrer ce qu’elle veut dire.
Ce qui donne cette situation absurde :
Une personne assise devant un·e psychiatre lors d'une évaluation diagnostique peut être à 100 % autiste, TDAH ou neurodivergente et ne quand même pas sortir avec un diagnostic. Les questions sur lesquelles cette personne autiste est jugée n'ont pas été conçues pour prendre en compte ses expériences, et elle ne marque donc pas suffisamment de "points" pour obtenir le diagnostic qu'elle mérite.
C’est fou mais ça m’étonne si peu. Ma première psy, un des premiers trucs que je lui ai dit c’est que j’aimerais qu’on fouille la piste de si je suis autiste. Surtout que j’avais lu que la psychanalyse et l’autisme faisaient un très mauvais ménage. Je ne savais pas pourquoi mais maintenant je sais : la psychanalyse adore avoir des règles implicites. Elle a fini par me virer précisément parce que j’avais respecté une règle qu’elle m’avait elle-même donné, en disant que j’étais colérique (alors que vraiment je ne ressentais aucune colère quand je lui ai fait la remarque en question).
Le sujet n’a quasiment jamais été abordé à nouveau, en quasiment un an de “thérapie”. Aujourd’hui ça me paraît dingue.
Une autre psy m’a dit avec certitude que j’avais un trouble de la personnalité borderline alors qu’aucun des symptômes ne me correspond.
Donc je le remets en gros.
Une personne assise devant un psychiatre lors d'une évaluation diagnostique peut être à 100 % autiste, TDAH ou neurodivergente et ne quand même pas sortir avec un diagnostic. Les questions sur lesquelles cette personne autiste est jugée n'ont pas été conçues pour prendre en compte ses expériences, et elle ne marque donc pas suffisamment de "points" pour obtenir le diagnostic qu'elle mérite.
Et donc c’est beaucoup plus facile et logique d’avoir un travail de traduction des traits par une personne autiste pour les personnes autistes. Heureusement, certaines personnes l’on fait.
Je vais me servir de celui d’Ellie Middleton dans Unmasked. Tout ce qui va suivre est donc une paraphrase du chapitre 3 Traduire les traits de l’autisme, de son livre.
Attention, ce n’est pas une liste qu’il faudrait cocher entièrement. Ce sont plutôt de multiples manières dont l’autisme a de prendre forme.
Trait 1 : Prendre les choses littéralement
Probablement le trait que le plus de gens connaissent. Sauf que sur le site officiel de la santé britannique, il est décrit ainsi :
prendre les choses très littéralement, par exemple ne pas comprendre le sarcasme ou des expressions comme je croise les doigts. (“Break a leg”, en VO)
NON MAIS MERCI ? Je sais que croiser les doigts ça veut juste dire qu’on souhaite bonne chance, pas qu’on doit vraiment le faire.
Alors oui, pour autant, ce genre de quiproquo est possible. Genre ma sœur un jour y’avait un tirage au sort dans un Carrefour qui disait repartez avec un caddie offert.
Et elle a demandé mais ça sert à quoi un caddie ?
Donc oui, ça peut arriver. Mais ça peut aussi ne pas arriver.
Parce que le souci n’est pas de comprendre langage non-littéral, c’est de ne pas le détecter.
À l’inverse je me reconnais beaucoup beaucoup plus dans la description qu’Ellie fait de ce trait :
j’ai énormément de mal à me remettre quand une personne ne fait pas une chose qu’elle dit.
Là je rejoins totalement et effectivement j’ai toujours trouvé ça un peu singulier chez moi. Genre vraiment j’ai déjà rompu des relations amicales parce qu’une personne n’a pas fait ce qu’elle a dit. Sans pouvoir expliquer pourquoi je trouvais ça si grave.
Je me reconnais également à fond dans la suite de sa description :
Pour moi, prendre les choses au pied de la lettre signifie exactement cela : que les mots, pour moi, sont compris dans un sens très littéral. Cela signifie que si quelqu'un me dit quelque chose, je le croirai vrai - et de la même manière, s'il ne me dit rien, je ne saurai pas que c'est vrai et je ne le supposerai pas moi-même.
