Paul Ekman : le plus solide des experts du non-verbal
Tu te rappelles quand je te disais que si la faculté de lire le non-verbal existait, le FBI ou la CIA paieraient cher pour l’avoir ?
Et bah il se trouve que la DARPA (la branche scientifique de l’armée américaine) a financé massivement un chercheur : Paul Ekman.
L’idée originale
J’ai moi-même lu les livres d’Ekman avec grand intérêt. Notamment parce qu’il a inspiré la série Lie to me où un expert en détection du mensonge (Cal Lightman) mène des enquêtes.
On est dans les années 60 et Ekman se pose une question : les émotions sont-elles universelles ?
Il observe que les athlètes aveugles qui participent aux épreuves de jeux olympiques affichent des sourires de joie, des larmes de tristesse, etc. Ça fait un premier argument en faveur de l’idée que l’expression des émotions n’est pas uniquement apprise.
Il continue en se demandant si ça dépend des pays. On a l’image par exemple des chinois qui vont moins exprimer leurs émotions. Mais n’est-ce pas l’inverse ? N’est-ce pas parce que la culture leur apprend à réprimer l’expression d’une émotion qu’ils éprouvent néanmoins ?
Pour en avoir le coeur net il se rend dans une tribu qui n’a jamais eu de contact avec l’Occident. Il leur montre des photographies d’émotions pour voir s’ils les reconnaissent. Il finit par établir 7 (finalement 6) émotions universelles :
La peur, la colère, la tristesse, le dégoût, la surprise, la joie et le mépris (la 7ème qu’il admettra vite comme étant contestable).
La découverte des micro-expressions
C’est la découverte la plus célèbre d’Ekman et celle qui m’a le plus fasciné : nous exprimerions toujours des micro-expressions. En voulant réprimer l’expression de nos émotions, nous laissons échapper soit l’expression fugace, soit un tout petit bout de l’expression.
Par exemple, si je cherche à dissimuler ma joie (mettons parce que je suis content de voir que l’on croit à mon mensonge), je vais avoir soit un sourire d’une microseconde, soit un petit bout du sourire qui perce pendant quelques secondes.
Mais déjà, même Ekman conclut qu’il est impossible de les voir sans entraînement.
Il explique que nous sommes mauvais à mentir car nous avons ces micro-expressions mais que nous sommes encore plus mauvais à lire le mensonge.
Par conséquent, nous échouons le plus souvent.
La machine va nous aider
Il crée donc un système pour encoder les émotions en se servant des muscles du visage. Il attribue un identifiant à chaque muscle et à chaque mouvement, par exemple :
Un “faux sourire” de joie, c’est-à-dire un sourire affiché sans ressenti de plaisir véritable, n’active que l’étirement du coin des lèves (AU12), tandis qu’un sourire authentique, ou “sourire de Duchenne” provoque également un plissement des yeux (AU6) visible à l’apparition de “pattes d’oie”.1
AU12 et AU6 sont des identifiants de son système. C’est une sorte de grand dictionnaire des expressions faciales.
SAUF QUE… c’est super dur de faire tout ça à la main. Le travail patine un peu dans les années 90. Jusqu’à la démocratisation de l’ordinateur pour tous qui va lui permettre de finir sa classification.
Il reçoit encore un financement, cette fois-ci de l’équivalent du Ministère américain des Armées pour développer des outils automatisés qui permettront d’analyser les expressions faciales : le METT (micro expression training tools).
Le film vice-versa (Inside Out)
Si les 6 émotions de base te disent quelque chose c’est parce qu’elles ont été représentées dans un Pixar :
Je me rappelle que ce film m’avait conforté dans le fait qu’Ekman avait visé juste.
Ce que je ne savais pas c’est qu’il avait été consultant pour ce film. C’est donc tout simplement sur ses travaux que reposent cette représentation.
Malheureusement il y avait énormément d’erreurs dans ses travaux
Et c’est là que le livre Etes-vous capable de me lire ? m’a le plus secoué : en fait y’a beaucoup de problèmes dans les travaux d’Ekman.
Alors que j’ai enseigné ces découvertes pendant 6-7 ans.
Bon… ça va, je disais quand même qu’en vrai c’est impossible pour un humain lambda de détecter le mensonge avec cette méthode et que donc on devait abandonner cette idée. Mais quand même…
Voici un résumé des biais de son travail :
Il a lui-même défini les émotions qu’il a ensuite soumis au regard pour définir les émotions universelles
Il a utilisé des modèles blancs, des mots venant de la culture occidentale
En effet, certaines cultures ont des mots plus subtils. Par exemple :
Connaissez-vous l’amae japonais, ce sentiment de dépendre de l’amour de l’autre, de se réchauffer auprès de l’affection de l’autre ? Aussi, certaines traductions ne renvoient peut-être pas à la même réalité.
Les travaux d’Ekman se reposent sur le fait d’avoir montré des émotions stéréotypées par des acteurs. Ils ne prouvent absolument pas l’universalité, ils prouvent que ce qui est universel c’est de penser reconnaître : peur, tristesse, joie, surprise, joie, colère et dégoût quand on nous présente les versions les plus caricaturales.
On a fini par découvrir qu’il n’y a pas de bijection entre expression et émotion, c’est-à-dire que la même émotion peut être exprimées de manières différentes et que la même expression peut cacher différentes émotions.
En d’autres termes, Ekman a simplement confirmé le biais de la culture occidentale à se croire universelle.
Mais surtout… finalement, les micro-expressions qu’on pensait systématique ou au moins très fréquentes (mais qu’il suffirait d’avoir une machine permettant de les enregistrer suffisamment au ralenti) …. n’existent presque pas.
Qui des microexpressions ? En réalité, elles sont extrêmement rares (elles ne sont apparues que dans 2% des cas) et ne permettent pas de discriminer les situations de mensonge (les cobayes sincères en ont affiché presque autant). Au demeurant, les individus formés au METT de Paul Ekman ne font pas mieux que le hasard.
Échec et mat.
Pire encore, les spectateurs de la série Lie to Me font pire que le hasard. Alors que le taux moyen des autres est de 55% de précision (un poil mieux que le hasard).
Pourquoi, ça s’empire ?
On en parle demain.
ETES-VOUS CAPABLE DE ME LIRE ? - UN REGARD SCEPTIQUE SUR LE LANGAGE DU CORPS