La sociabilité autistique
On l’a vu hier : l’autisme est une culture. On ne peut pas dire qui est autiste ou pas avec une liste de traits à cocher. De la même manière que ça n’aurait pas de sens de dire : je ne suis pas français parce que je n’aime pas le jambon, que les escargots me font vomir et que je déteste râler.
Bien sûr qu'on peut décrire les grands piliers de la culture française mais ça ne veut pas dire que tous les français ont tous les traits. Il faut que tu me lises avec le même recul que si tu lisais quelqu’un qui décrit les français.
Cette mise en garde étant faite, il est temps d’aborder un des plus gros pilier de la culture autistique : la sociabilité autistique.
Les autistes sont à l’aise avec d’autres autistes
Si tu es autiste tu risques d’avoir plus de facilité à socialiser avec d’autres autistes. Notamment parce qu’on partage des manières de communiquer similaires.
D’ailleurs, les médecins allistes décrivent ça de manière ultra condescendante par déficit de communication.
Heureusement, le chercheur autiste Damian Milton a prouvé que le problème allait dans les deux sens : certes les autistes comprennent mal les allistes mais… les allistes comprennent mal les autistes aussi.
Et surtout les allistes se comprennent entre eux, les autistes se comprennent bien entre eux.
Dire que les autistes ont des problèmes de communication c’est comme quand on dit aux enfants dont la langue maternelle est l’arabe, qu’ils ont des problèmes de communication, parce qu’on les juge à partir du français.
Mais qu’est-ce que la communication autistique a de si différent ?
Un attachement au premier degré (mais ça veut pas dire ce que tu crois)
C’est le côté le plus caricaturé : les autistes ont tendance à préférer le premier degré.
Attention, ça ne veut pas dire que les autistes ne comprennent pas les blagues au second degré.
En revanche, ça veut dire que on ne s’attend pas à ce que y’ait une blague, on peut avoir du mal à le détecter. D’ailleurs beaucoup d’autistes font justement énormément de blagues au second degré, précisément parce qu’on trouve ça rigolo et absurde.
C’est mon cas : c’est de loin mon humour favori.
Ce n’est pas pour rien si Sheldon, aussi problématique et mal fait soit-il, est représenté comme un personne sarcastique. Ce qu’il a du mal à détecter c’est le sarcasme chez les autres.
Mais surtout… les blagues sont un détail.
Fondamentalement l’attachement au premier degré donne plutôt des personnes qui ont tendance à :
Partir du principe que ce qu’on leur dit est vrai
Avoir l’impression qu’une parole était une mini-promesse et ressentir de la déception ensuite quand on voit que c’était un peut-être ou approximativement
Avoir l’impression que les autres passent leur temps à mentir
Ça peut aussi donner des personnes qui ont un attachement profond au sens des mots du dictionnaire. Voire qui ne comprennent pas pourquoi elles sont les seules à trouver ça important de définir correctement les choses.
C’est également cet attachement au premier degré qui peut rendre la personne autiste désemparée face au small talk : à quoi sert de s’échanger des informations qui ne nous intéressent pas au premier degré ?
L’extraversion autistique est confondue avec de l’introversion
Une des manières les plus fiables que j’ai de repérer une autre personne autiste c’est quand elle me dit non mais moi je suis introverti·e/ambiverti·e/à moitié extraverti·e.
Alors que la personne est manifestement extravertie. Pour rappel l’extraversion comprend, entre autres :
L’assertivité (à quel point j’affirme mes opinions)
L’enthousiasme (à quel point je projette de l’énergie quand je parle)
La sociabilité (à quel point j’aime parler à des personnes inconnues / à quel point ça me donne de l’énergie).
Malheureusement, y’a une définition fausse de l’extraversion qui circule qui est :
à quel point tu te recharges au contact des autres ou au contraire dans la solitude ?
C’est totalement faux. Ça c’est la définition de la sociabilité.
Mais du coup ça parle souvent énormément aux autistes qui se disent ah oui bah voilà moi je suis introverti·e. En dépit de toutes les évidences.
