Cette semaine on continue sur le thème de la dépression mais sous un angle retour d’expérience plutôt que récit.
Avant toute choses…
Quelques avertissements
À part l’email d’aujourd’hui, aucun épisode ne prétendra à l’universalité. Ce sera un résumé de ce qui a marché pour moi.
Toutes les techniques que j’ai utilisées ont été facilitées par le fait d’avoir un haut revenu. Je ne dis pas que c’est impossible sans, mais c’est important que tu gardes à l’esprit que ça rend le jeu vidéo plus facile pour moi.
J’ai la “chance” de ne faire que des dépressions “courtes”. J’ai fait des dizaines de dépressions dans ma vie mais jamais plus de 2 mois et demi. Généralement plutôt autour d’un gros mois. Certaines personnes font des dépressions de 7 ans.
Si tu ressens de la culpabilité en lisant un des emails alors il y a un problème et le problème ce n’est pas toi, c’est que j’aurais échoué à bien l’écrire. N’hésite pas à me le signaler. Même si c’est un sentiment léger. Et je rectifierai si j’y arrive.
Dernier point : exceptionnellement les commentaires seront ouvert à tout le monde et pas uniquement aux membres premium. Ce sera l’occasion de partager vos propres expériences ou questions.
On commence cette série avec un premier article qui ne va pas être centré sur moi mais plutôt une cartographie générale de la dépression pour qu’on sache de quoi on parle.
La tristesse n’est pas le malheur, le malheur n’est pas la dépression
La tristesse n’est pas le malheur, le plaisir n’est pas le bonheur. Ce sont même des sensations opposées.
Le bonheur c’est quand tes neurones sont apaisées, le plaisir c’est quand tes neurones sont excités. C’est pour ça que le plaisir génère une accoutumance : tu as besoin de toujours plus de la stimulation.
L’alcool par exemple, comme toutes les drogues, génère du plaisir. Mais aucun bonheur. Aucune dose d’alcool ne peut rendre heureux ou heureuse.
D’où le cliché du trader ou publicitaire à la Beigbeder qui vit une vie de plaisirs extrêmes (sexe, drogue, nourriture raffinée, luxe…) tout en étant profondément malheureux.
On peut être heureux et ressentir de la souffrance. On peut être malheureux et ressentir du plaisir.
L’hormone associée au plaisir c’est souvent la dopamine. L’hormone associée au bonheur c’est souvent la sérotonine.
Attention, dès qu’on parle d’hormones on simplifie, ne prends pas le propos comme une vérité scientifique en bloc. Je le précise car on est dans un moment où les gens utilisent la compréhension limitée des hormones pour fonder leur transphobie.
La souffrance est l’inverse du plaisir. Le malheur est l’inverse du bonheur. Et ces deux duos sont indépendants.
Bon… pas tout à fait : si tu vis trop de souffrances et pas assez de plaisir ça peut s’ancrer en malheur. Encore une fois : je simplifie.
Or, la dépression est sur le registre du malheur. Un malheur durable qui s’ancre.
Ça fait quoi une dépression ?
Tout le monde éprouve de la tristesse, mais la dépression c’est une maladie où cette tristesse est ancrée. De la même manière que tout le monde vit du stress mais le trouble anxieux c’est quand l’angoisse est ancrée.
Voici la définition psychiatrique de la dépression :
A. Ton moral est à plat, tu ne ressens presque aucun intérêt dans ta vie presque tous les jours, et ce sentiment perdure depuis au moins deux semaines;
ET
B. Tu éprouves 4 problèmes parmi ces 8 :
• ton poids ou ton appétit varie beaucoup;
• tu dors trop ou pas assez;
• tu te sens toujours agité·e ou au ralenti;
• tu te sens inutile ou coupable;
• tu te sens très fatigué·e la plupart du temps;
• tu te sens engourdi·e ou tu éprouves une sensation de vide;
• tu as beaucoup de difficulté à te concentrer ou à prendre des décisions;
• tu penses à la mort ou au suicide.