Et pour le coup c’est très relaxant, je me torture rarement avec ce qu’une personne pourrait vouloir dire. En m’inventant des scénarios catastrophes (sauf en dépression).#
Trait 2 : Avoir du mal à comprendre les émotions
Là encore, dans des tests on va avoir as-tu de l’empathie ? Et le truc c’est que je suis assez certain d’avoir une énorme empathie. Je suis souvent capable de prédire le résultat des élections, ou ce que les gens ne comprennent pas quand je donne un cours.
Sauf que… je prédis assez bien les émotions et les raisonnements des autres à condition que je ne doive pas utiliser le non verbal comme info. En effet, je rate souvent des gens qui ont envie de pleurer, je ne le vois pas. Ou des signes non-verbaux d’ennui chez mon interlocuteur.
Donc en effet j’ai zéro empathie non-verbale, toute mon empathie est verbale. Si quelqu’un me donne des pistes verbales j’arrive bien à comprendre.
Trait 3 : L’anxiété sociale
Ici c’est important de la différencier de celle d’une personne non-autiste qui va avoir une prédisposition à ce symptôme dès la naissance. Ici… c’est plutôt la conséquence d’un monde qui ne s’aménage pas. Les autistes développent une anxiété sociale parce qu’on les punit souvent pour leur comportements sociaux.
Comme on le verra plus bas.
Trait 4 : Avoir du mal à se faire des amis ou préférer la solitude
Si on écoute le cliché c’est un truc à la Sheldon où on trouve tout le monde chiant, où à l’inverse ce sont les autres qui nous trouvent chiant.
Bien sûr ça peut se traduire comme ça mais là encore c’est la version stéréotypée donc c’est vraiment dur de se reconnaître.
Mais quand Ellie dit :
Les autistes ont tendance à avoir une batterie sociale plus petite que la plupart des gens parce que, dans les situations sociales (neurotypiques), nous devons prendre en compte beaucoup d'éléments supplémentaires en plus de la socialisation proprement dite. Nous devons tenir compte du ton de notre voix et déterminer si nous établissons un contact visuel suffisant ou non
Cela peut signifier que nous avons souvent besoin de passer plus de temps seul·e pour nous reposer et récupérer. Souvent, ce n'est pas que les personnes autistes préfèrent passer du temps seules, c'est plutôt qu'elles ont l'impression de ne pas avoir d'autre choix.
OKAY.
C’est subtil mais littéralement c’est pas vrai que je préfère être seul. Y’a des gens que je préfère à ma propre compagnie. MAIS en revanche il n’existe pas une seule personne au monde qui n’épuise pas ma batterie sociale. Y’a juste des gens qui l’épuisent moins vite. Mais va y avoir un moment où si je reste trop longtemps avec un autre humain je vais faire un shutdown, c’est-à-dire être plongé dans un état léthargique où je ne peux plus parler.
Ça m’arrive très rarement car je trouve ça très douloureux donc je m’enfuis très vite, avant d’avoir épuisé la batterie. Même avec la personne que j’aime le plus sur cette planète.
Trait 5 : sembler brusque, impoli·e, arrogant·e ou détaché·e sans le vouloir
J’ai eu les larmes aux yeux en lisant ce passage dans le livre d’Ellie. Alors je te le colle sans commentaire :
La plupart du temps, les personnes autistes ont un ton de voix naturellement monotone. Ce n'est pas que nous choisissons d'être brusques ou malpoli·es, ni même qu'il y ait des sentiments négatifs derrière les mots que nous prononçons ; c'est simplement la façon dont les mots sortent de notre bouche.
Cela semble si simple lorsqu'on l'écrit ainsi, mais c'est une chose sur laquelle nous sommes constamment interpellé·es, jugé·es et pour laquelle nous recevons constamment des remarques négatives. Si le volume et la fréquence des sons qui sortent de notre bouche ne changent pas beaucoup au cours d'une phrase, cela ne reflète en rien nos sentiments, notre intention ou notre humeur. C'est un aspect naturel de l'autisme.
