Il m'a fallu un certain temps pour comprendre que, bien que mon [autostimulation] soit une action visible, l'autisme est un état interne qui provoque des actions différentes selon les personnes. A-t-il des effets externes ? Bien sûr, dans ma façon de bouger, de parler, de réagir et de positionner mon corps.
Mais si vous m'enleviez tout cela, mon esprit resterait autiste. Quelle que soit mon apparence extérieure, je serai toujours autiste à l'intérieur. Toutefois, il s'agit là d'une façon relativement nouvelle d'envisager l'autisme.
Historiquement, dans le DSM, l'autisme a été défini par une liste de comportements. En y regardant de plus près, on s'aperçoit que la plupart de ces comportements sont des traits de caractère qu'un certain type d'esprit manifeste en situation de détresse.
(…)
Dès la naissance, l'autisme rend certaines choses agréables et d'autres difficiles. Il rend une personne plus vulnérable à certains types de souffrances, mais ne garantit pas que cela se produira.
Je pense également qu'il est utile d'avoir un terme pour désigner la manière dont ce neurotype particulier interagit avec les facteurs de stress. Le DSM parle de « troubles du spectre autistique “ (TSA), mais je préfère parler de «mal-être autistique ».
Il varie dans le temps, en fonction de l'environnement et de l'intensité des troubles concomitants. Ainsi, une personne peut remplir les conditions requises pour un diagnostic de TSA à certains moments de sa vie, mais pas à d'autres, tout en restant constamment autiste.
L'utilisation du mot « autisme » pour les deux concepts (un neurotype et sa réponse au stress) a créé beaucoup de confusion1
Ces mots d’Annie Kotowicz ont été une véritable révélation pour moi. Ça explique pourquoi j’avais autant de mal à me reconnaître autiste en lisant le DSM (le manuel référence du diagnostic psy).
Alors… on l’a déjà vu y’a plein d’autres problèmes. Notamment que le DSM est pathologisant, mal écrit au premier degré, condescendant et même proprement autistophobe.
Mais y’a aussi cette confusion entre l’autisme en tant que neurotype, culture, cerveau et ce que donne ce cerveau quand il est en état de détresse.
Parce que du coup, bien que je sois en permanence autiste, je ne suis pas toujours en état de mal-être autistique.
J’ai décidé (avec GPT) que ma traduction la plus fine serait : le syndrome de la surcharge autistique. Ou syndrome de stress autistique
On va voir ce que ça englobe mais avant ça petit avertissement.
Encore plus que pour le reste de la semaine, ce qui va suivre n’est absolument pas une liste de trucs à cocher pour être autiste ou non. Il y a des autistes qui ne vivent jamais le syndrome de la surcharge autistique.
De la même manière que tous les humains peuvent être tristes ou en désespoir, mais tous les humains ne vivent pas le trouble dépressif caractérisé.
Si tu n’as jamais vécu de dépression tu es un humain quand même. Si tu n’as jamais eu le syndrome de la surcharge autistique tu peux quand même être autiste.
La crise sensorielle
On l’a vu, il y a une sensorialité autistique. Mais ça veut aussi dire que y’a des surcharges possibles. De la même manière qu’une personne alliste (non-autiste) sera torturée par le supplice de la goutte d’eau où une goutte d’eau tombe à intervalle régulier sur le front, sur une personne attachée, dans le noir, pendant des jours.
Ou alors la torture de la musique, utilisée encore par l’armée américaine où on laisse la personne dans une pièce où la musique est à fond.
Je te raconte ça pour rappeler que toute personne peut faire une crise sensorielle. C’est juste que sensorialité différente appelle crise différente.
Moi, par exemple, j’ai été exposé cet été de manière répétée (YouTube, Twitter, Instagram, TikTok) à une image d’un mec qui avait raté une greffe de la barbe. Donc ça faisait plein de petits trous horribles sur sa peau.
La première fois que j’ai vu l’image, ça m’a énormément affecté. Puis… moins de 15 minutes après je l’ai vue une deuxième fois et là…
J’ai perdu toutes mes capacités pendant environ 24 heures.
Je ne sais pas comment te décrire ça, mais voir cette image c’est comme si on m’enfonçait un clou dans la tête. La seule raison qui fait que je ne hurle pas c’est parce que je sais que ça ne se fait pas.
Là c’est très propre à moi. D’autres autistes vont avoir ce phénomène sur des textures, des bruits, des odeurs…
Le shutdown autistique
“Un shutdown autistique se produit quand une personne autiste est tellement surstimulé·e et stressé·e, qu’elle ne peut plus gérer et traiter son environnement. C’est le pendant plus silencieux, plus intérieur d’un meltdown autistique, qui tend à impliquer davantage de larmes, d’automutilation ou d’agression externe.