D’ailleurs, j’ai moi-même beaucoup dit que j’étais introverti et les gens me disaient bah non ! J’ai continué jusqu’à faire un test fiable qui montrait qu’en effet j’étais dans la moyenne haute de l’extraversion.
Ce que voyait n’importe quelle personne jouant au loup-garou avec moi pendant que je crie mon innocence
Alors pourquoi les personnes autistes ont la sensation de ne pas être extraverties ? Parce que le monde n’est pas adapté à leur manière de socialiser.
Voilà quelques raisons en vrac :
Le désintérêt pour le small talk
La tendance à infodump à la place de faire du small talk, c’est-à-dire partager sans s’arrêter des infos sur un sujet qui les passionne… ce qui est mal reçu par les allistes
La difficulté à regarder dans les yeux (ou au contraire ne savoir que parler en fixant dans les yeux)
Ou alors avoir du mal avec les discussions où la “vibe” est plus importante que le contenu
J’ai d’ailleurs souvent une voix dans ma tête qui me dit mais pourquoi on est en train de parler inutilement, là ? On serait mieux à faire autre chose.
Y’a aussi des choses qui viennent de notre non-verbal. Notamment :
Certain·es autistes ont une voix monotone (ce n’est pas mon cas)
D’autres ont un visage impassible (ça c’est mon cas) sur lequel les allistes échouent à lire les émotions
Mais y’a encore plus pernicieux : tu as des autistes qui sont perçues comme extraverties et surtout très adaptables. Au point qu’on dit d’elles que se sont des caméléons. Et bien il se trouve que c’est souvent un terme qu’on associe aux femmes autistes. Parce que, bien entendu, les forces s’entremêlent, donc une personne qui a été socialisée femme a tendance à ne pas pouvoir s’offrir le luxe de paraître asociable.
C’est juste que l’autiste “caméléon” doit ensuite récupérer au calme chez elle parce que ça lui aura pris énormément d’énergie. Voire elle va récupérer dans un coin en solitude pendant l’événement social.
La difficulté à lire le non-verbal
Une des raisons pour lesquelles les autistes valorisent autant le premier degré c’est aussi à cause de la difficulté à lire le non-verbal. Ce n’est pas forcément impossible (j’y arrive) mais ça nous prend plus de temps qu’une personne alliste.
D’ailleurs, une personne alliste aussi à l’écrit a plus de mal à détecter les blagues au second degré, en l’absence d’émoji. Bah imagine ça mais appliqué dans la vraie vie.
Encore une fois ça ne concerne pas toutes les personnes autistes, rien de ce que j’écris ne concerne toutes les personnes autistes, c’est le concept d’une culture. De la même manière que y’a pas un François le français qui aurait absolument tous les traits du français.
Difficulté avec les instructions verbales
Tout est dans le titre.
Mépris pour les règles sociales
Souvent les allistes disent qu’on ne comprend pas les règles sociales. Mais c’est parce qu’iels ne savent pas s’exprimer correctement au premier degré. Bien sûr qu’on comprend. En revanche on a tendance à les mépriser et à ne pas les avoir intuitivement en nous.
Je comprends la règle sociale qui consiste à offrir des cadeaux à des gens à Noël… c’est juste que je trouve ça débile. Si je veux t’offrir un cadeau, je peux le faire quand j’ai trouvé le bon plutôt que de forcer ce jour précis et d’en faire un mauvais.
Je comprends la règle sociale consistant à retourner les questions qu’on nous pose… c’est juste que je trouve ça débile ET que je le savais pas avant l’année dernière. Je n’aurais jamais pu m’imaginer que les gens n’osant pas parler d’un sujet vont te poser la question à toi en espérant que tu la retournes. Ce serait tellement plus simple de directement parler du sujet en leur nom ?
Je comprends pourquoi les allistes font ça : parce qu’iels ont peur de dire la vérité, mais je trouve ça absurde du coup.
Pire encore, je trouve absurde à quel point la politesse est valorisée par les allistes. Au point que si une personne est un tueur en série, les voisins diront oh bah c’est dur à croire il disait bonjour à tout le monde.
