Mangerais-tu de la viande humaine ? J’avais déjà posé la question en 2020 en ces termes :
Imaginons qu’on te propose un burger de viande humaine. Tu le manges ? Pourquoi ?
Sachant que la personne était déjà morte quand on l’a prélevé. Il n’y a donc pas eu de meurtre.
D’ailleurs ce serait intéressant de voir si ce sont encore les mêmes chiffres. Tu peux voter en cliquant ici :
Je voulais écrire un nouveau mail. Mais je relis l’email que j’avais écrit à l’époque et je ne vois pas quoi rajouter. Donc je te le remets ci-dessous :
Je n’en mangerai pas parce que je n’en mangerai pas
Parmi les gens qui ont répondu non, revient toujours à peu près la mécanique. Voici une des réponses :
non. J'hésite pour l'explication car je ne vais pas forcément utiliser les mots à bon escient : je trouve que c'est un tabou, que c'est amoral.
Si on se place d’un point de vue strictement logique, il ne s’agit pas d’un argument mais bien d’un sophisme. C’est un raisonnement circulaire.
En résumé :
Je ne dois pas manger de viande humaine parce que c’est tabou.
Or, que veut dire “tabou” ?
Tabou : Interdit d'ordre culturel et/ou religieux qui pèse sur le comportement, le langage, les mœurs
En d’autres termes : je ne dois pas manger de viande humaine parce que je ne dois pas en manger.
C’est un raisonnement circulaire.
Parfois il est un peu plus élaboré. Comme ici :
Là comme ça j'dirais non, je pense que d'ailleurs tout le monde répondra sans vraiment réfléchir, directement non, c'est normal, ça paraît assez fou et dégueulasse de faire ça. Le cannibalisme ça reste quand même très tabou dans notre société moderne et ça renvoie dans l'imaginaire collectif à des pratiques lointaines de civilisations d'un autre temps.
En plus du raisonnement circulaire on rajoute un appel à la majorité. Voire même à l’unanimité : tout le monde répondra directement non.
Alors qu’on voit bien que 4 personnes sur 15 ont répondu “oui”. C’est plus de 25%. On est loin du “tout le monde répondra non”. Et d’ailleurs même si tout le monde disait non ça ne serait quand même pas un argument.
Parfois, le raisonnement circulaire est dissimulé en complexifiant les mots :
Cannibale et anthropophage ce serait trop pour moi 😅 donc non merci 😁
Ici, on ajoute deux fois le même mot pour lui donner plus de poids. Historiquement “cannibale” est le nom qu’on donnait aux anthropophages des Caraïbes.
Et que veut dire anthropophage ? Qui mange de la viande humaine.
Donc à la question “est-ce que tu mangerais de la viande humaine” on répond :
Non car manger de la viande humaine ce serait manger de la viande humaine et manger de la viande humaine, donc ce serait trop pour moi.
Je ne fais pas cette analyse pour me moquer…j’ai fait pareil quand on m’a posé la question
En 2009, j’ai assisté à un cours d’éthique et pouvoir à l’école. Le professeur nous a présenté un texte qui définissait ce que l’auteur appelait “le spécisme”.
Quel était le raisonnement ?
Il expliquait que dans l’histoire de l’humanité on évoluait pas tant que ça en termes de moralité.
D’ailleurs l’un d’entre vous m’a justement répondu “c’est amoral”
Sa thèse c’était que la morale était relativement stable depuis des millénaires. La preuve, on s’inspire encore de la Grèce Antique pour construire nos régimes.
Qu’est-ce qui change vraiment ? Le cercle de la moral.
C’est-à-dire les êtres que l’on considère dignes de recevoir les égards de notre morale.
Voilà pourquoi la morale grecque n’est pas si différente de la nôtre à condition qu’on parle uniquement des citoyens hommes blancs.
Au fur et à mesure, on intègre d’autres êtres au cercle moral : les femmes, les homosexuels, les non-blancs, etc.
Qu’est-ce que le spécisme ?
Il déduit alors que les êtres hors du cercle de la moral en sont bannis sans raison logique. Puisque la logique est intemporelle. Elle ne varie pas avec le temps. Il faut donc trouver une manière d’exclure ces êtres de la morale.
C’est là que viennent les -ismes : racisme, sexismes, etc.
Ce sont des idéologies qui se fondent sur des arguments circulaires.
Les femmes ne votent pas, parce que ce sont des femmes. Les Noirs sont esclaves parce que ce sont des Noirs.
La particularité de ces idéologies qui excluent des êtres du cercle de la morale réside dans cette auto-référence. C’est comme ça, parce que c’est comme ça.
Il conclut que les animaux vont, un jour, rentrer dans le cercle moral.
Et il appelle l’idéologie qui les en exclut, “le spécisme”.
J’avais 20 ans. J’ai reçu ça comme une claque.
J’étais spéciste.
Je n’ai pas eu besoin du reste de la démonstration pour me l’avouer. Je n’avais aucune raison rationnelle de manger des animaux et de ne pas le faire pour des humains.