Le shutdown est en gros une manière de se dissocier de l’environnement. Ça peut ressembler à s’endormir très soudainement, devenir apathique ou être genre dans les vapes.”2
“Les shutdowns peuvent impliquer une dissociation et se manifestent par les signes suivants : le retrait, le mutisme, sembler catatonique, privilégier des lieux calmes et sombres.”3
(…)
D'un seul coup, c'est comme si mon cerveau buguait, et il me faut deux ou trois jours pour récupérer. L'intensité des shutdowns varie en fonction des personnes, certaines ne sont plus capables de communiquer ni de fonctionner, d'autres peuvent parler et accomplir des tâches basiques comme cuisiner ou prendre une douche.
Il faut se rappeler que le shutdown est un mécanisme de protection du cerveau autistique. Bien sûr que c’est déstabilisant et que je suis le premier à me dire que j’aimerais vivre sans. Mais il faut se rappeler qu’on ne sait pas ce que ça donnerait sans ce mécanisme. C’est un peu comme si le cerveau avait un disjoncteur qui coupait les plombs pour pas que le système prenne carrément feu. Il vaut mieux une coupure de courant que perdre sa maison.
Pendant longtemps j’ai cru que tous les humains faisaient des shutdowns. Je croyais que c’était parce que j’étais trop en colère pour parler que je ne parlais plus.
Même si…. techniquement, l’état dans lequel j’étais après avoir vu les images de greffe de barbe ratée était également un shutdown (et donc sans colère impliquée)… mais ça m’est arrivé 2 ou 3 fois en tout dans ma vie (la fois d’avant c’était une image de vers parasites qui sortaient d’un sein).
Généralement je tombe en shutdown pendant une dispute.
Le meltdown autistique
C’est la même chose mais dirigé vers l’extérieur. J’en vis très peu. Mais c’est souvent interprété par l’extérieur comme un “tantrum”, une sorte de colère injustifiée.
Malheureusement c’est ce qui fait que beaucoup d’autistes sont vu·es comme des connards ou des connasses : parce qu’on ne comprend pas pourquoi une telle colère.
Mon analogie préférée est celle du vomi :
Lorsque de jeunes autistes sont interrogés sur leurs expériences de meltdown, ils décrivent des sensations variées dans leur corps : une vision floue ou en tunnel, une sensation de chaleur dans les joues, la respiration qui s'accélère, les épaules qui se contractent, entre autres. Ces sensations sont souvent accompagnées d'une colère intense.
Un meltdown ne peut pas être contrôlé, tel que l'explique une personne autiste : "C'est le sentiment le plus intense qui soit quand je me sens submergé. Comment décrire ça de façon polie ? C'est comme avoir besoin de vomir. Vous pensez être capable de vous en empêcher ? Qu'on le veuille ou non, le vomi insiste pour sortir. Le besoin de se purger est plus fort que les bonnes manières, que l'endroit, ou la nécessité de faire ce qui est approprié. Le corps l'emporte sur les désirs de l'esprit."
Remarque : on peut contrôler temporairement l’envie de vomir. Et ce qu’on vomit dépend aussi de ce qu’on mange. Donc, s’il est assez dur de nier que parfois Elon Musk est en plein meltdown autistique, ça n’excuse pas pour autant le contenu facho de ce qu’il dit quand il est dedans.
En revanche quand y’a pas ce type d’enjeu, ça appelle à une indulgence. Car la personne autiste elle-même est pleine de honte quand elle revient à elle. Un peu comme une gueule de bois.
L’anxiété
C’est plus dur pour moi d’en parler car j’y suis peu sujet. Mais ça touche énormément d’autistes. À force de vivre dans un monde qui n’est pas adapté on développe des troubles anxieux. Les chiffres varient d’une étude à l’autre mais on trouve ça :
Une méta-analyse parue en 2019 révèle que 27 à 42 % des adultes autistes souffrent d'anxiété4
À comparer avec 15% des adultes non-autistes. (Là aussi le chiffre varie)
Ou encore ça :
Des recherches ont montré qu’environ 29% des autistes atteignent le seuil clinique pour le trouble de l’anxiété social (Hollocks 2019), ce qui veut dire que y’a une partie non-négligeable des autistes qui ne sont pas juste “timides” mais bien qui ressentent une peur intense à l’idée d’être dans une situation sociale.5
Le burnout autistique
C’est probablement l’expression la plus violente de la surcharge autistique. Un état comparable au burnout classique où on ne peut plus faire grand chose. C’est l’état dans lequel j’étais cet été.
