Le mot démocratie est délicat à utiliser. En effet, à l’origine, un régime démocratique est un régime où le peuple fait les lois plus ou moins directement.
Nos systèmes représentatifs ne sont donc PAS des démocraties. D’ailleurs les fondateurs de la première république française le disaient sans détour :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Il n’a jamais été question avec la première république de créer une démocratie. On cherchait justement un système entre la démocratie et la dictature.
On a repris de la dictature romaine le concept du pouvoir concentré dans les mains de représentants éclairés. On a repris de la démocratie le concept de vote. Même si c’est une version parodique puisque le peuple ne votent plus pour des lois mais pour des gens qui voteront pour des lois.
On appelle ça une démocratie indirecte. Mais c’est un oxymore.
Du coup, maintenant on appelle le modèle originel de la démocratie la démocratie directe. Ça devrait être un pléonasme.
Mais je vais maintenant l’utiliser par souci de clarté.
Dans une démocratie directe, quand on ne peut pas avoir l’avis de chaque membre du peuple alors on prend un nombre restreint que l’on tire au sort.
A-t-on des exemples modernes de processus démocratiques directs ?
Mauvais exemple : le référendum proposé par un président
Parfois quand on parle de démocratie directe, les gens pensent à des référendum. Alors… oui, un référendum peut-être un moyen démocratique. Mais c’est comme le vote : à condition de ne pas en faire une parodie.
Un référendum est démocratique si et seulement si c’est le peuple qui propose la question. Comme en Suisse.
Si c’est un président qui maîtrise l’énoncé de la question, le moment du référendum… on perd absolument tout l’intérêt.
Car il pourra peser de tout son poids pour l’orienter mais aussi pour choisir les sujets qui l’arrangent.
Ce n’est pas pour rien si le référendum (le plébiscite) fait partie de l’arsenal du bonapartisme (c’est-à-dire de l’extrême-droite). Ça permet de se forger artificiellement une légitimité populaire.
Exemple #1 : les jurés d’assise
Le cas démocratique le plus solidement ancré dans notre culture c’est les jurés d’assise. Les jurés d’assise ce sont les gens chargés de rendre la peine lors d’un procès au pénal. C’est-à-dire les plus hauts crimes : meurtres, viols, kidnappings, braquages, etc.
Jusqu’à récemment je pensais que les jurés avaient un rôle de conseil : qu’ils proposaient la peine. Mais non ! D’ailleurs il n’y a pas de “juge”. C’est un abus de langage populaire. La personne que tu imagines quand tu penses à “juge” est en réalité le président.
Le président n’est donc pas “juge”’. Il est là pour présider les débats, les mener. S’assurer que tout se fait selon la procédure. Il est accompagné de deux autres professionnels de la justice : les assesseurs.
Et, pendant la délibération, la voix du “juge” (le président) compte AUTANT que la voix d’un juré civil.
Il y a 9 personnes qui prennent la décisions : 6 jurés civils et 3 professionnels (le président et ses assesseurs).
Bien entendu la décision n’est pas prise comme ça en demandant à chacun de se positionner au doigt mouillé. Le président va donner les infos, les statistiques, les réflexions sur les contradictions (ex : “le problème c’est que si vous mettez la peine maximale sur ce cas on fait quoi dans le cas où…”). Mais le président (le “juge”) n’a absolument pas le pouvoir d’imposer son avis.
C’est donc bien une décision démocratique.
Les jurés sont tirés au sort, on leur demande de construire leur avis en se reposant sur des expert·es et ensuite ils se retirent.
Retiens bien ces trois variables. Ce sont les trois variables de la démocratie.
Exemple #2 : la convention citoyenne pour le climat
La Convention citoyenne pour le climat est une assemblée de citoyens française, constituée en octobre 2019 par le Conseil économique, social et environnemental sur demande du Premier ministre Édouard Philippe. Elle regroupe 150 hommes et femmes volontaires tirés au sort parmi la population française, et a pour objectif de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 »
Là encore on a les conditions réunies : le tirage au sort, un avis construit avec des expert·es et un mandat temporaire.
