[Moi en juillet 2024] : Je ne vois pas à quoi me servirait un diagnostic de l’autisme. Imagine qu’on me dise que oui… et ensuite quoi ? Qu’est-ce que ça changera ? Sans compter que les démarches sont super longues et lourdes. Ou alors chères si on passe par le privé.
6 mois après et un « diagnostic » plus tard mon monde a changé. Je me demande même comment j’ai pu dire un truc aussi dingue.
Il est donc temps d’expliquer à Nicolas du passé pourquoi il se trompait.
Le mot “autiste” sert à rien
Alors oui, ce que je pourrais dire au Nicolas du passé c’est qu’en effet s’attribuer uniquement le mot autiste ne sert absolument à rien. Et en fait c’est ça que les gens croient quand ils disent je ne vois pas à quoi ça va servir.
Mais la réalité c’est que ce n’est pas le mot qui est important c’est le manuel entier de fonctionnement, la communauté, les stratégies de compensation…
C’est sûr que si “autiste” ça veut dire un “trouble” écrit dans un langage obscur par des personnes qui ne comprennent pas… ça sert à rien.
Ce qui sert c’est pas le mot. Le mot c’est juste l’étiquette du récipient. Ce qui compte c’est tout ce qui est dedans. Et donc il faut partir à la découverte de ce qui est dedans. Je veux dire ce qui est vraiment dedans, pas la vision clichée et fausse que tout le monde a (moi le premier avant).
Ce n’est PAS un diagnostic
Le premier truc à comprendre c’est que ce n’est pas un diagnostic. Un diagnostic c’est quand on veut évaluer une maladie. Et, par extension, les “maladies mentales” (on dit troubles psychiques aujourd’hui).
Sauf que…
L’autisme n’est pas un trouble psychique.
L’autisme ne peut pas être “guéri”. Il ne vient pas non plus d’un traumatisme de l’enfance. C’est un neurotype : une construction différente du cerveau (et non du mental).
La première conséquence c’est qu’il faut refuser la pathologisation de l’autisme. Le DSM (le manuel de référence répertoriant les troubles psys) décrit encore l’autisme comme : “un déficit de réciprocité sociale”.
En plus c’est précisé que c’est un des traits fondamentaux. C’est ce qui faisait que je me disais à chaque fois ok je me reconnais à moitié, mais vraiment pas tout à fait.
Je disais à chaque fois mais ça existe semi-autiste ? Je crois que je suis ça.
Disclaimer : non ça n’existe pas et le problème c’est que les traits sont mal écrits. Mais ça je ne le comprendrais que bien plus tard.
Je n’ai pas de déficit de réciprocité social, je n’ai pas de déficit de communication. Je ne connais d’ailleurs aucun·e autiste dans ce cas. En revanche, oui c’est vrai que les autres ne nous comprennent pas. On en reparlera.
Toujours dans le DSM on va trouver :
Intérêts extrêmement restreints et fixes, anormaux soit dans leur intensité, soit dans leur but,
Là encore… je ne me reconnais absolument pas. J’ai PLEIN d’intérêts différents. Oui c’est vrai que j’ai des formes de lubies, genre aller regarder toutes les vidéos sur star wars. Mais ce n’est pas forcément fixe. J’ai ça aussi après avoir vu un film que j’ai bien aimé. L’envie de tout connaître dessus.
Alors que quand des autistes parlent de leurs intérêts spécifiques en effet je me reconnais. Je vois qu’effectivement j’ai toujours eu des intérêts spécifiques. C’est-à-dire que j’ai des hyperfocus sur des choses surprenantes et surtout que je ne peux pas m’en empêcher. Mais surtout, là où je me reconnais dans l’expérience autistique c’est que j’en ai beaucoup beaucoup plus besoin si je vis un truc difficile. Par exemple une dépression.
On pourrait encore continuer longtemps mais ça explique pourquoi une personne autiste aura du mal à se reconnaître dans des descriptions d’allistes (les personnes non autistes) et encore moins dans des descriptions qui en font une maladie.
Mon aversion au small talk, n’est pas un trouble psychique. Je trouve juste ça stupide. Je n’ai pas de déficit, et d’ailleurs personne n’a jamais encore réussi à me démontrer l’intérêt du small talk.
Comprendre que ce n’est pas un diagnostic c’est aussi refuser le gate-keeping. Le gate-keeping c’est quand des personnes détiennent le droit de donner accès à quelque chose et qu’elles en profitent. Ici on a ça de la part du personnel médical.
La réalité c’est que beaucoup d’autistes racontent comment les médecins et autres spécialistes ont été incapables de les “diagnostiquer”.
Donc, non seulement, les médecins ont le monopole du “diagnostic” mais en plus ils sont souvent incompétents à le faire.