Cela peut signifier que, même si on dit quelque chose de manière légère, cela est pris pour une insulte ou une impolitesse - sans que cela ait jamais été notre intention. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est une expérience très frustrante qui se répète constamment.
En outre, nous n’avons généralement pas des visages aussi expressifs lorsque nous parlons que celui d'autres personnes. Les expressions faciales ne sont pas toujours naturelles pour les personnes autistes, et c'est souvent quelque chose que nous essayons (et échouons souvent !) de masquer pour plaire aux gens qui nous entourent.
De nombreuses personnes autistes diagnostiquées tardivement ont en commun le fait d'avoir passé des heures et des heures, durant leur enfance, à pratiquer des expressions faciales dans le miroir : "surprise" pour ouvrir les cadeaux le matin de Noël afin de ne pas être accusé d'être ingrat·e, "joie" pour rencontrer de nouvelles personnes afin de ne pas être accusé d'être impoli, ou "tristesse" pour entendre de mauvaises nouvelles afin de ne pas être accusé d'être froid et insensible.
Le fait que notre voix et notre visage soient moins expressifs que ceux de la plupart des gens peut amener les personnes neurotypiques à penser à tort que nous sommes malpolis ou froids.
Les gens peuvent également nous percevoir (à tort) comme des personnes brutales parce que nous sommes beaucoup plus enclins à communiquer de manière concise et en utilisant chaque mot au pied de la lettre, comme nous l'avons vu plus haut dans ce chapitre. J'y fais souvent référence en disant que je n'ajoute pas de "fioritures" à mes phrases.
Par exemple, lorsqu'on lui demande de formuler une critique constructive sur un projet, une personne neurotypique peut ajouter des mots de remplissage ou contourner le sujet en disant des choses comme "Ce n'est que mon opinion, mais..." ou "Ce n'est qu'un petit détail, mais...”
Une personne autiste, en revanche, sera plus encline à aller droit au but. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une impolitesse ou d'une brutalité de notre part ; nous tenons simplement compte du fait que la communication est coûteuse en énergie pour nous et nous parlons de la manière qui nous est la plus naturelle.
Nous pouvons également être accusé·es d'être brusques ou impoli·es parce que nous sommes généralement très honnêtes. Si quelqu'un me demandait si j'aime sa nouvelle coupe de cheveux, je ne voudrais pas lui mentir ! Personnellement, je préférerais entendre la vérité moi-même, et je serais donc plus encline à partager la vérité honnête avec la personne qui me demande mon avis.
En revanche, une personne allistique, qui ne communique peut-être pas de manière aussi concise ou honnête, pourrait privilégier les sentiments de l'autre personne plutôt que la vérité et lui dire qu'elle a adoré sa coupe de cheveux, qu'elle l'ait vraiment aimée ou non.
Ça… m’épuise. Ça m’épuise tellement. Je passe tellement de temps dans ma vie à justifier que oui j’ai des émotions et non je ne dis pas ça méchamment.
Surtout que y’a un corollaire : quand je veux être méchant on ne peut pas le louper. Ça donne une communication ultra-violente du point de vue des autres.
Trait 6 : la difficulté à dire comment on se sent
Et non pas le fait de ne pas avoir d’émotions.
La difficulté à distinguer une émotion s’appelle l’alexithymie et ça touche beaucoup de gens (10 à 15% de la population) et pas uniquement les personnes autistes. Les personnes touchées (ce n’est pas mon cas) n’arrivent pas à distinguer les émotions négatives entre elles.
Elles reconnaissent juste je suis bien émotionnellement / je suis pas bien émotionnellement.
Trait 7 : avoir des routines que l’on suit
Ou des rituels. Celui ci je le trouve plutôt clair.