De plus, on a appliqué une couche supplémentaire sur le tirage au sort : la même chose que l’on fait pour les sondages. En effet, le souci d’un tirage au sort si petit (150 personnes) sur une population si large (50 millions de personnes majeures) pose un souci. On peut se retrouver facilement avec 150 personnes non représentatives des équilibres.
On utilise donc une méthode de quota :
Le but était d’obtenir un panel représentatif de la population française
le sexe : conformément à la réalité de la société française, la Convention sera composée à 51 % de femmes et à 49 % d’hommes
l’âge : 6 tranches d’âge, proportionnelles à la pyramide des âges à partir de 16 ans, ont été définies.
le niveau de diplôme : 6 niveaux ont été retenus, afin de refléter la structure de la population française de ce point de vue. Une attention toute particulière est portée sur la nécessité d’une juste présence des personnes non-diplômées.
les catégories socio-professionnelles : la Convention citoyenne reflétera la diversité des CSP (ouvriers, employés, cadres…) au sein de la population française. Des personnes en situation de grande pauvreté seront également présentes.
le type de territoires : en se basant sur les catégories Insee, la Convention respectera la répartition des personnes en fonction du type de territoires où elles résident (grands pôles urbains, deuxième couronne, communes rurales…). Des personnes issues des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) seront également présentes.
la zone géographique : la Convention illustrera également la répartition de la population française sur le territoire métropolitain (Région) et ultra-marin.
Et ça a fonctionné. Notamment si on compare à l’Assemblée Nationale :
Les chercheurs Florent Gougou et Simon Persico indiquent que le tirage au sort « a permis la représentation de groupes sociaux qui sont soit absents de l’Assemblée nationale, soit nettement sous-représentés », à savoir
les femmes (la moitié de la Convention contre à peine plus d’un tiers de l’Assemblée nationale) ;
les moins de 34 ans (plus du quart des personnes tirées au sort à la Convention, mais pratiquement absents de l’Assemblée nationale) ;
les catégories populaires (ouvriers, employés et une partie des professions intermédiaires), tandis que l’Assemblée nationale est dominée à 70 % par les catégories supérieures (cadres, professions intellectuelles) ;
les citoyennes et citoyens n’ayant pas fait d’études supérieures (66 % au sein de la Convention contre 9 % à l’Assemblée nationale et 70 % dans la population en âge de voter
Pendant plus de 8 mois, 150 personnes ont donc travaillé à construire des propositions. Ils ont été aidé par un groupe de 14 expert·es qui les orientait. Ainsi que des 6 juristes pour les aspects juridiques des propositions.
Le résultat a été non seulement validé par l’opinion publique (sondage) mais également par les différentes organisations expertes du sujet.
Bon… évidemment Marine Le Pen, elle elle trouve que :
la convention a accouché de propositions toutes plus loufoques les unes que les autres, sans conscience des réalités économiques, et sans pertinence sociale et écologique
On notera au passage que parmi les 150 personnes il y avait probablement une part significative d’électeurs et électrices de son parti.
Mais justement c’est ça qui est magnifique avec la démocratie : quand on responsabilise les gens ils proposent des choses raisonnables. Ils ne peuvent plus se contenter d’opinion à l’emporte-pièce.
Exemple #3 : l’assemblée constituante d’Islande
En Islande, en 2009, à la suite de la crise financière endettant plusieurs banques d'Islande et conduisant ce pays à la banqueroute, un gouvernement d'union de différents partis progressistes a été élu. Ce gouvernement a mis en place l'élection d'une nouvelle assemblée constituante qui a eu lieu le 27 novembre 2010. Pour cela, 1 000 citoyens islandais ayant entre 18 et 89 ans et n'ayant jamais eu de mandat d'élu national ont été choisis au hasard dans la population.
Parmi ces 1 000 personnes, 522 ont choisi de se présenter et ont eu un temps de télévision égal pour présenter leur programme. 25 de ces citoyens ont été ensuite élus par l'ensemble de la population pour créer une nouvelle constituante entre février 2011 et l'été de la même année
Ici ce n’est pas un pur tirage au sort puisqu’on le combine avec une élection. Mais au moins on est sûr que l’élection se fait PARMI des personnes tirées au sort.