Ils ne savent diagnostiquer que les autistes qui posent problème à la société. Que ça soit à l’école ou au travail. Et, pour ne rien gâcher, ils ont un biais qui fait qu’ils vont diagnostiquer davantage les hommes et les blancs.
Tu me diras qu’on s’en fiche. Mais pas tout à fait car certain·es autistes ont besoin du diagnostic pour avoir par exemple la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé).
Des expériences similaires sont racontées par des personnes trans qui expliquent comment elles doivent parler à des médecins qui n’y connaissent rien, et jouer un rôle pour avoir le droit au diagnostic.
Mais ce n’est pas à un médecin de dire qui est trans, de la même manière que ça n’est pas à un médecin de dire qui est autiste. Les personnes concernées sont capables de s’identifier elles-mêmes.
La puissance de l’auto “diagnostic”
Un auto- “diagnostic” est aussi valable que celui d’un médecin moyen. Si tu n’es pas un homme blanc, je dirais même qu’en toute probabilité ton auto-identification sera plus précise et plus fine que celle d’un médecin.
C’est fondamental de pousser à l’auto-identification car c’est aussi une question de dignité : nous n’avons pas besoin des allistes (les personnes non-autistes) pour nous expliquer l’autisme.
Je répète : nous n’avons pas besoin des allistes pour nous “allixpliquer” l’autisme.
Comprendre son manuel de fonctionnement
Maintenant qu’on a posé les bases , venons à la question initiale : quoi sert le “diagnostic” ?
Et bien ça change tout. L’autisme est une culture.
C’est un peu comme si j’avais découvert à 35 ans que je venais en réalité d’une autre planète. Mais du coup, pendant toutes ses années, j’ai lu des conseils qui ne fonctionnaient pas pour moi.
Un peu comme si j’étais un Mac et que toute ma vie j’essayais de me gérer comme un PC.
Pire encore, on a oublié de m’avertir sur des choses basiques. Par exemple, beaucoup d’autistes ont une sensation de la soif beaucoup plus faible. Ça peut poser des problèmes de santé. Un des premiers conseils donné par un psy autiste que je suis dans un podcast c’est précisément de se mettre des alarmes pour boire sur son téléphone.
Quand j’ai entendu ça je me suis dit ah mais oui mais c’est sûr !
Jusqu’ici j’y aurais jamais pensé.
Ne parlons même pas de l’expérience déstabilisante du shutdown. Le shutdown c’est quand, à cause du monde extérieur inadapté, un·e autiste fait trop d’efforts pour aller contre sa “nature” et d’un coup tout son système s’éteint. Ce qui résulte en ce que les médecins appellent le mutisme sélectif.
Et à ça je ne peux que dire allez vous faire foutre, non je ne choisis pas de devenir muet …
La communauté autiste appelle plutôt ça shutdown du coup. En France certaines personnes disent repli autistique. Mais là encore on dirait un choix. Personnellement, quand je vis un shutdown, ma capacité à parler disparaît totalement, et ce n’est absolument pas un choix.
Mais ce qui est fou maintenant que j’y pense c’est que je croyais que tout le monde vivait ça. Et donc je n’avais aucune idée de comment éviter d’y arriver.
Or, maintenant je le sais, vivre trop de shutdowns peut mener à ce qu’on appelle le burnout autistique : une dépression provoquée par l’inadéquation entre le monde alliste et soi-même. Le drame c’est que chez plusieurs autistes, le burnout autistique est cyclique.
Je suis resté sur le cul quand j’ai lu deux autres autistes qui, sans se concerter, m’ont raconté que leur burnout arrivait tous les 6 mois.
Et là j’ai subitement compris pourquoi je faisais des dépression à Noël et l’été. Tous les six mois.
J’ai désormais conscience de ma batterie
Maintenant que j’ai compris le manuel, il m’arrive un phénomène très étrange : je suis devenu beaucoup plus sensible. J’ai presque l’impression de devenir autiste. Mais ce n’est pas le cas. En fait c’est comme quand on identifie un truc physique. Moi par exemple j’ai longtemps cru que j’avais un problème aux articulations de la main. Puis, un kiné m’a expliqué que non c’était bien à la nuque le souci. Ce qui est fou c’est que, depuis, dès que la douleur commence je la sens émerger de la nuque.
J’ai vécu pareil avec mes migraines. Des médecins m’ont demandé de décrire d’où ça venait, de quel côté. Je trouvais la question absurde tellement c’était toute ma tête qui trinquait. Un an après, un ophtalmologiste a trouvé que c’était en fait un problème à mon oeil droit. Et effectivement maintenant je sens précisément la douleur partir d’un endroit précis sous l’oeil droit.
Mais surtout, dans les deux cas, je suis capable de sentir plus précisément les évolutions.
