Désolé, je n’arrive pas à m’empêcher de parler de ce sujet. Ce matin j’ai reçu un email qui disait “c’est dommage de faire un article sur les mauvaises raisons de voter Le Pen mais pas sur les bonnes. On s’inscrit ici pour l’impartialité”.
Hier soir, j’ai écouté un débrief du débat que je n’ai pas regardé. Un journaliste disait on ne peut pas dire que Le Pen est d’extrême-droite, Zemmour, oui. Mais pas Le Pen.
Tout ça a redoublé ma détermination à continuer d’expliquer. Trop de gens sont perdus. Mais ce n’est pas leur faute. Aujourd’hui je vais t’expliquer d’où vient cette confusion.
Personne n’est d’extrême-droite si tu écoutes les partis
La première chose à conscientiser c’est que tu ne peux pas te fier aux étiquettes que les partis portent. En effet, plus un parti est gros et plus il te dira qu’il veut parler à tout le monde, pas juste la gauche ou la droite.
Mais y’a une catégorie de parti qui a encore plus intérêt à te cacher son étiquette : le parti d’extrême-droite.
Jamais aucun parti ne se revendique de l’extrême-droite. Si bien que si tu te fies aux partis il faudrait croire qu’il n’existe aucun parti d’extrême-droite.
Marion Maréchal Le Pen : "Zemmour n'est pas d'extrême droite, pas plus que Marine Le Pen"
Mais bien sûr…
Maintenant qu’on est d’accord qu’on ne peut pas se fier à l’étiquette que brandit le parti, on va analyser par nous-même l’idéologie du Rassemblement National.
Et c’est valable pour tous les partis, hein ? Ça fait longtemps par exemple que certains politologues affirment que le Parti Socialiste est désormais un parti de centre-droit. Le Parti Communiste Français n’a plus rien de vraiment marxiste, etc.
Un vernis de gauche bien fragile
Reprenons donc le Rassemblement National pour voir si c’est un parti ni de gauche ni de droite. Donc plus à gauche que les partis de droite.
Spoiler : un parti qui se dit ni de gauche, ni de droite est soit un parti centriste, soit un parti d’extrême-droite. On pourrait déjà s’arrêter là, mais continuons.
Dans le programme du Rassemblement National de 2022, il n’y a pas de mention du chômage, à part pour dire qu’on ne doit pas le donner aux immigrés. Idem pour le smic.
Tu as déjà vu un parti de gauche qui n’a rien à dire sur le smic ou sur le chômage ?
Ensuite, ce qu’on appelle ses mesures sociales ne sont pas des marqueurs de gauche. Par exemple, quand elle appelle à baisser la TVA sur les produits énergétiques (genre l’essence), Pécresse le propose aussi. C’est pour parler à la France des Gilets Jaunes. Or, les Gilets Jaunes ne sont pas du tout un mouvement de gauche.
D’ailleurs, si on baisse la TVA sur l’essence ça favorise les riches aussi.
Et c’est pareil pour toutes ses mesures dites sociales. Elle veut abolir l’impôt sur le revenu des moins de 30 ans. Mais qui paie l’impôt sur le revenu ? La moitié la plus riche du pays. Les pauvres ne paient pas cet impôt.
Elle veut laisser les entreprises libres d’augmenter les salaires de 10%. Ça c’est de gauche, non ? Bah non. Pécresse propose la même chose sauf qu’elle souhaite l’imposer. Donc au moins on est sûr que tout le monde en bénéficiera.
Tiens, tiens, comme par hasard elle a des mesures à chaque fois un poil plus à droite que la candidate de droite. Ce ne serait pas une bonne manière de repérer l’extrême-droite ?
Pourquoi la droite propose ça ? Parce qu’elle propose de le faire en échange d’une exonération totale des contributions patronales sur ces 10%. Ce qui revient donc à diminuer les allocations chômages et maladies en répercussions.
Donc oui, si on regarde de loin on voit des mesures sociales mais ça se craquèle vite une fois qu’on se rapproche.
Pire encore, elle a renoncé à des mesures fortes du programme de 2017 : la retraite à 60 ans, le maintien des 35 heures, l’abrogation de la loi travail. Tout ça a disparu en 2022.
Non mais quand même, c’est pas un peu de gauche ?
Oui parfois, un peu. Il reste quand même la retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé avant 20 ans.
