Les victimes-relais de l'inceste
Je crois que c’est le concept qui m’a le plus interpellé dans Ce que Cécile sait : journal de sortie de l’inceste.
Elle explique comment sa mère est à la fois victime de son père (viols conjugaux, violences verbales, etc) mais aussi son bras droit de l’inceste.
Ce rôle de bras droit c’est vraiment comme le gentil flic et le mauvais flic. Le gentil flic reste un flic.
C’était elle qui contrôlait ses filles. Alors, oui, quand il était violent, elle s’interposait mais pas en pensant qu’il avait tort… plutôt en pensant que ce n’était pas le bon moyen de punir.
Pendant des années j'ai mis en doute le contrôle exercé par mon père sur nous, car il posait très peu de questions sur ce que nous faisions. Il semblait avoir peu de prise sur nos fréquentations et nos choix. Je n'avais pas alors compris qu'il n'avait pas besoin de nous contrôler directement, puisque ma mère le faisait pour lui. Sous couvert d'amour et de relation de complicité, elle obtenait tout de nous : confessions et obéissance. Elle était véritablement le bras droit de mon père.1
Et, surtout, quand l’autrice a choisi de prendre la parole, la mère s’est rangée du côté du père.
La cariatide
La soeur de l’autrice est la pièce-maîtresse de l’édifice. Puisque… c’est elle qui va choisir d’inviter le père et de désinviter l’autrice à son mariage. C’est elle qui va dire que non mais ce que tu as vécu c’est toi, moi je ne peux pas couper les ponts avec les parents.
Or… c’est fondamental… si une seule des deux enfants dit que c’est grave, alors le déni peut continuer. Le père c’est pas seul contre tous. Au contraire c’est l’autrice qui est seule contre tous.
Mais ça reste des victimes
C’est pour ça qu’il faut éviter de vouloir tenir à tout prix un récit de gentils et de méchants. La mère est une victime et une complice à la fois. Même si la notion est dure à appréhender. Idem pour la soeur. Dans son cas c’est même encore plus déchirant :
L'inceste n'est pas qu'un crime (de masse): c'est une organisation sociétale.
D'abord, il y a l'enfant violé.e et il y a ses frères et ses sœurs. Qu'on se le dise : ses frères et ses sœurs sont AUSSI des victimes de l'inceste. On n'est pas témoin d'un viol répété, de ses traces sur le corps et la psyché d'une enfant avec qui on grandit sans être soi-même impacté·e (merci à Camille Kouchner de l'avoir montré). Et on a baigné autant que lui ou elle dans l'incestuel familial, ce poison qui tue à petit feu.
Ensuite, que tu le veuilles ou non, tu vis et tu respires l'inceste depuis que tu es petit.e. Fouille dans les secret de Polichinelle, les silences gênés, rappelle-toi ce grand-oncle dont on a dit au détour d'une conversation qu'il « tripotait » sa belle-fille, cette tante devenue schizophrène sans raison apparente, ce suicide inexpliqué...
Et même si dans le meilleur des cas, tu n'as rien vécu, rien entendu dans ta famille proche, tu as statistiquement grandi avec tout un tas d'enfants incesté·es qui n'allaient pas bien, et dont les bizarreries étaient moquées et stigmatisées à l'école. Tu as appris à les éviter, à rire avec les autres, à ne pas poser de question quand tu as un doute, ou quand tu l'apprends... C'est ça, faire la cariatide, la statue qui supporte l'édifice: c'est ce que la société attend de toi depuis toujours.2
Les adultes de référence qui minimisent
Dans l’exemple pris par l’autrice c’est encore la mère :
Mais on a également toutes les personnes qui utilisent des euphémisme. Les tantes, les oncles… tous ces gens qui vont accepter le narratif minimisant : untel tripote ses enfants au lieu de c’est un père incestueux, par exemple.
Ou les inconnus qui vont se moquer de l’enfant traumatisé·e. L’autrice raconte une scène saisissante dans le bar de sa grand-mère où elle recule en disant Pas touche après qu’un vieux lui ait posé la main sur la cuisse.
Et… tous les adultes sont hilares.
Au lieu de se demander pourquoi l’enfant réagit aussi fort, on rigole.
Et ceux qui ne rigolent pas, se taisent… regardent et retournent à leur vie normale.
Source
Toutes les planches sont extraites de l’incroyable livre Ce que Cécile sait de Cécile Cée que je t’invite vraiment vraiment à lire :
https://www.marabout.com/livre/ce-que-cecile-sait-9782501189651/
https://www.fnac.com/a20562241/Cecile-Cee-Journal-de-sortie-d-inceste
https://www.amazon.fr/Ce-que-Cécile-sait-dinceste/dp/2501189655
Ce que Cécile sait - Cécile Cée
Idem