MAIS QUEL EST LE RAPPORT ?
Des méchants super polis y’en a pourtant plein au cinéma.
En revanche ce qui est vrai dans “incompréhension” c’est le côté non-intuitif. Ça fait que beaucoup d’autistes vont se tourner vers des livres où on apprend la psychologie ou l’art de la conversation, pour compenser.
Une forte identité individuelle
Pour toutes ces raisons, les autistes ont tendance à être moins sensibles aux hiérarchies et à la pression d’un groupe.
Voire parfois ont un trait qui s’appelle persistent drive for autonomy.
En gros c’est un besoin d’autonomie surdéveloppé, au point que si tu me dis d’aller me brosser les dents, une partie de moi n’a plus envie de le faire.
Dans la même idée, ça peut aussi déboucher sur un code interne de la justice très développé ou des principes personnels qu’on suit vraiment.
Voire (c’est rare mais très caractéristique de la culture autistique) nous pousse à faire des vengeances un peu extrêmes pour rétablir la justice.
Le regard des allistes
On l’a dit, les allistes savent très bien qu’une personne est autiste. Alors souvent ça se sent dans leur regard. Ça peut-être des blagues parce qu’iels ne comprennent pas. Moi souvent on va se moquer parce que j’ai plein de théories ou que je veux qu’on joue à un jeu selon les règles écrites sur le papier.
Les gens qui jouent au Time’s Up sans le jeu officiel en créant des cartes sur un papier sont mon cauchemar personnel.
Mais ça, c’est moi. D’autres autistes seront moqué·es pour d’autres raisons.
D’ailleurs parfois carrément les allistes disent en pensant rire hey mais t’es autiste.
Le rejet des allistes
Je t’ai parlé des réactions moqueuses mais affectueuses. Mais il y a aussi les réactions violentes à la communication autistique. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si les autistes vivent très souvent du harcèlement scolaire.
Les allistes diront que la personne autiste est une personne, au choix :
arrogante
violente
narcissique
bête
etc
Tout ça à cause d’incompréhension de communication. Par exemple, les allistes ont tendance à voir les questions comme des tentatives de les humilier ou de les déstabiliser alors que les autistes voient les questions comme… bah… des questions (mais apparemment c’est nous les chelou·es).
Idem si la personne autiste dit la vérité quand on lui demande… ça peut dégénérer.
Je me suis beaucoup reconnu dans une scène de la série Aspergirl (que je ne te recommande pas) : l’héroïne autiste refuse de s’excuser après un quiproquo alliste-autiste.
Elle s’exclame : non je ne m’excuserai pas, je n’ai rien fait de mal.
Je me suis TELLEMENT reconnu là-dedans. Surtout que comme j’attache une grande importance au premier degré, j’ai tendance à m’excuser uniquement si je suis vraiment désolé, j’ai du mal à m’excuser juste pour rattraper une situation.
Bon… dans la série c’est très mal fait parce que le personnage est si évidemment en tort que sa réaction paraît ridicule… une des raisons pour laquelle je ne te recommande pas la série.
Sondage rapide
J’ai grave envie de faire une formation sur l’autisme… mais j’ai peur que ça soit pas rentable (en-dessous d’une vingtaine de vente ça sert à rien). Du coup petit sondage pour tâter le terrain :
Dernier rappel
J’insiste encore: ce que je viens de te décrire c’est la culture autistique telle que je la connais. Bien sûr je me suis appuyé sur plein de récits mais j’ai des angles morts. Par exemple, j’ai failli oublier la notion de caméléon car je suis un homme cis et que quand j’ai lu cette notion dans pas moins de 4 livres écrits par des femmes autistes, je l’ai zappée car elle ne me concerne pas.
Mais en parlant avec une pote autiste qui me disait je peux pas être autiste on dit que je suis un caméléon social… et en cherchant la manifestation féminine des traits autistiques je suis tombé pile sur le tableau ci-dessous… et j’ai été choqué de voir exactement ce mot de caméléon :