Et une constitution a été rédigée… mais elle a été torpillée par les responsables politiques, qui l’ont reportée sans date. On attend encore.
Voici les propositions principales qui avaient été faites :
- une personne, une voix" (dans le système actuel, un candidat "a besoin de beaucoup plus de voix pour être élu député à Reykjavik que dans l'une des régions les plus rurales") ;
- un référendum sur l'abolition de l'Église d'État (les sondages indiquaient que 73 % des électeurs voteraient en faveur de la séparation de l'Église et de l'État) ;
- un certain nombre de changements au niveau du gouvernement, notamment le fait de ne pas faire automatiquement du leader du plus grand parti le premier ministre,
l'introduction d'une limite de dix ans pour les mandats du premier ministre, et le fait qu'un vote de défiance devrait inclure une proposition de remplacement du premier ministre
- l'obligation pour l'État de fournir un accès à Internet à tous les citoyens
- l'introduction d'une limite de trois mandats pour le président
- autoriser 15 % des électeurs à soumettre des projets de loi au parlement ou à demander un référendum sur les lois proposées ;
- la limitation de la taille du gouvernement à dix ministres et l'interdiction pour les ministres d'être députés en même temps ;
- et proclamer la propriété publique des ressources naturelles de l'Islande.
Là encore… rien de loufoque.
C’est le seul système qui permet d’arbitrer efficacement et pacifiquement les conflits d’une société
En tout cas c’est ma conviction.
Nous n’avons pas besoin de gens qui décident pour nous, nous avons besoin de faire partie de la décision. Et si des gens décident pour nous ils doivent être comme nous et non des professionnels de la prise de pouvoir.
Car oui, notre système favorise les professionnels de la pris de pouvoir. On dit professionnels de la politique. Mais c’est faux. Macron n’est pas un pro de la politique. C’est un pro de la prise de pouvoir. Les élections présidentielles sont remportées par les personnes qui savent les gagner.
C’est une expertise très différente que de savoir gouverner, apaiser, trancher les conflits…
Et, accessoirement, ça donne le pouvoir aux personnes les plus avides de pouvoir. Ce qui est rarement une bonne idée.
La démocratie directe permet de d’arbitrer les conflits de manière la plus douce possible, avec une recherche d’un consensus. Aucune personne ne peut imposer sa volonté.
Et c’est ça qui est crucial. On ne devrait jamais avoir de système où une seule personne, qui qu’elle soit, peut imposer sa volonté.
J’ai l'impression qu’il manque un passage.
Sur le système Suisse…
Bel article mais le truc intéressant c'est la différence entre les jurés d'assises d'un coté, et de l'autre l'example islandais et la convention citoyenne pour le climat.
On sait appliquer les décisions de justice, mais pour le coté politique, si on sait délibérer démocratiquement, le bas qui blesse c'est qu'ensuite en pratique il faut que quelqu'un qui a le pouvoir réel décide des les implémenter concrètement. Le plus fidélement possible. Ou plus réalistement d'une facon qui l'arrange. Ou sélectivement. Ou il aimerait mais pas le budget. Ou incompatible avec une autre décision où la France s'est engagée. Ou alors ok mais à la saint glin glin.
Et là le précédent historique massif, ce sont les deux révolutions de 1917 en Russie.
En fait non, moi je pense qu'il y en a eu une seule de révolution, super intéressante tout au long de l'année 1917 : parlement face au tsar, paysans pauvres, soviet de Petrograd, ...
Et une petite année après un coup d'état bolchévique a mis fin à cette révolution!
Un peu comme si chez nous Napoléon était devenu premier consul fin 1789...
Et la raison de ce coup d'état c'est que personne n'arrivait à mettre en oeuvre les revendications de la démocratie directe jusqu'à ce que cette crapule habile de Lénine propose un pacte Faustien de se charger du boulot. En échange son parti minoritaire (bolchévique) a pris tout le pouvoir pour les 70 années suivantes.