Il est important de remarquer que les symptômes s’expriment différemment selon les personnes. Moi par exemple :
Je dors trop
Je me sens très fatigué
Je me sens au ralenti
Je me sens vide
J’ai beaucoup de difficultés à prendre des décisions
Mais ça n’a jamais d’impact sur mon appétit. Et je me sens rarement coupable ou inutile. Je trouve, nuance, que la vie est inutile.
Alors que d’autres personnes au contraire vont :
Moins dormir
Se sentir très agitées
Beaucoup manger
Point important : la dépression est une maladie. Elle peut toucher tout le monde. Ce n’est pas une question de faiblesse d’esprit.
La dépression n’est PAS une maladie de blanc ou de riche
Je sais que quand on vient d’une culture non-blanche on peut être convaincu que la dépression est un truc de blanc.
Alors que… 15% des guadeloupéens et guadeloupéennes souffraient de dépression en 2019. Quand, au même moment, c’était seulement 11% des hexagonaux.
C’est donc bien l’inverse : les personnes en Guadeloupe et Martinique sont davantage déprimées que les personnes en hexagone.
De plus, contrairement aux clichés qui veulent que la dépression est une maladie de riche car il faut avoir le luxe…ce sont bien les personnes les plus pauvres qui souffrent le plus de dépression.
Les revenus influent sur le taux de dépression. Parmi les 20 % des Antillais les plus défavorisés, près d’un sur cinq présente des symptômes dépressifs, contre un sur dix parmi les 20 % les plus aisés.1
C’est pas que les pauvres n’ont pas le luxe de faire une dépression (ce n’est pas un choix- c’est que les pauvres n’ont pas le luxe de se soigner leur dépression. C’est très différent.
Ne parlons même pas du cliché : j’ai été en Afrique et eux ils sont heureux, ils sont pas déprimés comme nous, parfois je me dis que j’aimerais bien tout quitter et vivre pied nu.
L’Afrique est le continent avec le plus haut taux de suicide au monde.2
Et pour le coup c’est un tabou énorme. Beaucoup de personnes là-bas sont dans le déni.
« Je comprends qu’un homme se pende parce que sa femme l’a quitté, qu’il est sans emploi, que la voisine l’a ensorcelé ou qu’il a été surpris en train d’embrasser sa belle-mère. Mais se suicider parce qu’on souffre de dépression n’est tout simplement pas africain », écrivait en 2014 le satiriste kényan Ted Malanda.3
D’ailleurs, si tu as vécu dans une culture non-banche, tu as peut-être eu davantage l’habitude d’entendre parler d’ensorcèlement que de dépression, de marabout que de psy.
Je ne dis pas qu’il faut mépriser la spiritualité. Au contraire, si tu te sors de la dépression avec un marabout c’est tant mieux. Ce que je dis c’est qu’il faut arrêter de mépriser les autres manières d’en sortir en les reléguant à des trucs de blancs.
La dépression provoque également une perturbation physique
La dépression a des effets concrets sur le corps. C’est pour ça que les gens qui disent non mais t’as qu’à te bouger sont ridicules et ignorants.
C’est stupide de dire à quelqu’un de déprimé qu’il suffit de se bouger. La honte doit changer de camp.
Parce que précisément, le symptôme physique le plus souvent induit par la dépression est la perturbation du sommeil. Soit parce qu’on n’arrive plus à s’endormir ou qu’on se réveille fréquemment, soit parce qu’on éprouve tellement de fatigue qu’on dort encore et encore en espérant avoir enfin un sommeil réparateur.
Une personne déprimée va donc se sentir épuisée juste en faisant des tâches “basiques”.
Les causes de la dépression
Voici les 5 grands pôles qui vont causer ou maintenir la dépression :
Malheureusement, les 5 pôles agissent mutuellement les uns sur les autres. La dépression peut commencer par un changement dans la chimie du cerveau, qui se répercute sur une émotion de tristesse qui s’ancre puis une diminution de l’hygiène qui mène à la rupture avec un partenaire amoureux.