Mais ce n’est pas une vraie conviction. Tu me diras comme tous les politiciens. Certes mais là c’est pire : l’extrême-droite dit ce qu’elle veut puisqu’elle sait que de toutes façons ensuite elle va instaurer un régime autoritaire.
Bon… tu me diras qu’au moins on peut douter… elle dit elle-même que le clivage gauche-droite est dépassé.
Et bien JUSTEMENT.
Cette stratégie s’appelle le confusionnisme. Et elle est absolument caractéristique d’une famille politique, c’est son plat signature. Cette famille ce n’est pas l’extrême-droite puisque que, comme tu le constates, Zemmour ne propose pas de trucs vaguement de gauche. Non, cette famille c’est les bonapartistes.
Les bonapartistes sont une des trois grandes familles de l’extrême-droite (avec les réactionnaires et les fascistes).
On dit bonapartisme mais avant on disait césarisme. Parce que la première personne documentée qui a utilisé cette stratégie c’est Jules César. Il a réussi à prendre une République et à en faire un empire.
Comment ? En comprenant qu’il fallait accepter de donner des gages à la gauche (les républicains au temps de César et Napoléon).
Le bonapartisme est l’évolution pokémon de l’extrême-droite réactionnaire. C’est la famille qui accepte de faire semblant de jouer au jeu de la république.
Son but est donc toujours de se faire passer pour un mouvement un peu de gauche.
Des symboles de gauche
Mais comment faire ? En effet, les bonapartistes ne sont pas des centristes. Contrairement aux centristes qui peuvent dire qu’ils sont de droite sur l’économie et de gauche sur les questions de société, les bonapartistes sont de turbo-droite sur les deux.
Pour le cacher, ils vont donc saupoudrer de symboles. C’est là qu’est leur génie : donner des petits trucs à la gauche tout en gouvernant à l’extrême-droite une fois le pouvoir obtenu. Napoléon a réussi à se faire aimer par des républicains tout en se faisant couronner empereur !
Bien entendu, certains ont vu l’arnaque, mais pas assez pour empêcher que ça arrive.
Le confusionnisme
Tu l’as compris, le bonapartisme utilise une stratégie appelée le confusionnisme. Ça consiste à dire le clivage droite gauche est dépassé.
Il le fait à chaque fois. Par exemple le général Boulanger en 1887 :
Le vrai mal provient de la séparation qui s’agrandit entre ce que d’autres appelleraient le « pays légal » – la classe politique – et le « pays réel » – le suffrage universel. C’est pourquoi l’ancien clivage gauche-droite ou républicains-monarchistes est dépassé. Boulanger est là-dessus explicite : « Ce n’est plus entre républicains et monarchistes que va s’engager la prochaine lutte électorale. Elle va s’engager entre les oligarques épris du parlementarisme d’une part, et les démocrates de l’autre
Ça te rappelle quelque chose ? Bah oui : c’est vieux comme le bonapartisme. On fait croire que le clivage gauche-droite est dépassé. Et ça fait des siècles déjà qu’on le prétend. Pour ramener des gens de gauche perdus.
Parce que c’est manière la plus simple de gagner une élection quand on est d’extrême-droite.
Le danger commun
Mais pourquoi le confusionnisme marche spécialement en ce moment ? Pourquoi on croit que c’est nouveau ?
Parce que c’est une stratégie qui fonctionne à plein régime quand il y a un danger commun perçu. C’est ce qui fait perdre la tête à la gauche.
Par exemple, en ce moment, une partie de la gauche antivax est en train de se rallier à Le Pen parce qu’elle voit le pass sanitaire comme un danger de dictature.
Les bonapartistes attendent ce genre de sensation de danger pour proposer un abri. Le Pen c’est quelqu’un qui te propose de rejoindre une maison en feu pour t’abriter de la pluie.
Et ça marche.
Le bonapartisme est donc une famille d’extrême-droite qui repose sur le fait de séduire une partie de la gauche pour gagner. C’est pour ça qu’en ce moment tout se joue sur les gens qui ont voté Mélenchon au premier tour. C’est eux qui vont être tentés de basculer. Les personnes qui ont voté Jadot et Hidalgo sont plutôt centristes. Elles ne vont donc pas se laisser berner.
