Wow. Je ne sais pas si un email a déjà déclenché autant de réactions. Je n’ai pas pu vous répondre, je m’en excuse : je reviens de vacances et c’est la course.
Mais, en attendant que je puisse répondre à chaque personne, voici mes réactions à vos messages.
Vis ta tristesse
J'ai vraiment été marquée par le mail de ce matin surtout le côté "il faut vivre la tristesse / l'émotion négative qui est présente". Ça change tellement des gens qui vont faire des commentaires de base du genre "pense à autre chose", "ignore ça" ou "détends-toi" (true story, un ami m'a sorti ces conneries hier soir alors que j'ai passé un des pires weekends de 2021)
Malheureusement, peu de gens s’intéressent vraiment aux mécanismes de la déprime. Beaucoup ont peur de l’émotion négative et se disent qu’il faut en sortir au plus vite.
Après… je triche un peu : j’aime bien la tristesse donc ça m’aide à ne pas dramatiser. J’en reparle plus bas.
Pourquoi je n’arrive pas à voir un psy ?
Salut
J’ai trouvé vraiment attachant et pertinent ce que tu écris là.
Ça fait du bien de le lire.
Et salue bien ta chance de ne pas avoir de méta-émotion. Moi, je n’ai que ça et mon mental me pourrit la vie.
Juste je ne comprends pas la difficulté à aller voir un psy. A trouver le bon sans doute, mais c’est pareil pour tous les praticiens finalement, non ? Je suis allée voir le premier, il y a 15 ans environ, il était nul et depuis je vois plus ou moins quelqu’un sans interruption depuis. Ma psy actuel me fait faire d’immenses progrès d’ailleurs.
Peux-tu m’expliquer tes difficultés par rapport à ça?
Bonne journée déprime
Je n’ai pas approfondi le sujet car ça mériterait une saga entière d’emails.
En effet, je suis conscient de la difficulté à trouver le bon. Autour de moi je dirais qu’il faut en essayer entre 1 et 4 avant de trouver. Souvent plus proche de 3 que de 1. J’ai même connu quelqu’un qui a rencontré une véritable charlatan. Qui a fait des déductions à partir des premières lettres de son prénom.
Mais ce n’est pas ça qui me bloque.
J’aurais du mal à dire exactement ce qui me bloque car ça fait partie du problème. Mais voici les pistes que j’ai explorées :
Piste #1 | Les Noirs font pas ça, c’est un truc de Blanc.
C’est complètement stupide mais c’est ancré. Je sais qu’on est beaucoup dans ce cas.
Le problème c’est que j’arrive à le dire aux autres, mais pas à me l’appliquer. En 2020, j’ai porté une attention très particulière à mes élèves Noirs. En leur disant à chacun·e : va voir un psy, faut arrêter avec ce truc des Noirs qui vont pas chez les psys.
Mais… j’arrive pas à me l’appliquer.
Piste #2 | J’ai l’impression que y’a trop peu de gens que je peux respecter pour ça
C’est le truc le plus ancré, je me rappelle que je me disais ça déjà à 14 ans. Je me dis que je vais partir en courant à la moindre chose que je considère comme étant une bêtise (à tout hasard, tout ce que Freud a déliré dans sa vie).
Piste #3 | Je ne veux pas voir un psy homme et je veux pas imposer mon sexisme à une psy femme
J’ai énormément de mal à voir des hommes médecins. Y’a souvent un jeu épuisant de virilité. Un jour j’ai été voir un médecin pour un problème génital. Il m’a répondu un truc avec un ton de beauf en mode “ahahah faut juste y aller mollo monsieur, mais vous allez pas vous faire opérer pour ça”.
Deux semaines après je reviens; ça s’est empiré.
Oui j’ai mis un point-virgule tout à fait au hasard. Tu vas faire quoi ?
Le mec se rappelle alors subitement qu’il est médecin et non pas un pilier du bar PMU du coin et il chuchote immédiatement “ok je vous envoie vers un spécialiste”.
Vraiment, je déteste la virilité.
Mais le souci c’est que, dans l’autre sens, j’ai bien conscience des noeuds sexistes que j’ai pas dénoués dans mes relations amoureuses.
L’idée de l’imposer à une femme psy… même si c’est son métier… me met mal à l’aise.
