J’ai des punaises de lit chez moi. Quel rapport avec le sujet du jour ? Presque pas. Mais ça explique pourquoi j’étais beaucoup plus fatigué que d’habitude en écrivant l’email d’hier. Or, j’avais à coeur de faire le débrief du document collaboratif parce que je sais que quand je le fais pas tout de suite, je peux ne jamais le faire.
Je n’ai donc pas fait un email “facile” en mode copier-coller un bout de mon livre ou partager un lien.
Et… bah j’ai bâclé la source de la fuckzone.
Qui a inventé la fuckzone ?
J’ai vraiment cru citer la personne qui avait popularisé le concept en citant Dora Moutot. C’était la première qui venait dans Google. Mais c’était une confusion. La personne qui m’en avait parlé il y a quelques mois se référait à Victoire Tuaillon (celle qui a écrit Le coeur sur la table dont je t’ai déjà parlé). C’est elle que je cherchais.
Je cherchais cet extrait :
Et, quand bien même… le concept est dans le Urban Dictionary depuis au moins 2013 :
Traduction :
C’est un peu comme la friendzone sauf que la personne ne te voit que comme un·e partenaire sexuelle potentiel et non quelqu’un avec qui avoir une relation.
Toi : Je t’aime beaucoup en fait
Lui/Elle : Du coup tu veux être sexfriend ? Je te laisserai me ….
Toi : (merde, j’ai été fuckzoné·e)
La source exacte on s’en fout, non ?
Oui, en vrai. Je ne t’écrirais pas un email pour dire ça. Même en admettant que Victoire Tuaillon ait inventé le terme. Et là ce n’est même pas le cas : le terme appartient à la culture populaire.
Mais le problème c’est que, Doria Moutot ce n’est pas n’importe qui. C’est une militante TERF.
Sous le coup de la fatigue je ne l’ai pas reconnue. Je reconnais plus facilement le nom de la reine des TERF : Marguerite Stern.
Doria Moutot je la connais plutôt quand elle est derrière le compte Instagram t’as joui. Dans ma tête je l’appelle la meuf de t’as joui. Je ne retenais pas son nom sans cette association.
Mais… c’est quoi les TERF ?
TERF est l’acronyme de Trans-exclusionary radical feminist. C’est un mouvement qui se revendique du féminisme sauf que s’y cache une transphobie.
Inventé en 2008, le terme est appliqué par des militantes trans à des féministes qui estiment que les luttes trans invisibilisent les luttes pour les droits des femmes, ce qui pour les premières relèverait de positionnements essentialistes et transphobes.
Initialement inventé avec la volonté d'être un terme neutre, il a acquis une connotation péjorative. Certaines féministes perçoivent même le terme comme une insulte et préfèrent se décrire comme « critiques du genre » ; d'autres féministes, des universitaires et des personnes trans ont rejeté ce point de vue.
L’idée c’est de dire que la lutte contre la transphobie est une manière d’empêcher les femmes de s’exprimer, en mettant en avant qui sont “en réalité des hommes”. Ce qui est, évidemment, un propos transphobe.
Comme tous les mouvements réactionnaires, le tout est déguisé avec des euphémismes. Ce qui rend la détection très compliquée pour les personnes non-concernées.
Je ne comprenais pas pourquoi les tweets de JK Rowling étaient transphobes
La première fois que j’ai vu les polémiques sur JK Rowling (de loin la TERF la plus connue), j’étais incrédule. On lui tombait dessus car elle avait tweeté :
Traduction :
“Les personnes qui ont leurs règles”. Je suis sûre qu'on avait un mot pour désigner ces personnes, avant. Que quelqu'un m'aide. Fammes ? Fommes ? Fimmes ?
Je ne trouvais pas ça fin, je crois que je ne comprenais même pas ce qu’elle dénonçait. Mais surtout… ma propre ignorance était en travers : je n’avais pas spontanément en tête que toutes les personnes qui ont leur règles ne sont pas des femmes. Et vice-versa.
Comme toujours avec les propos d’extrême-droite, on utilise l’euphémisme, le bon sens et l’humour pour faire passer l’idéologie.
Évidemment qu’elle ne peut pas tweeter “il faut interdire la lutte trans”. Alors elle dit :
“Le sexe existe”.
Bah oui. C’est sûr. Bien sûr que le sexe existe. Mais personne ne nie ça. Ce n’est pas l’objet des luttes trans.
C’est comme quand on dit
“La France est un pays à majorité blanche”.
Euh… oui ? Même le plus radical des antiraciste serait d’accord avec cette phrase si elle était dite uniquement pour ce qu’elle dit.
Sauf qu’on comprend bien que c’est un euphémisme pour lutter contre l’antiracisme.
Le mot woke est un bon exemple. Quand quelqu’un me dit que je suis woke.
Oui ?
Dans la bouche de la droite c’est un mot vide de sens qu’ils ne peinent pas à définir. Mais je ne peux pas être de mauvaise foi : si ce mot veut dire quelque chose c’est sûr que j’en suis.
