Avant hier j’ai oublié le lien d’une vidéo. Vous avez été plusieurs à me la demander. La voici. C’est une conférence TED où l’orateur ne dit rien. Ce faisant, il donne une leçon sur la prise de parole.
#9 – Répéter n’est pas savoir. Répéter c’est croire. Croire n’est pas savoir.
Dans une émission lambda de télé-réalité, une candidate s’interroge. Elle se demande pourquoi on voit la Lune au Brésil alors qu’on la voit en même temps en France.
Elle postule alors qu’il y a deux lunes. Ce qui est marrant dans cette histoire ce n’est pas tant son hypothèse que les réactions. Que ce soit l’autre candidat dans la vidéo, où les gens sur les réseaux sociaux, vous avez eu une vague de moqueries.
Là où ça devient intéressant c’est que quand vous demandez aux gens d’expliquer pourquoi c’est faux, ils commencent par rire et refuser de répondre à une question si basique, si évidente. Puis vous insistez. Alors ils bredouillent des choses encore plus stupides avec un air scientifique. Ils lancent des concepts en l’air comme « décalage horaire », « la Terre est ronde », etc. Puis vous leur dites que vous n’avez toujours pas compris et là ils s’énervent (ou à l’inverse se mettent en position d’élève que l’on gronde).
Pourtant, que la Terre soit ronde (une des raisons les plus citées) c’est plutôt un argument en faveur de l’hypothèse de la candidate.Car sur une Terre plate, sans obstacles, on pourrait justement voir n’importe quel objet, à n’importe quelle hauteur. Je pourrais même voir les montagnes de France depuis le Brésil.
La réponse c’est plutôt que la Lune est très très loin. À une distance telle qu’on peut la voir depuis n’importe quel endroit de la moitié de la Terre qui lui fait face. Encore une fois, si la Terre était plate on pourrait voir la Lune de n’importe quel endroit tout court (pas juste la bonne moitié).
Accessoirement, ça demande aussi de savoir que la Lune est très grande. Si elle faisait la taille d’un avion, on ne la distinguerait plus à cette distance. Si je ne connais pas la distance et la taille de la Lune alors postuler que ce n’est pas possible n’est pas stupide. Bien au contraire : c’est une démarche scientifique. Dans cette vidéo, la personne la plus bête ce n’est pas la candidate, c’est le candidat qui ne cherche même pas à comprendre.
Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que beaucoup de gens pensent savoir quelque chose alors qu’ils ne font que le répéter. Le candidat en question ne sait pas qu’il y a une seule Lune, il le répète. Mais si vous êtes incapable d’expliquer un concept ça veut dire que vous ne le savez pas. De la même manière, beaucoup d’enseignants oublient de différencier savoir et répéter. En tant qu’enseignant ce n’est pas la candidate qui doit vous désoler, c’est la réaction du candidat.
Corollaire : il ne faut pas confondre la culture et l’intelligence. La candidate en question est inculte. En revanche sa question est plutôt intelligente. Malheureusement, je croise énormément de gens qui confondent les deux. Parmi mes collègues, Marion est une spécialiste de ça : « je me suis sentie bête parce que je ne connaissais pas le mot ». On peut être très intelligent et n’avoir aucune culture. On peut avoir beaucoup de culture et être bête. Ce n’est pas parce que vous avez appris par coeur le théorème de Pythagore que vous êtes aussi intelligent que lui.
#10 – Le modèle +=-
Tout ceci nous amène à ce point fondamental : si vous ne pouvez pas expliquer un concept c’est que vous ne le savez pas. Le modèle +=- est un modèle qui vous dit que pour apprendre quelque chose correctement vous avez besoin d’un professeur/mentor pour vous enseigner la chose. C’est le +. Ensuite il vous faut des pairs, des gens de votre niveau, avec qui vous allez discuter pour confronter les exemples, vos situations, votre compréhension du cours. C’est le =. Enfin, il faudra que vous expliquiez le concept à quelqu’un pour qui vous serez le professeur. C’est le -.
Et, en effet, tant que vous n’êtes pas passé par ces trois phases, vous n’avez pas vraiment appris. Ce qui veut dire que l’enseignement doit prendre en compte cette mécanique et encourager les élèves à discuter entre eux puis à carrément enseigner à des nouveaux. L’école 42 a fondé sa pédagogie là-dessus. Vous êtes obligé de corriger les « copies » d’autres élèves pour passer les étapes.
#11 – La simplicité est impitoyable
La simplicité ne vous pardonnera pas de la tromper. C’est une dictatrice impitoyable et sanguinaire. Vous n’avez pas le choix : pour enseigner vous devez être simple.
« Une des plus grandes règles de l’enseignement c’est qu’il faut simplifier. Si vous voulez que quelqu’un se rappelle de quelque chose il faut simplifier le message à un point où il peut comprendre l’idée de base pour ensuite progresser par lui-même. Si je veux vous enseigner les maths et que vous n’avez jamais fait de math de votre vie. Admettons que je commence par les équations différentielles, vous n’allez rien retenir, ni même rien comprendre. Par contre si je vous enseigne l’addition et comment compter vous aurez une première idée basique de ce que sont les maths. »
En fait, c’est paradoxal mais la simplicité demande un degré de maîtrise incroyable. Plus je répète le même cours et plus je le simplifie. Parce que, pour expliquer simplement quelque chose, vous avez besoin d’un niveau de compréhension très élevé. La plupart des gens qui savent me répondre instantanément qu’on voit la Lune au Brésil et en France parce que la Lune est loin et grosse, ont souvent fait des études supérieures scientifiques.
À ce titre, l’art de la punchline est une des armes les plus redoutable de l’enseignant. La punchline est une phrase coup de poing qui résume tout un concept en très peu de mots. Par exemple, je peux vous faire une dissertation pour vous expliquer le rapport entre outils et recrutement. Ou alors je peux vous dire : « Les outils ne vous sauveront pas. Ce ne sont pas les chaussures d’Usain Bolt qui le font courir à cette vitesse ». Et vous avez compris. Je peux vous expliquer le mécanisme psychologique qui fait que vous avez l’impression que les gens s’expriment majoritairement négativement sur les réseaux sociaux alors que c’est faux. Ou je peux simplement vous dire : « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Et vous avez compris.
#12 – Il faut enseigner à partir du bon début
Dit comme ça c’est trivial. Et pourtant, la plupart des enseignements que je vois pêchent à ce niveau. Les gens ne prennent pas le temps de comprendre qui est l’audience pour savoir à partir de quel niveau de connaissance il faut s’exprimer. Si vous devez expliquer le recrutement à des étudiants en finance ou à des DRH, vous devez partir d’un point différent. Rappelez-vous : les gens ne comprennent que leur propre expérience.
Du coup, le seul jargon auquel vous avez le droit est celui des gens qui vous écoutent. Comment savoir d’où partir ? Et bien, si vous avez deux heures avec des apprenants, posez leur simplement la question au début. Gardez une dizaine de minutes pour demander ce qu’ils attendent du cours.
#13 – Les experts font souvent de mauvais professeurs
Et…on en parle demain !
Faire les devoirs avec ses enfants est un excellent moyen de se rendre compte de tout cela ! J'ai intégré des automatismes (opérations de têtes par exemple) mais lorsqu'il s'agit d'expliquer à ma fille comment j'en arrive au résultat, je bafouille ou je dois me forcer à passer par le - pour retrouver le mécanisme, la logique qui m'invite à avoir la bonne réponse. C'est un bon exercice de pédagogie de devoir répondre aux questions "bêtes" de nos enfants, et ça force l'humilité ! J'ai l'impression de réapprendre.