Et bien c’est pareil avec l’autisme. Subitement je ressens tous les trucs qui vident ma batterie pendant une journée. Que ça soit les personnes qui me font dire des trucs que je n’ai pas dit au premier degré, ou même simplement de voir certaines textures (alors qu’avant il fallait vraiment la version hardcore de cette texture pour me déclencher).
C’est bizarre parce qu’à la fois j’ai l’impression de ne plus jamais être complètement bien dans une journée. Mais à la fois je n’ai plus l’épuisement soudain. Avant j’étais au top ou déprimé. Avant j’avais de la batterie ou j’étais en shutdown. Maintenant je suis capable de voir précisément que je suis à 44% de batterie et que c’est tel truc qui m’a fait descendre aussi vite et que donc je dois me recharger.
Résultat : j’ai une bien meilleure gestion et mes journées sont beaucoup moins épuisantes.
Hier (au moment où j’écris), j’ai dû appeler les impôts pour prendre RDV sur ma situation fiscale. Et bien maintenant que j’ai entendu d’autres autistes partager à quel point c’est dur et épuisant de faire des tâches administratives, bah là je me suis autorisé à prendre une demi-journée de pause pour m’en remettre.
Alors qu’avant j’étais juste entouré de personnes qui me disait non mais ça va, c’est juste un appel.
Ça fait tellement de bien d’avoir des gens qui me disent ouais on comprend, tout appel téléphonique est épuisant alors en plus combiné à la dimension administrative des impôts ça doit être un cauchemar. Au lieu d’avoir des rires en mode ahah c’est marrant que ça soit si dur pour toi.
Je suis davantage indulgent
Maintenant j’arrive à faire la part des choses entre : cette personne m’a fait du mal et cette personne a épuisé ma batterie autistique. Même quand son intention était de faire du mal d’ailleurs. Par exemple je me suis fait récemment hurler dessus par une personne infecte dans un RDV commercial… et bien j’ai réussi à me dire ok cette personne est une giga-connasse, mais l’état catastrophique dans lequel je suis maintenant c’est aussi parce que je suis autiste et ça ce n’est pas elle.
Pareil quand une personne va s’offusquer parce que je n’ai pas mis les bonnes formes dans un message. Avant ça me laissait juste dans un état de confusion et de frustration. C’est toujours le cas, mais au moins je peux me dire ah oui c’est une personne alliste, c’est normal qu’elle comprenne pas ce que je dis. C’est pas qu’elle est bête ou méchante, juste c’est une autre culture.
Idem pour le small talk : on m’a expliqué récemment que pour les allistes le small talk c’était comme l’infodump chez les autistes et là tout s’est éclairé. Okay en fait vous faites ça parce que vous ne pouvez pas vous en empêcher, comme moi quand je fais de l’infodump. Ça ne « sert » à rien, c’est juste ce que le cerveau enclenche. Depuis que je sais ça, je regarde le small talk avec empathie.
Le besoin de communauté
Et on arrive au point le plus important. S’identifier comme autiste permet d’aller rencontrer son peuple. J’ai découvert des personnes plus avancées que moi, qui ont des “logiciels” pour gérer tel ou tel problème classique de l’autisme.
Par exemple, quand j’ai lu un autiste qui explique que chaque fois qu’il doit planifier un événement dans le futur ça fait comme une grande masse gravitationnelle qui perturbe son présent j’ai été saisi : c’est exactement ce que je ressens. Chaque fois qu’on m’invite à un mariage ça me pèse toute l’année qui précède. Je déteste ça. C’est aussi pour ça que je refuse souvent les événements qui sont trop loin dans le futur, parce que je ne veux pas vivre ce poids sur une si longue durée.
L’autre intérêt de te connecter à la communauté autiste c’est que d’autres autistes peuvent plus facilement t’aider dans ta quête et ton acceptation. Pour arrêter de ressentir le syndrome de l’imposteur : si ça se trouve je fais semblant d’être autiste.
L’autisme décrit par des autistes
Si tu veux approfondir sur ce que veut dire l’autisme, je te partage ci-dessous une liste des traits (et non des symptômes) écrite par des autistes et qui m’a permis de comprendre pour la première fois.
Parce que, ironie du sort, un des traits de l’autisme c’est d’avoir besoin de choses écrites précisément au premier degré pour les comprendre et qu’habituellement ce sont des allistes, qui les écrivent, de manière trop imprécise.
Mais aussi parce que les allistes ont tendance à les écrire de leur point de vue et de manière méprisante et déshumanisante, ce qui fait qu’on ne s’y reconnaît pas. Je ne me reconnaîtrai jamais dans un déficit de réciprocité sociale.
Voici la liste des traits autistiques formulés par une autiste (il y a plein de versions mais déjà ça devrait te changer radicalement de ce que tu lis habituellement) :
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