Les bonapartistes essaient de jouer sur le fait que quand la gauche vit un danger, une partie va être prête à se jeter dans le vide pour peu qu’on lui dise que ça permet d’éviter le danger focalisé. Le danger ici c’est la politique de Macron qui est un traumatisme pour la gauche. C’est un vrai danger. Mais…
Peu importe que Le Pen propose la même en pire, les gens sont trop sous le coût de l’émotion pour résister au saut dans le vide. Je le dis sans jugement : ce n’est qu’au début de cette semaine que j’ai moi-même repris mes esprits.
J’allais pas voter Le Pen hein, mais je disais que fallait surtout pas voter Macron.
C’était une bêtise.
Le plébiscite
Une autre manière de reconnaître les bonapartistes c’est leur amour pour le référendum. Ce qu’on appelait le plébiscite à l’époque de César et Napoléon. Pourquoi ? Parce que ça ressemble énormément à un truc démocratique.
Alors que pas du tout. La démocratie c’est quand on délibère et on choisit. C’est pas quand on répond à la question du chef qui en plus met une question de loyauté dans la balance. C’est pour ça qu’au début d’une guerre un référendum posé par un président est quasiment toujours validé.
L’autre intérêt du référendum c’est qu’il permet de surfer sur les millions de voix pour contourner les digues. Le Pen le propose d’ailleurs : pour instaurer son régime qui n’est pas conforme à la constitution elle compte faire un référendum puis invoquer l’article 11. C’est semi-illégal, mais ça passera car elle aura la puissance des voix derrière.
Ah c’est pour ça que Le Pen met à ce point en avant son idée de référendum d’initiative citoyenne…
Astuce : que propose Le Pen pour l’avenir ?
Maintenant qu’on a établi que Le Pen était une bonapartiste, voici une astuce pour voir à travers le confusionnisme. Premièrement il faut comprendre ce qu’est la droite et la gauche et pourquoi le clivage ne disparaîtra jamais. C’est un clivage universel, c’est pour ça que même s’il a été inventé en France il a été repris dans le monde entier.
La gauche ce sont les gens qui veulent changer la société vers un état qui n’a jamais existé. La droite ce sont les gens qui veulent garder la société comme elle est où dans un passé proche. L’extrême-droite ce sont les gens qui veulent revenir à une société d’antan.
La gauche ce n’est pas le contenu de la gauche du moment. Par exemple le capitalisme a été une idée de gauche avant de s’imposer. Une idée de gauche qui s’impose devient une idée de droite. La République était une idée d’extrême-gauche. Aujourd’hui même l’extrême-droite fait semblant d’être républicaine.
En 1789 un parti républicain ça aurait été un parti qu’on appellerait un parti de wokes aujourd’hui. Un parti de gauchistes à la Poutou. Mais de nos jours, les partis qui s’appellent parti républicain sont des partis de droite.
Une fois qu’on comprend ça, c’est plus facile d’éviter les arnaques. En effet, quand les bonapartistes proposent des symboles de gauche c’est uniquement des trucs qui ont déjà existé. Le Pen propose la retraite à 60 ans parce que ça a déjà existé.
Le Pen ne propose rien pour l’avenir. Ou alors de monter le niveau de smic à un niveau inédit.
Un mouvement qui ne propose rien pour l’avenir ne peut pas être un mouvement de gauche. La gauche est nécessairement une forme de progressisme.
Pourquoi Le Pen ne pousse pas le vice jusqu’à proposer une vraie réforme de gauche ? Probablement qu’elle en est incapable : elle propose une caricature de ce qu’elle imagine être la gauche mais toujours à travers son prisme de c’était mieux avant.
Autre astuces : où s’assied-elle
Napoléon III avait poussé le vice jusqu’à siéger à l’extrême-gauche à l’Assemblée Nationale.
Le Pen ne se donne même pas cette peine. Ses partisans posent leurs fesses franchement à l’extrême-droite de l’Assemblée Nationale. Idem pour Le Pen au Parlement Européen. Elle s’assied à l’extrême-droite dans un groupe composé du Rassemblement National et d’autres partis européens :
Parti de la liberté d'Autriche
Ligue du Nord
Parti pour la liberté
Congrès de la nouvelle droite (KNP)
Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP)
Tous ces partis sans exception sont classés à l’extrême-droite.
À un moment on veut quoi comme preuve ? Le Pen propose un programme d’extrême-droite, avec une stratégie d’extrême-droite (le confusionnisme) et elle siège avec l’extrême-droite européenne.
