On en parlait cette semaine : ce qui a lancé la généralisation de la monogamie ce n’est pas la religion mais bien l’agriculture. Mais l’agriculture n’a pas fait que ça. De manière générale : l’agriculture a été une catastrophe sur la vie des individus.
Ça peut t’étonner si tu te rappelles de tes cours à l’école : on nous parle de l’agriculture comme d’une des avancées les plus majeures de l’humanité.
Et c’est vrai : à l’échelle collective et si on prend le progrès technologique comme échelle de valeur.
Cependant, à l’échelle individuelle et si on prend le bonheur comme échelle de valeur, c’est une toute autre histoire.
Les effets dramatiques de l’agriculture sur une vie
Dans le monde entier, le passage à l’agriculture s’est accompagné d’une baisse spectaculaire de la qualité du régime alimentaire et de la santé globale de la plupart des gens. Décrivant ce qu’il appelle « la pire erreur de l’histoire de l’humanité », Jared Diamond écrit ainsi : « Les chasseurs-cueilleurs pratiquaient le style de vie le plus réussi et le plus durable de l’histoire de l’humanité. En revanche, conclut-il, nous sommes toujours aux prises avec le désordre dans lequel l’agriculture nous a plongés, et il n’est pas certain que nous puissions le résoudre. »
En termes de santé individuelle, il n’y a pas photo : avant l’agriculture les gens vivaient plus longtemps et avaient une meilleure alimentation que les gens qui ont vécu après l’agriculture et avant le XXème siècle européen.
Marvin Harris le dit simplement : « Les populations de l’âge de pierre vivaient en meilleure santé que la plupart des gens qui sont venus immédiatement après elles ».
Oui, les gens vivaient plus longtemps ! Si tu n’étais pas là aux débuts de l’Atelier c’est peut-être une surprise pour toi. Mais, il y a quelques années j’avais écrit un email sur le sujet. Pour réfuter le mythe qui nous fait croire que nos ancêtres mourraient à 30 ans.
Oui, l’espérance de vie était de 30 ans. Mais l’espérance de taille était de 89 cm. Est-ce que ça veut dire que si jamais je te transporte à l’âge de pierre, tu te retrouveras dans une caverne des adultes qui ont généralement moins de 30 ans et qui font 89 cm ?
Bien sûr que non.
En fait c’est un souci de compréhension de ce qu’est l’espérance. L’espérance c’est une moyenne générale. Elle n’exclut aucun élément du calcul. Donc… si sur 10 personnes qui naissent à l’âge de pierre tu as 3 personnes qui meurent à 80 ans et 7 qui meurent à 1 an… ça fait une espérance de vie de : 80 + 80 + 80 + 7 / 10 = 24,7 ans.
Bon… ce chiffre est un peu inutile. C’est pour ça que quand tu étais à l’école on a dû te dire que la moyenne ne doit pas être utilisée quand l’ensemble comprend des valeurs extrêmes.
Ce qui est vrai c’est que beaucoup de nourrissons mourraient jeunes, à cause du manque de connaissances scientifiques pour l’empêcher. En revanche… les personnes qui vivaient vieilles… vivaient vieilles.
D’ailleurs en parlant de taille, les humains de l’âge de pierre étaient plus grands que nous, notamment parce qu’ils vivaient mieux
Les châteaux et les musées d’Europe regorgent d’armures trop petites pour être portées par le plus petit des hommes modernes. Si nos ancêtres médiévaux étaient minuscules par rapport aux normes modernes, l’archéologue Timothy Taylor pense que les ancêtres humains qui ont été les premiers à maîtriser le feu – il y a environ 1,4 million d’années – étaient plus grands que l’individu moyen d’aujourd’hui.
Des squelettes déterrés en Grèce et en Turquie montrent que les hommes de l’époque préagricole de ces régions mesuraient en moyenne 1,80 m, les femmes 1,65 m. Mais avec l’adoption de l’agriculture, la taille moyenne a chuté. Les Grecs et les Turcs modernes restent moins grands, en moyenne, que leurs lointains ancêtres.
Dans la plupart des endroits du monde, on essaie encore de rattraper on essaie encore de revenir à cette longévité. En Europe et aux USA c’est fait depuis le XXe siècle grâce à des progrès de médecine et des techniques d’agriculture. Mais, dans le reste du monde, on en est encore à essayer de retrouver ça.
Pourquoi l’agriculture est si dévastatrice ?
Mais pourquoi Diable tant de ravages ?
Le premier truc qu’il faut comprendre c’est que l’agriculture engendre des famines. Là encore ça nous surprend parce qu’on imagine l’inverse. On a en tête les récits des grandes famines par exemple au Moyen-âge et on se dit ça devait être l’enfer à l’âge de pierre.
Mais pas du tout. C’est l’inverse.
Une société nomade quitte les endroits où il n’y a plus de nourriture. Contrairement aux sédentaires qui ne bougent pas car leur vie est dans l’endroit, il suffit de bouger.
De même on pourrait croire que l’agriculture empêche de vivre les variations de nourriture disponible. Oui c’est vrai à l’échelle d’un endroit délimité.
