On l’a vu : nous avons tendance à surestimer notre capacité à comprendre les émotions d’autrui via le non-verbal.
Et le cinéma l’a bien compris. Si bien qu’il existe une technique qu’on appelle l’effet Koulechov.
Ça consiste à utiliser notre capacité à voir l’émotion qu’on veut de toute façon voir dans un visage pourtant impassible.
Le fait que le réalisateur Koulechov a vraiment fait l’expérience n’est pas avéré. En revanche l’effet a été mesuré dans une étude1
Voici l’expérience telle qu’on la raconte :
Selon la légende, au début des années 1920, le réalisateur soviétique Lev Koulechov aurait présenté à trois groupes de sujets un gros plan sur un acteur [adulte] au visage inexpressif, Ivan Mosjoukine, suivi d'un second plan montrant dans un cas une assiette de soupe, dans un autre un cercueil, et dans le dernier un enfant.
Les spectateurs auraient attribué une émotion différente au personnage à chaque fois, « [s'extasiant] devant l'art avec lequel Mosjoukine, exprimait la faim, la tristesse ou l'attendrissement paternel2
En d’autres termes, c’est nous qui attribuons une émotion à l’acteur, selon le plan suivant.
Si c’est un repas on dira que le visage impassible exprimait à merveille la faim,
si c’est un cercueil on dira qu’il exprimait brillamment la tristesse,
si c’est un enfant on dira que c’est vraiment une expression parfaite de l’attendrissement paternel.
En d’autres termes, nous nous servons massivement du contexte et de nos projections propres pour interpréter le non-verbal.
La variante de l’effet
En écrivant cet email je me suis demandé ce qu’en disait Wikipédia3. Est-ce que l’expérience de Koulechov avait eu lieu oui ou non. Wikipédia semble dire que y’a des chances pour que le récit soit une légende racontée par son élève Poudovkine. Mais qu’on a de fortes chances de croire qu’il y a bien eu une expérience que ce dernier a modifié dans sa mémoire.
L’expérience était l’inverse :
Koulechov a demandé à un acteur s’il y avait une énorme différence entre son jeu s’il incarne quelqu’un qui découvre une assiette de soupe ou quelqu’un qui vit son premier jour de liberté hors de prison.
L’acteur, indigné lui a répondu que c’était évident. Alors ils ont tourné les deux. Puis, Koulechov l’a projeté a des spectateurs mais en changeant à chaque fois le montage.
Résultat : c’est le montage qui gagne. Si tout ce qui vient avant et après c’est des scènes où l’homme est dans le contexte de la soupe alors peu importe qu’on insère le plan où l’acteur jouait le visage soupe ou le visage sortie de prison. Les gens voient une émotion de faim.
Si tout ce qui vient avant et après c’est des scènes où l’homme est dans le contexte de la prison, alors peu importe le plan choisi, les gens verront une émotion de libération de prison.
C’est donc l’inverse : on prend un visage expressif et on le met dans un montage pour voir ce que les gens analysent.
Mais ça revient au même : l’effet Koulechov c’est le fait que nous attribuons l’émotion de l’acteur en fonction du contexte et non pas juste sur son expression faciale.
Etude menée en 2021 par Tcherkassof et Dupré. L’article est payant et ma version de sci-hub (clin d’oeil aux gens qui me l’ont fait découvrir) est en panne. Donc je mets la vulgarisation produite par un des auteurs : https://fr.in-mind.org/fr/article/quelles-emotions-lit-on-sur-le-visage
Etes vous capable de me lire ? - Un regard sceptique sur le langage du corps