J’ai reçu deux emails avec une question similaire : d’où vient l’instinct de frapper l’enfant ?
En voici un :
Perso je serai hyper intéressé de savoir d’où vient l'INSTINCT qui pousse un parent à frapper son enfant (ou même lui hurler dessus).
Car oui je suis persuadé que c’est un instinct, quelque-chose d’ancré en soi, ça ne peut pas être un acte délibérément réfléchi et rationnel.
Je n’étais pas un enfant battu comme toi, mais j’ai pris quelque roustes, pas mal de grosses gifles et "claques sur les fesses", mais je sais très bien que la force avec laquelle elles étaient données n était pas contrôlée et elles étaient plus une décharge nerveuse qu’un acte d éducation… et je sais que mon père, lui, a vécu à peu près la même enfance que toi, peut être pire avec d autres variantes psychologiques.
Je suis moi-même papa aujourd'hui, 2 enfants.
Je les aime plus que tout sur Terre, plus que moi.
Je sais que lorsqu'ils étaient petit, j’ai à certain moment ressenti cet INSTINCT. C’était plus fort que moi, je sentais la nervosité monter, l’impression de n’avoir plus de solutions rationnelles pour régler le problème d’un enfant de 5 ans qui veut pas aller prendre son bain...
J’ai vraiment dû me battre avec moi-même à l’intérieur pour ne pas sortir une claque ou une baffe, les murs et portes ont pris 2 ou 3 coups à cet époque. Et j’ai compris que j’avais malheureusement, involontairement, et inconsciemment acquis cet INSTINCT. C’était horrible à vivre.
J’ai vraiment programmé mon cerveau pour m’obliger à préparer mes réactions face à ces situations.
Bref, voilà. Mais je pense que tout le monde, surtout les générations d’avant, n’est pas prêt à faire cela.
J’aimerais comprendre.
Merci pour partager ces moments très intimes, sujet très fort.
C’est l’une de tes meilleures productions depuis que je te suis. Merci.
D’abord un grand merci pour cet email. Question compliquée.
Mais déjà, j’ai l’impression qu’il y a confusion entre instinct et émotion ? Par exemple, la jalousie amoureuse n’est pas instinctive puisque les humains ne sont pas naturellement monogames. En revanche c’est une émotion puissante, non rationnelle qui peut te faire perdre les pédales. Qui m’a déjà personnellement fait perdre les pédales.
Quand on dit instinct, on sous-entend que c’est une sorte de programme installé en nous dès la naissance. J’avais retenu en philosophie qu’il n’existait pas d’instinct humain. Voilà ce qu’en dit wikipédia :
la conception du nouveau-né en tabula rasa n'est pas plus scientifiquement acceptable que celle d'une machine biologique pour toujours entièrement déterminée par ses gènes. Le grand paradoxe émergeant de l'étude scientifique des instincts chez l'homme est que la grande capacité d'apprentissage de l'humain est corrélée à une augmentation des mécanismes comportementaux innés. La capacité d'acquérir une culture humaine n'est donc pas la conséquence, comme on le croyait dans la première moitié du xxe siècle, de la perte de mécanismes « instinctifs » par l'homme, mais bien par un ajout de mécanismes innés spécifiquement humains.
Ok donc a priori, nous avons bien des instincts, mais l’un d’entre eux est précisément l’apprentissage. De ce que je comprends du reste de la page : l’expression faciale des émotions est un instinct. Même une personne qui n’a jamais vu d’autres personnes sourire dans la joie va le faire.
Idem pour la marche. Même un enfant aveugle finit par se mettre debout (un peu plus tard). Ce n’est donc pas quelque chose qu’on apprend par imitation.
Ensuite on a tous les réflexes de survie : l’instinct de vomir, de tousser, de déglutir, d’éternuer…
Plus surprenant pour moi : saluer les autres humains est un instinct. Mais, évidemment, pas le salut culturel :
La « salutation du regard » est un haussement des sourcils pendant 1/6e de seconde, lors de la rencontre de deux personnes se connaissant. Il est souvent accompagné d'un sourire et d'un léger hochement de tête ; ce comportement, entièrement instinctif, n'est aucunement modifié par la culture.
Encore plus étonnant pour moi : les comportements sexuels (ou plutôt sensuels) sont en fait des comportements parentaux. C’est probablement ce qui explique l’erreur de Freud sur le fait que les parents ont des comportements inconsciemment incestueux. En fait c’est l’inverse : c’est le sexe qui reproduit les comportements de soin qu’on a reçus :
Selon Irenäus Eibl-Eibesfeldt « nombre de comportements considérés comme typiquement sexuels — baisers, caresses, etc. — sont en fait, d'après leur origine, d'authentiques activités de soins aux jeunes.