Trait 8 : repérer des détails, des sons, des “patterns” que les autres ne voient pas
Je ne sais pas si j’ai ce trait mais ce qui est sûr c’est que quand mon coach de prise de parole m’a caricaturé il m’a fait en train de dire :
Ok alors on va voir cette partie en 5 points, puis celle-ci en 7 points, et celle-ci en 4 points…. Et puis ok tu vois cette voiture, en fait elle appartient à une catégorie très courant qu’on va appeler la svoiture (sic)…
Mais ça peut aussi prendre la forme inverse : avoir du mal à voir le général et tout percevoir d’abord en particulier. En d’autres termes : voir les parties d’une image plutôt que l’image entière.
Trait 9 : les intérêts spécifiques
Je crois que c’est un des traits les plus connus ? Avoir des passions intenses pour des sujets.
Le plus drôle c’est que pendant longtemps je ne savais pas que je faisais ça, ce sont les autres qui me l’ont dit. Mais surtout on m’a jamais dit ça :
Il est également fréquent que les personnes autistes, en particulier celles qui n'ont pas été diagnostiquées depuis longtemps, développent des intérêts spécifique autour de la communication ou des relations, ce qui peut jouer un rôle important dans l'apprentissage d'un masque "réussi".
Ou même développer un intérêt spécifique autour de la neurodivergence ou de l'autisme lui-même. Je veux dire, regardez-moi ! Je n'ai découvert le monde de la neurodivergence qu'il y a dix-huit mois, et me voilà en train d'écrire un livre sur l'autisme et le TDAH !
Ah oui en effet. C’est même pire que ça : je ne comprends pas pourquoi tout le monde ne lit pas des tonnes de livres de psychologie sociale. Ou des livres pour apprendre à faire du small talk.
Trait 10 : un très fort sens de la justice
Ah bah… ça depuis que je suis petit. Si bien que j’étais en larmes (m’a-t-on raconté) quand j’ai découvert l’histoire de la crucifixion de Jésus pour la première fois, tellement c’était profondément injuste.
Plein d’autres traits : l’autisme est multiforme
On l’a dit au début mais c’est très important : l’autisme ne se traduit pas de la même manière chez toutes les personnes autistes. Et il y a encore plein plein d’autres traits possibles :
avoir beaucoup de mal à regarder les autres dans les yeux en leur parlant,
avoir du mal à se rendre compte qu’on a soif,
avoir un très fort ou très petit odorat,
une hypersensibilité aux sons ou à la lumière,
avoir une mauvaise thermorégulation (toujours trop chaud ou trop froid, jamais au milieu)
des déficits dans ce qu’on appelle les fonctions exécutives (c’est ça qui génère la phobie administrative par exemple),
l’incapacité à sentir qu’on a soif ou faim ou envie d’aller aux toilettes,
la tendance à remuer les mains ou d’autres parties du corps, de manière répétitive (stimming),
la dysphorie du rejet c’est-à-dire une sensation hyper forte d’abandon même quand ce n’est pas le cas
et même des trucs physiques comme le fait d’avoir des articulations super flexibles (mais la recherche en est encore à ses débuts là dessus) ou des problèmes gastro-intestinaux
Bon il faut vraiment que je lise ce livre ^^
Petite remarque/complément : sur l'empathie, je pense que j'ai une meilleure empathie intellectuelle (deviner le cheminement de pensée des autres, au point que la plupart du temps je devine la fin des phrases) qu'émotionnelle (deviner les émotions qu'ils ressentent). La distinction me semble assez importante.
Par contre j'ai une empathie émotionnelle qui peut être intense pour genre les chiens. A tel point que je suis obligé de ne pas trop m'exposer aux 1000 histoires sordides de sacs à merde qui les maltraitent.
Quand tu parles de prédire les élections, je le lierais plutôt à la reconnaissance de patterns. C'est LE trait qui me fait souvent rejeter la parole d'un média ou d'une personne, parce que j'ai commencé à repérer un pattern de red flags assez tôt. On me dit souvent que j'abuse ( ;) Blast ;) ), mais je finis généralement par avoir raison.
P.S. : Ouf que de ne pas détecter la soif soit un symptôme.