Mais quand ils me disent ça, ils ne veulent pas juste dire ça. Ils veulent dire que l’antiracisme c’est un peu relou en fait. Qu’on peut plus rien dire et que c’était mieux avant.
Un autre exemple
Plus tôt, JK Rowling avait tweeté :
Habille-toi comme tu veux. Appelle-toi comme tu veux. Couche avec n’importe quel adulte consentant qui voudrait bien de toi. Vis ta meilleure vie en paix et sécurité. Mais faire licencier des femmes parce qu’elles disent que le sexe existe ?
#JeSoutiensMaya #CeNestPasUnExercice
Pour une personne non-concernée et ignorante comme moi… rien de spécial dans ce tweet. Là encore on ne comprend pas bien l’enjeu. On peut même se dire ah non on peut pas licencier une personne qui dit que le sexe existe, c’est la cancel culture.
Mais qui est la Maya en question ? A-t-elle vraiment dit le sexe est réel ? Non. Là encore c’est un euphémisme. Voilà un extrait de ses propos :
Je crois qu’il est impossible de changer de sexe. Les petites filles sont destinées à devenir des femmes. Les petits garçons sont destinés à devenir des hommes. Aucun changement de vêtement, de coupe de cheveux, aucune chirurgie plastique, aucun accident, aucune maladie, aucune hormone, aucune force de la volonté, aucun conditionnement social, aucune déclaration peut transformer une personne de sexe féminin en une personne de sexe masculin, ou une personne de sexe masculin en une personne de sexe féminin.
Ce n’est quand même pas exactement pareil.
D’ailleurs, vu que je suis bien davantage sensibilisé à repérer l’homophobie, le tweet de JK Rowling, transposé, m’aurait apparu directement comme de l’homophobie subtile. Essayons :
Choisi le mode de vie que tu veux. Pratique à ton gré tes préférences sexuelles dans le cadre privé de ta chambre à coucher. Mais faire licencier des chrétiens parce qu’ils ont dit que le mariage est entre un homme et une femme ? #JeSoutiensChristineBoutin
Là d’un coup, tous les euphémismes sont transparents pour moi. Dire “fais ce que tu veux dans ta chambre à coucher” pour invisibiliser la condition d’une personne homosexuelle qui ne se limite pas à sa chambre. L’homophobie est présente dans tout le quotidien, pas juste dans une pièce.
De même, le pléonasme “le mariage est entre un homme et une femme” m’apparaît pour ce qu’il est. Là où “le sexe existe” n’était pas correctement identifié par mon système immunitaire mental.
La stratégie de la politesse
Comme on ne peut pas tenir des propos ouvertement homophobes en public on va dire “je n’ai rien contre les personnes homosexuelles, mon meilleur ami est gay. Je pense juste qu’on ne devrait pas faire de propagande LGBT dans les écoles maternelles”.
Ça ne change rien. L’homophobie c’est pas la méchanceté. L’homophobie c’est vouloir empêcher les personnes homosexuelles d’avoir les mêmes droits que les autres. On peut donc le faire tout en étant poli.
De la même manière qu’on peut dire de manière très courtoise “je n’ai rien contre le féminisme, je pense juste qu’il ne faut pas dresser les hommes et les femmes contre les autres”.
Ou encore “je ne suis pas raciste, mon meilleur ami est Noir. Je pense simplement qu’il ne faut pas négliger le racisme antiblanc”.
L’impact politique est le même. Voire pire puisque les politiques qui font stagner ou régresser les luttes sont plus souvent poussées par les propos polis et par les propos violents.
Quelqu’un qui parle mieux de ce sujet
Normalement, je ne fais pas de pédagogie sur d’autres luttes que le racisme parce que je ne suis pas concerné. Il y a donc toujours le dilemme de ne pas prendre la parole des personnes concernées. Et même simplement de dire des bêtises.
Là par exemple j’ai dû vérifier plusieurs fois dans Wikipédia les définitions. J’ai fait plusieurs erreurs en écrivant l’email et j’en ai peut-être laissé.
Je fais une exception à cette règle parce que, hier, j’ai relayé le compte twitter d’une TERF sans savoir et qu’il faut être extrêmement vigilant face à l’extrême-droite et ses méthodes de recrutement. On peut vraiment commencer par suivre un compte, puis deux, puis trois… puis progressivement être embrigadé·e. Cette technique de l’extrême-droite est amplement analysée. On y reviendra.
Je ne sais pas si on peut dire que les TERF sont intégralement d’extrême-droite. Il nous manque en français une traduction du mot bigotry. C’est un mot qui permet de ranger tous les comportements de type racisme, homophobie, transphobie, etc. Sans pour autant ranger la personne entièrement dans l’extrême-droite. J’imagine que certaines TERF ont commencé par un féminisme de gauche. Mais une chose est sûre : la revendication du mouvement TERF est bel et bien d’extrême-droite.
Mais tout ceci est mieux raconté par Natalie Wynn de la chaîne ContraPoints :
C’est long. Mais ça m’a permis de sortir d’une partie de mon ignorance sur le sujet.
Euh "bigotry" c'est un mot qui vient du français "bigot" :)
https://www.etymonline.com/word/bigotry