(…)Le baiser labial et inter-buccal est une modification des activités alimentaires de nourrissage bouche à bouche des nouveau-nés et des petits enfants. Ce comportement de prémastication se retrouve chez tous les grands singes et est pratiqué, chez l'humain, dans des cultures très diverses
Donc on s’embrasse parce qu’on reproduit l’activité qui est faite pour nous nourrir. Lire ça me fait sentir comme un pigeon (l’oiseau) qui ignorait qu’il était un pigeon.
En revanche, le sexe oral est une activité typiquement sexuelle, mais également instinctive :
Le cunnilingus est une pratique extrêmement courante chez les mammifères il en est tout autrement de la fellation pratiquée, concernant l'ensemble de la classe des mammifères, exclusivement chez l'homme et chez le chimpanzé bonobo.
Je ne m’attendais pas à ce que la page wikipédia soit si fournie. Donc j’accélère et je saute plein de comportements instinctifs : peur de la maladie, peur de la mort, peur du vide, peur des serpents, mécanisme de fuite face à un danger….
Mais en tout cas je ne trouve rien sur la violence face aux enfants.
Un héritage qui se transmet
Je pense que l’explication est plutôt à trouver dans l’héritage. Tu dis toi-même “j’ai pris quelque roustes, pas mal de grosses gifles et "claques sur les fesses". Par conséquent, tu as intégré en toi cette possibilité, par simple mimétisme.
Je pense qu’il ne faut pas chercher plus loin que ça.
Car, au final, l’histoire que tu racontes est banale : un enfant qui ne veut pas prendre son bain c’est un enfant qui fait l’enfant. Y’a rien de grave. Au pire il ne le prend pas. Au pire il ne le prend jamais et il devient un adulte qui pue.
Est-ce que tu prendrais un adulte qui pue pour le condamner à un châtiment corporel jusqu’à ce qu’il arrête de puer ? Probablement pas ? Pourquoi ? Parce que tu n’as jamais vu ça. Si tu étais né dans une société qui pratique encore le châtiment corporel comme sanction judiciaire tu me dirais que oui, tu pourrais.
Du coup, si tes parents ne t’avaient jamais frappé, je ne pense pas que tu aurais ressenti cette émotion que tu décris comme un instinct. Et même s’ils ne t’avaient pas frappé, tu aurais pu voir le modèle ailleurs : dans un film, dans une autre famille. On frappe parce qu’on voit faire. De la même manière qu’on mange du cochon parce que tout le monde mange du cochon, mais on mange pas de chien parce que les autres ne le font pas. C’est pas un instinct de manger du cochon plus que du chien.
Mais… je ne peux que faire des suppositions. Je ne peux que t’encourager très fortement à poser la question directement à une psychologue. C’est comme ça que, moi, j’ai démêlé (j’ai pas fini) ça en moi.
"Et j’ai compris que j’avais malheureusement, involontairement, et inconsciemment acquis cet INSTINCT."
Un instinct ne s'acquiert pas, par définition.
Je pense tout simplement qu'il est choqué de découvrir qu'il peut avoir envie de violence, mais... c'est parfaitement normal.
La violence est un instinct naturel chez au moins tous les mammifères, si ce n'est toutes les espèces tout court. Les chimpanzés font des guerres entre eux et commettent même des actes de barbarie, j'ai vu de mes yeux un léopard tuer un chacal non pas pour le manger mais juste au cas où il pourrait attaquer son petit un jour (en tout cas c'est l'explication qu'on donne), des buffles attaquer de jeunes lions en l'absence des parents, ...
La violence est quotidienne dans la nature, et pas seulement pour des questions de survie directe, mais aussi pour maximiser sa survie à long terme, diminuer la compétition entre espèces, étendre son territoire, davantage transmettre son ADN... toutes les raisons sont bonnes.
Et ça a été le cas pendant l'extrême majorité de l'histoire humaine. On pourrait arguer que c'est encore le cas aujourd'hui, mais c'est rien par rapport à juste la fin du 19eme.
L'homme est un animal comme les autres, avec ses instincts, et c'est pas parce qu'on a une culture qui punit fortement la violence qu'on en a perdu l'instinct.
Oublier que nous sommes des animaux avec une biologie et une histoire évolutive est la source de plein de nœuds au cerveau inutiles.
Avoir envie de frapper qui que ce soit n'est pas tellement un souci en soi, le problème est de le faire.
J'ai très souvent eu envie de frapper des gens parce qu'ils "machaient trop fort" (en vrai c'est moi qui l'entend trop fort, misophonie tmtc), ça ne fait pas de moi quelqu'un d'horrible. J'ai juste une réaction biologique à un stimulus et mon instinct naturel est d'arrêter ce stimulus par la solution la plus facile : la violence.
Et ensuite bah t'es pas un sac à merde et donc tu ne le fais pas 😄
Je pense que plus vite on accepte que nos instincts sont naturels, plus vite on peut les ressentir sans agir dessus ni se sentir coupable.
Oh et il y a un très bon bouquin là-dessus (avec un très mauvais titre) : la Haine Orpheline de Peggy Sastre.