Pour prendre un peu de recul, j’ai rouvert le livre de Martin Luther King pour relire le passage sur les émeutes.
Mis à part qu’on sent que c’est un chrétien des années 60 et qu’il parle de “familles illégitimes”, tout est encore actuel.
Voici un extrait :
Ce n'est pas seulement la pauvreté qui tourmente le Noir, c'est le fait d'être pauvre au milieu de l'abondance. C'est une misère générée par le fossé entre l'aisance qu'il voit dans les médias et le dénuement qu'il ressent dans sa vie de tous les jours.
Vivant la laideur quotidienne des bidonvilles, la castration éducative et l'exploitation économique, certains habitants des ghettos se livrent de temps à autre à des explosions de violence et à des émeutes qui s'auto-détruisent.
Une émeute est au plus profond le langage de ceux que l'on n'entend pas. C'est le cri désespéré et suicidaire de quelqu'un qui en a tellement assez de l'impuissance de son existence souterraine qu'il affirme qu'il préférerait être mort plutôt qu'ignoré.
Lors d'une tournée à Watts quelques jours après cette émeute cauchemardesque de 1965, Bayard Rustin, Andrew Young et moi-même avons été confrontés à un groupe de jeunes qui nous ont dit joyeusement : "Nous avons gagné".
Nous leur avons demandé : "Comment pouvez-vous dire que vous avez gagné alors que trente-quatre Noirs sont morts, que votre quartier est détruit et que les Blancs utilisent l'émeute comme excuse pour ne rien faire ?" Leur réponse : "Nous avons gagné parce que nous avons fait en sorte qu'ils fassent attention à nous".
Tant que les gens seront ignorés, privés de la possibilité de faire entendre leur voix, piétinés par les bottes de fer de l'exploitation, ils risquent d'avoir des explosions émotionnelles qui se traduiront par des actes de violence dans les rues
Ce qui est miraculeux dans le ghetto, c'est que si peu de Noirs aient fait des émeutes. 99% des Noirs n'ont jamais lancé de cocktail Molotov (...). Ce qui est encore plus miraculeux, c'est que tant d'habitants du ghetto ont gardé l'espoir au milieu de conditions désespérées
Contrairement au mythe véhiculé par de nombreux Américains blancs, le ghetto n'est pas un ensemble monolithique de drogués, d'alcooliques, de prostituées et de mères célibataires (...) 99% des jeunes du ghetto n'ont jamais eu affaire à la justice.
Malgré des probabilités insurmontables, la majorité des Noirs du ghetto continue de vivre, de lutter, d'espérer. Tel est le miracle.
Être Noir en Amérique, c'est souvent espérer contre toute espérance... Cela signifie mener quotidiennement une double bataille - une bataille contre la tragédie intérieure et une bataille contre l'oppression extérieure
Ceci étant dit, il n’est pas pour autant en faveur des émeutes. Il reste ancré dans sa doctrine de non-violence des mouvements de lutte pour les droits (tous les mots comptent).
Il porte donc un regard sans complaisance sur les émeutes :
Une émeute a quelque chose de douloureusement triste. On y voit des jeunes qui hurlent et des adultes en colère qui se battent sans espoir et sans but contre des obstacles impossibles à surmonter. Au fond d'eux, on perçoit un désir d'autodestruction, une aspiration suicidaire. Il arrive que des Noirs affirment que l'émeute de Watts de 1965 et les autres émeutes qui ont eu lieu dans diverses villes ont représenté une action efficace en faveur des droits civiques.
Mais ceux qui expriment ce point de vue finissent toujours par balbutier lorsqu'on leur demande quels gains concrets ont été obtenus à la suite de ces émeutes. Au mieux, les émeutes ont produit un peu plus d'argent pour la lutte contre la pauvreté, alloué par des fonctionnaires effrayés, et quelques dispositifs d'arrosage pour rafraîchir les enfants des ghettos.
C'est un peu comme si l'on améliorait la nourriture dans une prison alors que les gens restent solidement incarcérés derrière les barreaux. Nulle part les émeutes n'ont apporté d'amélioration concrète à l'instar des manifestations de protestation organisées.
Mais… et ça qui m’a le plus inspiré pour aujourd’hui, il rappelle le point le plus important : qui est coupable ? J’ai entendu hier encore que les émeutes allaient faire monter l’extrême-droite. Martin Luther King nous rappelle :
Les émeutes ne sont pas la cause de la résistance des Blancs, elles en sont la conséquence.
Et surtout :
Il est compréhensible que la communauté blanche craigne le déclenchement des émeutes. Elles sont indéfendables en tant qu'armes de lutte et les Noirs doivent compatir avec les Blancs qui se sentent menacés par elles. En réalité, les Noirs ne sont pas moins menacés et ceux qui vivent dans les ghettos sont toujours ceux qui souffrent le plus directement des turbulences destructrices d'une émeute.
Cependant, le Blanc moyen a aussi une responsabilité. Il doit résister à l'impulsion de considérer l'émeutier comme le méchant tout désigné. Il doit s'indigner contre ses propres autorités municipales, étatiques et nationales et exiger que soient mises en oeuvre les réformes nécessaires qui seules pourront le protéger.
S'il ne réserve son ressentiment qu'au Noir, il sera alors la victime en permettant à ceux qui sont les plus coupables de se soustraire à leurs responsabilités. La justice sociale et le progrès sont les garants absolus de la prévention des émeutes. Il n'y a pas d'autre réponse.
Les changements sociaux constructifs apporteront une certaine tranquillité ; les dérobades ne feront qu'encourager le tumulte. Les Noirs ne détiennent qu'une seule clé de la double serrure du changement pacifique. L'autre clé est entre les mains de la communauté blanche.
Tout est dit. 1789 aussi c'est des émeutes