Par exemple voici le début de la fiche Wikipédia du KNP :
Le parti défend un État minimal, à savoir la réduction de l'intervention étatique aux seules fonctions régaliennes. Il soutient la suppression de l'impôt sur le revenu et la réduction des autres taxes et impôts. Il propose de recourir aux privatisations et de réduire les dépenses publiques. Sur les questions morales et sociales, son positionnement est conservateur. Il soutient par exemple le rétablissement de la peine de mort et s'oppose au mariage homosexuel
C’est un parti de gauche, ça ?
Bref. Au risque de me répéter : il n’y a aucun doute sur l’appartenance de Le Pen à l’extrême-droite. Je dirais même plus : c’est parce qu’il y a un doute (dû au confusionnisme) qu’il n’y a pas de doute.
Bonus : le logo
Oh ? Bah c’est quoi cette copie du logo du FN ?
En réalité c’est l’inverse, c’est le FN qui a pris le logo du MSI. D’ailleurs, la veuve du fondateur du MSI a croisé Marine Le Pen en 2011 :
En octobre 2011, venue présenter son livre en Italie Marine Le Pen retrouve Assunta Alimirante, veuve de Giorgio, qui se fait un plaisir de rappeler ce fait historique à la présidente du FN:
"J'aimerais dire un mot à mon amie que je connais depuis des années, je vous rappelle que le Front National a vu le jour avec Jean-Marie Le Pen et Giorgio Almirante"."Vous savez qu'on vous a donné notre symbole"
"Vous avez conservé la flamme", avait appuyé un autre participant.
À la fois émue et gênée Marine Le Pen se fend d'une bise et rassure Assunta, "on vous l'a empruntée, on a soufflé dessus, pour l'entretenir”
Et c’est quoi le MSI ? Voyons sa page wikipédia…
Le Mouvement social italien (en italien, Movimento sociale italiano, abrégé en MSI) était un parti politique néofasciste italien, fondé le 26 décembre 1946 après la chute de la République sociale italienne et l'interdiction du Parti national fasciste par le gouvernement provisoire et les Alliés.
MDR.
C’est littéralement le parti fasciste originel. Ou plutôt ce qu’il est devenu quand il a été interdit à la fin de la guerre. Et Marine Le Pen en dit “on a entretenu la flamme”.
Je sais pas quoi rajouter.
Le Pen propose un programme d’extrême-droite, avec une stratégie d’extrême-droite (le confusionnisme), elle siège avec l’extrême-droite européenne et le logo de son parti est celui du parti fasciste.
D'après les historiennes, la flamme italienne "symbolise une affiliation à une certaine mystique fasciste. Elle enjoint à la fidélité au passé et projette vers l'avenir". Plus précisément, le socle de la flamme représente "la tombe de Mussolini à Predappio, renaissant éternellement".
Pour aller plus loin
Une analyse de l’idéologie du Rassemblement National et notamment comment la famille bonapartiste l’a emporté sur la famille réactionnaire quand Marine a évincé son père :
Pour savoir qui est d'extrême-droite en ce moment, il y a aussi en ce moment une heuristique très simple : cette personne est-elle oui ou non dans l'internationale des nationalistes façonnée depuis 20 ans par Poutine ? Ça permet d'identifier sans problème comme étant d'extrême droite le FN, Zemmour, UKIP, Orban, Bolsonaro, Trump, ...
Et non ça ne concerne pas Mélenchon dont la position sur la guerre d'Ukraine était certes merdique, mais pour d'autres raisons (confusion entre guerres inter-impérialistes type 1ère guerre mondiale et guerre idéologique type seconde guerre mondiale).
En vrai, quelqu'un qui est inscrit à ta liste et qui dit "ohlala t'as pas parlé des bonnes raisons de voter Le Pen", ya deux solutions :
- c'est un énorme teubé. Genre tu passes ta vie à parler de questions de racisme, c'est impossible de ne pas voir que Le Pen est d'extrême-droite si on te lit un minimum quand même.
- c'est quelqu'un d'extrême-droite qui ne veut pas l'admettre.
En plus d'où "on s'inscrit pour l'impartialité" ? 😂 Toujours ce même mot utilisé à la place de "surtout ne jamais crier même si le mec en face fait Sig Heil".