Piste #4 | La première fois qu’un psy est arrivé dans ma vie, le monde s’est effondré
En vrai…non. Le premier c’était pour faire un test de QI et diagnostiquer mon potentiel à sauter une ou deux classes. Après 15 jours au CP. Mais je m’en rappelle très vaguement. La seul chose dont je me rappelle c’est le test de rorschach. Sauf que je savais pas ce que c’était.
Mais la première fois que je m’en rappelle c’est quand ma mère a perdu sa mère.
Je crois que l’enfant de l’époque croit encore que c’est le psy qui a provoqué la dépression de ma mère. Alors que c’est évidemment l’inverse.
Piste #5 | Une partie de moi aime trop la tristesse pour lui dire au revoir
J’aime la tristesse. J’aime quasiment toutes les émotions d’ailleurs. La joie étant celle que j’aime le moins. J’aime bien être joyeux mais c’est genre une série sur Netflix quoi. La tristesse, la colère, c’est plutôt des grands chefs d’oeuvre du cinéma.
Du coup… je crois qu’une partie de moi à peur qu’on lui enlève ces épisodes dépressifs. Je ne parle pas ici des déprimes passagères mais vraiment des épisodes récurrents de juillet (après mon anniversaire) et de décembre (à noël). Au final ça fait partie de ce que je suis…
La dépression de juillet elle est familière.
Tu n’es pas seul, tu n’es pas seule
Bonjour Nicolas,
Merci pour ce mail. Oui merci car j'en reviens à ma petite personne, j'avoue que je suis déprimée moi aussi, ça dure un peu d'ailleurs et ma motivation est TRÈS entachée...
Pas simple quand il s'agit de manager une équipe d'autant plus lorsqu'on est une personne hypersensible.
Alors à distance (pas le choix hein), énergies et pensées transmises, juste pour se dire que cela fait du bien de savoir qu'au moins tu as une personne à qui ton message aura fait du bien.
Belle journée
C’est un axe que je n’ai pas développé dans mon email d’hier car je n’éprouve quasiment aucune émotion comparative. L’état des autres m’affecte peu. Je veux dire… que si jamais j’ai 7/20 et que je suis dégoûté de ma note, savoir que d’autres ont eu 5/20 ne va rien changer. Pareil si j’ai 16/20 et que je découvre que c’est la moins bonne note.
Je ne me suis jamais vraiment dit en voyant d’autres personnes : ça me fait déprimer parce que je vois leur avancement. Par exemple parce que tous mes amis sont en couple et pas moi.
Du coup, j’ai tendance à oublier d’explorer cet axe qui est pourtant fondamental.
Alors je me rattrape ici : tu n’es pas seul, tu n’es pas seule.
Si cette pensée peut te rassurer : tu n’es pas la seule personne à déprimer.
À chaque instant, depuis le début de l’humanité, tu as des gens qui dépriment et des gens qui sont en euphorie. Tu n’es pas un point spécial de l’univers contre qui la vie se liguerait.
Demande à tes proches, au-delà des profils Instagram. Tu verras.
Tu n’es jamais seul. Tu n’es jamais seule.
Je pensais que ce ne serait pas pour moi
Le prochain email, je vais le découper car il aborde plusieurs sujets différents.
Bonsoir Nicolas
Excellent article, franchement bravo
Quand j’ai lu les premiers paragraphes je me suis dit : cet article là ne va pas me concerner... et ben en fait si quand même...
Comme tu le dis, la période de déprime est normale, et se l'entendre dire fait du bien et paradoxalement permet de déculpabiliser...
Je suis sûr que cette personne n’était pas seule à le penser. Moi-même je me suis demandé qui ça pouvait intéresser un article sur la déprime. Mais c’est parce qu’on oublie à quel point nous sommes peu spéciaux. On traverse les mêmes choses…
T’as cette capacité à poser en concepts simples et faciles des choses qui m’ont toujours été extrêmement difficiles à analyser et comprendre ...
En vrai, ça se travaille. J’ai une formation sur le sujet, et je suis en train de la retranscrire à l’écrit parce que j’aimerais en faire un mini-livre plus facile à partager (et moins cher) qu’une formation. Je pense qu’on devrait vraiment davantage se former à la pédagogie. Beaucoup de choses que je vous dis… je ne fais que les répéter de livres que j’ai lus. Mais avec pédagogie.