Ou alors elle peut à l’inverse commencer par une rupture amoureuse qui décuple les pensées dévalorisantes qui entraînent une tristesse qui s’ancre trop fort et finit par changer la chimie du cerveau.
Mais ça peut commencer à un tout autre point. Par exemple devoir baisser son niveau d’activité car on a fait une opération chirurgicale. Alors le cerveau ne reçoit plus suffisamment les bonnes hormones et le reste s’enclenche.
Elle peut même se déclencher à partir d’un autre trouble psychique. Par exemple tu es en train de vivre un trouble anxieux généralisé et tu ressens tellement d’anxiété que ça finit par emmener tout le système à la dépression.
Et ainsi de suite.
Retiens ce diagramme comme le manuel de ton système mental. Pour juguler la dépression il va falloir auditer ce qui déconne et regarder ce que tu peux réparer.
La profondeur de la dépression
Une dépression peut être légère ou majeure. La plupart des dépressions sont des dépressions légères (ce qui ne veut pas dire que c’est horrible à vivre).
La dépression majeure c’est pareil mais en plus profond, plus ancré et donc plus grave (j’ai pas dit plus intense).
La distinction est importante principalement parce qu’une dépression majeure, le plus souvent, nécessite des médicaments pour s’en sortir.
Attention, je n’ai pas dit que toutes les dépressions légères se résorbent sans médicaments.
La spirale dépressive
On va voir cette semaine comment j’ai mis en place un plan de redressement mais le problème c’est que la dépression se renforce spontanément.4
En effet, c’est ce que je trouve le plus terrible avec cette maladie : les symptômes de la dépression aggravent la dépression. J’appelle ça la spirale dépressive.
C’est-à-dire que plus une personne a du mal à sortir, plus elle déprime… plus elle déprime plus elle a encore plus de mal à sortir et plus elle déprime encore plus, et ainsi de suite.
Il faut donc trouver un moyen de casser cette spirale mortelle.
C’est pour ça qu’on ne peut pas dire à une personne il suffit de faire du sport. Car elle peut être à un stade de dépression qui l’empêche purement et simplement de faire du sport.
Mais c’est aussi pour ça que les gens ont le réflexe de dire aux personnes dépressives de se bouger. C’est stupide de dire il suffit. En revanche c’est quand même une bonne intuition : pour s’en sortir il faut se bouger.
Mais déjà il faut le faire avec délicatesse, douceur avec soi-même, patience. Il faut trouver l’équilibre entre se bouger et se brusquer. Se brusquer peut aggraver le problème.
C’est un peu comme le coeur (l’organe). Pour le relancer en cas d’arrêt cardiaque on envoie un choc électrique avec un défibrillateur. Mais le choc est bien dosé. Si quelqu’un fait un arrêt cardiaque et que tu lui fais toucher une ligne haute tension, ça va juste l’électrocuter.
Et ensuite il faut définir correctement se bouger. Il s’agit d’agir sur un des 5 pôles donc :
Régler, atténuer ou digérer la situation qui a provoqué la dépression
Faire du sport ou des activités sociales mais sans se brusquer pour rétablir un bon niveau d’activité
Commencer à systématiquement remettre en question les pensées dévalorisantes et les mettre en compétition avec des pensées réalistes
Accueillir les émotions et partir à la recherche de leur origine
Utiliser des antidépresseurs pour rétablir le sommeil et la chimie du cerveau
Note : on n’a pas forcément besoin d’agir sur 5 pôles pour faire repartir le système, de la même manière que la dépression n’a pas eu besoin de piquer sur les 5 pôles pour démarrer. Parce que tout est connecté.
Idem
Merci pour partager ton expérience sur la dépression.
Par période, je sens bien que je lutte pour ne pas y tomber dedans. Ou peut-être que j'y suis dedans, sans le savoir. Comme tu le dis, on la vit tous différemment. Ca me fait peur, peur de ne jamais m'en relever.
Bravo Nicolas, très clair. La description des 5 poles explique très bien les causes de départ, merci.