C’est d’ailleurs souvent un burnout autistique qui pousse une personne adulte à enfin découvrir qu’elle est autiste
Le burnout autistique est souvent confondu avec la dépression. Mais dans les deux sens du terme. D’abord au sens où du coup on ne l’identifie pas, parce qu’on se trompe et on croit observer un trait dépressif. Mais aussi parce que le burnout autistique déclenche quasiment automatiquement une dépression (98% des cas).
Il n’existe donc quasiment pas de burnout autistique sans dépression (même si on peut faire un début et s’en sortir avant).
En revanche, il y a plusieurs traits distinctifs du burnout autistique. Voici une liste non-complète6 :
La dépression engendrée est cyclique. Moi j’en faisais tous les 6 mois. J’ai même cru que j’étais bipolaire peut-être tant c’était régulier. Mais en fait c’est parce que les causes du burnout sont dans mon mode de vie. C’est toujours au début des plus grosses vacances, quand je relâche la pression d’avoir compensé toute l’année
L’isolement social guérit le burnout autistique. Alors que l’isolement social aggrave la dépression. Donc pour s’en remettre faut alterner une phase où d’abord on reste en solitude, puis ensuite seulement on revient voir du monde.
Les traits autistiques s’accentuent pendant le burnout autistique car on ne peut plus contrôler. Par exemple moi je sombre totalement dans mes intérêts à haute intensité. Je passe ma journée à ça.
Malheureusement un burnout autistique trop long peut déboucher sur ce qu’on appelle la régression autistique, c’est-à-dire la perte de capacités qu’on avait pourtant développées.
La “dysphorie de sensibilité au rejet”
On l’observe aussi chez les TDAH, c’est en gros une estime de soi qui est très atteinte dans des situations où on peut se faire rejeter. Ça peut prendre plusieurs forme
Faible estime de soi
Anxiété et gêne sociales
Accès de colère ou émotivité lors de critiques
Sensibilité excessive au rejet réel ou perçu.
Peur de l'échec et des incertitudes
La haine de soi7
MAIS le terme est contesté par des militant·es notamment Devon Price qui rappelle que normalement la dysphorie, c’est comme dans la dysphorie de genre : un décalage entre le genre que l’on sent en soit et les caractéristiques sexuelles de son corps.8
Parler de dysphorie du rejet c’est sous-entendre que les autistes et TDAH sont très susceptibles, que c’est dans leur tête.
Sauf que non. On développe ça parce qu’on a vraiment été rejeté·es pour notre autisme ou notre TDAH dans nos vies.
Sachez que les jeunes autistes sont trois fois plus susceptibles que leurs camarades non autistes d'être victimes de harcèlement et de victimisation à l'école.
La victimisation ne se limite pas à l'enfance, puisque les adultes autistes sont plus susceptibles d'en être victimes que les enfants, avec une prévalence de 66 % chez les adultes autistes contre 39 % chez les enfants et adolescents. La prévalence de victimisation chez les personnes autistes, particulièrement sous forme d'intimidation et d'abus sexuels, est donc particulièrement élevée.9
Et plein d’autres choses
La liste, en réalité pourrait se décliner à l’infini. PTSD, troubles du comportement alimentaire, alcoolisme… il y a plein de manières d’expression du syndrome de la surcharge autistique.
Annie Kotowicz - What I Mean When I Say I'm Autistic : Unpuzzling a Life on the Autism Spectrum
Devon Price - Unmasking Autism
Julie Dachez - L'autisme, autrement: Rompre avec la vision médicale, embrasser la neurodiversité
Idem
Belcher, Hannah Louise. Taking Off the Mask: Practical Exercises to Help Understand and Minimise the Effects of Autistic Camouflaging (English Edition) (p. 48). (Function). Kindle Edition.
Dr. Natalie Engelbrecht - The ultimate guide to autistic burnout
Je paraphrase et je suis encore peu suffisamment éduqué sur la question, si j’ai fait une erreur dans cette formulation je m’excuse par avance et suis preneur d’un correctif
Julie Dachez - L'autisme, autrement: Rompre avec la vision médicale, embrasser la neurodiversité
Une clef pour comprendre la différence entre un meltdown autistique et un "temper tantrum" (un caprice), c'est que lorsqu'un enfant fait un caprice (genre il hurle pour avoir un bonbon au magasin), si on résout la cause de son caprice (on lui donne le bonbon), son état émotionnel redescend immédiatement.
Un autiste en meltdown qui résout la cause (genre élimine la sur stimulation sensorielle) ne va pas avoir une amélioration immédiate de son état émotionnel. Juste ça arrête de s'empirer.