Mais le professeur a continué avec une réfutation de l’argument le plus fort du spécisme :
“Les animaux nous sont intrinsèquement inférieurs car ils sont moins intelligents”
On remarque immédiatement que les -ismes essaient toujours d’appuyer leur argumentation là-dessus.
Mais ça ne résiste pas à l’analyse.
Peux-tu manger un bébé humain ?
Avant même de commencer, on peut se dire que c’est quand même un peu faible comme argument. Surtout que le cochon est à la fois un des animaux les plus intelligents de la planète (autant que le chien) et un des animaux les plus mangés par les humains.
Mais admettons.
Dans ce cas on devrait pouvoir manger des bébés humains.
Un bébé humain c’est moins intelligent que les animaux adultes que l’on mange.
Ici on peut rétorquer qu’un bébé a le potentiel de devenir plus intelligent alors que la vache ne sera jamais plus intelligente qu’une vache.
Peux-tu manger quelqu’un dans un coma définitif ?
Mais dans ce cas pourquoi refuser de manger un humain qui aurait perdu toute intelligence, définitivement ?
C’est là qu’on reconnaît le -isme. Il va se réfugier immédiatement dans son fondement : “je ne le fais pas parce que les humains sont dans mon cercle”.
Ce qui est superbement retranscrit par une de vos réponses :
Quel est l'intérêt de manger nos congénères, quand il y a de nombreuses espèces animales à disposition ?
Remarquez le mot “intérêt”. Ici la morale a disparu : c’est nous contre eux. On défend simplement nos intérêts.
Malgré ça j’ai continué à manger de la viande pendant 6 ans
J’insiste. Je ne fais pas ça pour tourner vos réponses en ridicule. J’ai eu les mêmes. Pire encore. Bien pire encore.
Probablement qu’une partie d’entre vous ne sera pas d’accord avec cette démonstration. Et c’est votre droit. Au moins vous êtes cohérents.
Mais moi ? J’étais d’accord avec la démonstration mais j’ai continué à manger de la viande pendant 6 ans. J’étais en totale dissonance cognitive.
Il m’a fallu 6 ans avant de prendre la décision d’arrêter.
Parce que la raison ne suffit jamais. Émotionnellement il a fallu une somme d’autres basculements.
Le livre No Steak
J’ai été rapide car je voulais garder un format court. C’est normal si tu as trouvé que parfois je poussais à l’extrême. Si tu veux un argumentaire plus long, nuancé et progressif, tu vas le retrouver dans le livre No Steak d’Aymeric Caron.
Il reprend l’ensemble des arguments à la thèse “les humains arrêteront un jour de manger de la viande” et il prend le temps de tout développer.
Dans quel scénario on m'offrirait là un burger de viande humaine ?
Perso j'imagine un scénario total d'effondrement de la société. Situation désespérée, famine, aucun recours possible.
Ca nous donne une piste, que le tabou se joue à l'échelle de la société, pas de l'individu.
Les homo sapiens ont beaucoup galéré à construire des sociétés humaines à peu près stables et pas trop violentes.
Manger la viande humaine en théorie ca pourrait être un burger paisible de quelqu'un consentant avant sa mort.
Mais en vrai j'imagine plutôt des rivalités atroces à l'intérieur de la tribu qui se terminent dans une vengeance gore,
Ou des guerres inter tribus où la violence n'a pas de limites.
Le rejet du cannibalisme est une ligne rouge sur laquelle à peu près tout le monde est d'accord.
Le tabou là on peut aussi le voir comme l'expression d'un traumatisme collectif.
Des mythes racontent qu'il y a eu des moments de cannibalisme dans les sociétés humaines, que cela s'est très mal fini. On veut absolument pas que cela se répète, et pour cela on a recours à l'interdit instinctif et collectif.
Manger de la viande humaine va à l'encontre de trucs super basiques qu'on sait sur l'espèce humaines.
Enterrer ses morts, par exemple, c'est un signe anthropologique auquel on reconnait homo sapiens.
Difficile d'enterrer ses morts et de les mangers en même temps.
Encore plus important, le fait qu'homo sapiens est un animal individuellement relativement faible, lent, vulnérable. Mais par contre qui sait faire des alliances, qui soigne ses blessés.
Peut-on remettre son sort dans les mains d'alliés qui pourraient faire de ma chair un bon repas, à peu de frais ?
Je ne pense pas, il y aurait comme un conflit d'intérêt.
Et on a pas appliqué les mêmes principes aux autres espèces parce que l'enjeu pour la survie de la société humaine est incomparablement plus bas.
On peut même rajouter l'incohérence indéfendable du spécisme entre les espèces non-humaine.
Pour la grande majorité des gens, ce serait inconcevable, inhumain, de manger un chat ou un chien. Mais pour quelle raison ? Ni les questions d'intelligence, de proximité génétique, ou tout autre critère du genre ne peuvent le justifier.
Dans le thème, la vidéo de Monsieur Phi "Pourquoi nous vous mangeons" m'a fait prendre une grosse claque sur le non-sens du spécisme.