Franchement si j’étais Jean-Michel Blanquer, je proposerai des interventions de personnes avec ton niveau de recul dans les lycées pour préparer les ados-futurs-adultes à la "vrai vie normale" d’adulte et pas à la course au plus gros diplôme et gestion des apparences dans le monde de l’entreprise.... enfin c’est mon avis
Ahaha c’est sûr que non. Si tu étais Jean-Michel Blanquer tu aurais plutôt appuyé sur “me désabonner”.
Plus sérieusement… on donne à l’école bien trop de choses à faire. On a des parents pour nous éduquer. Des entreprises pour nous former.
D’ailleurs, je fais remarquer que les écoles font la course aux diplômes parce que les entreprises le demandent. Je crois qu’on se trompe quand on dit que le souci vient du manque d’adaptation de l’école au marché du travail.
Je constate que pendant les trente glorieuses on prenait des gens qui avaient le bac et on les transformait en ingénieur. Aujourd’hui c’est l’inverse : on a des bac+3 qui sont caissiers et caissières. L’école n’a aucune responsabilité dans le chômage structurel de masse.
On a connu une inflation des diplômes parce que les entreprises avaient de moins en moins de places (notamment suite à l’arrivée des femmes sur le marché du travail ainsi qu’une forte natalité). Elles ont donc fait comme les propriétaires d’appartement à Paris : elles ont rajouté de plus en plus de critères. Alors que les jobs ne changeaient pas.
Voilà comment on se retrouve avec des armées de personnes qui étudient la physique nucléaire ou la chimie organique en école d’ingénieur mais qui à la fin deviennent… consultants informatiques. Parce que c’est ça qui recrute.
Bonne semaine à toi et bonne remontée à la surface du moral d’ici ce we, ce que je te souhaite....
Je suis intrigué par la mention du week-end ? Je crois bien que le week-end est plus le problème que la solution. Là ça fait un jour que je suis rentré de congé et je me sens tellement mieux ! Le travail a plutôt tendance à me stimuler.
Ps : même si ça marche pas sur tout le monde, boire 1 ou 2 canettes d’une bonne bière ça peut aussi aider à se détendre, mais chut, c’est un secret.
Ahaha c’est un secret bien gardé alors. Pour l’instant tout ce que j’ai lu porte à croire que l’alcool, comme la nourriture sucrée augmente temporairement la dopamine mais détruit des neurones… ce qui rend plutôt malheureux.
Voilà pourquoi on ne peut pas vraiment trop méditer, trop lire ou trop cuisiner. Par contre on peut trop boire d’alcool.
La thérapie par l’art
Bonjour Nicolas
Petit clin d'oeil à ton email ce matin : j'ai sous les yeux ce livre dont je n'ai pour l'instant feuilleté que quelques pages et qui propose de se consoler par les arts…
Peut-être des pistes pour les jours de déprime?
Remèdes à la mélancolie : la consolation par les arts - Eva Baster
Cordiales salutations
Merci pour le partage ! Apparemment c’est les synthèses de son podcast du même nom. Disponible sur France Inter. Je vais y jeter un oeil : les titres sont intriguants.
Aux autres que je n’ai pas cités
Merci pour tous vos retours. J’ai tout lu. Je n’ai pas pu prendre le temps de répondre je vous assure : j’ai tout lu. Parfois même en double ^^.
Je finis avec la meilleure conclusion possible. Qui vient, encore, de l’une d’entre vous. On n’aurait pas pu me faire meilleur souhait :
Je souhaite à toute personne qui en a besoin actuellement de déprimer aussi intensément qu’elle en a besoin.
S’il n’y avait pas que la « joie » comme émotion « acceptable » dans notre société (elle n’est même pas systématiquement acceptée d’ailleurs : ex. un enfant qui rigole un « peu fort ») cela faciliterait beaucoup de choses.
La thématique « déprime » a fait écho à un sujet que j’étudie en ce moment : le deuil (mort, perte...). Ne pleure pas », « t’es jeune », « calme toi », « viens, on sort » ... On croit bien faire et c’est tout le contraire, cela amplifie le mal-être.
Comprendre tout ces mécanismes, savoir que c’est pour tout le monde pareil, changent tellement de choses pour soi et les autres.
Merci pour ces articles 🔥👌🏻