Effectivement, si tu te donnes pour règle de toujours rester à un endroit fixe alors il n’y a que l’agriculture qui permet ça. Ce n’est pas pour rien si les deux phénomènes sont concomitants : les sociétés développent l’agriculture ET se sédentarisent.
Donc en effet… l’agriculture permet de transformer un truc impossible (avoir assez de nourriture dans le même endroit) en truc possible.
Mais ça ne veut absolument pas dire qu’avant on mourrait de faim. Avant on se déplaçait.
D’ailleurs c’est la raison pour laquelle les sociétés restantes de chasseurs-cueilleurs refusent notre mode de vie. Leur réponse c’est toujours : mais y’a de la nourriture partout dans le monde, pourquoi on ferait ça ?
Ce qui nous ramène à l’éternelle question posée par les chasseurs-cueilleurs à qui l’on propose de rejoindre le monde « civilisé » et d’adopter l’agriculture : pourquoi ? Pourquoi travailler si dur alors qu’il y a tant de noix de mongongo dans le monde ? Pourquoi se stresser à désherber le jardin alors qu’il y a « abondance de poissons, de fruits et d’oiseaux » ?
L’autre problème de l’agriculture c’est qu’elle engendre des maladies abominables. Pour deux raisons, la première c’est que les humains se regroupent dans une énorme densité (la ville) et la seconde c’est que les animaux domestiques nous transmettent des maladies mortelles.
Par exemple :
La rougeole, la tuberculose et la variole viennent des vaches . D’ailleurs le mot vaccin vient du latin vaccina qui veut dire vache. Parce que la première fois qu’on a utilisé cette technique c’était pour la variole.
La grippe porcine et la coqueluche vient des porcs
Enfin, l’agriculture a également poussé à l’explosion des guerres, parce que d’un coup il pouvait être intéressant pour une communauté d’en piller une autre. Si bien que l’avance économique européenne aujourd’hui s’explique principalement par le fait qu’elle ait pillé les Amériques puis l’Afrique et l’Asie.
La vie des chasseurs-cueilleurs
Si tu imagines les chasseurs-cueilleurs dans une lutte acharnée pour trouver des Mammouths une fois tous les mois… tu as été victime du mythe de l’homme qui subvenait aux besoin de la caverne dans la douleur. La réalité c’est que les femmes produisaient au moins la moitié de la nourriture, parfois même plutôt 60-70% parce que… flash news… on peut manger autre chose que de la viande !
Même les Aborigènes australiens, qui vivaient dans un pays apparemment impitoyable et vide, n’avaient aucun mal à trouver suffisamment à manger (et à dormir environ trois heures par après-midi en plus d’une nuit complète de repos). Les recherches de Richard Lee auprès des Bochimans !Kung San du désert du Kalahari au Botswana indiquent qu’ils ne passent qu’une quinzaine d’heures par semaine à se procurer de la nourriture.
« Une femme ramasse en un jour assez de nourriture pour nourrir sa famille pendant trois jours, et elle passe le reste de son temps à se reposer dans le camp, à faire de la broderie, à visiter d’autres camps ou à recevoir des visiteurs d’autres camps. Pour chaque journée à la maison, les routines de cuisine, comme la cuisson, le cassage des noix, le ramassage du bois de chauffage et la corvée d’eau, occupent une à trois heures de son temps. Ce rythme de travail et de loisirs réguliers est maintenu tout au long de l’année. »
Un jour ou deux de travail léger suivi d’un jour ou deux de repos. Qu’en diriez-vous ?
De plus, la nourriture était plus variée.
Le régime alimentaire humain typique est passé d’une extrême variété et d’une grande richesse nutritionnelle à quelques types de céréales, éventuellement complétés par de la viande et des produits laitiers occasionnels. Le régime alimentaire des Aché, par exemple, comprend 78 espèces différentes de mammifères, 21 espèces de reptiles et d’amphibiens, plus de 150 espèces d’oiseaux et 14 espèces de poissons, ainsi qu’un large éventail de plantes.
Je ne sais pas pour toi, mais je pense que j’ai dû manger dans ma vie 4 ou 5 espèces de mammifères, 0 espèce de reptiles, 3 ou 4 espèces d’oiseaux… et oui peut-être une quinzaine d’espèce de poissons aussi.
L’explosion de l’égoïsme
L’autre drame de l’agriculture c’est qu’elle nous a isolé. En effet, c’est chacun pour soi pour accumuler.
Et surtout… comme subitement nous passons d’une société de l’abondance de nourriture (chasse et cueillette) à une société de pénurie et de famine (agriculture) c’est normal que nos comportements changent.
Si je sais que je dois me battre pour manger et que ce que mange mon voisin m’est retiré… c’est un autre monde.
Nombreux sont ceux qui ont remarqué l’approche étrangement désinvolte de la nourriture chez les chasseurs-cueilleurs, qui n’ont rien dans le congélateur.
Le missionnaire jésuite français Paul Le Jeune, qui passa quelque six mois chez les Montagnais dans l’actuel Québec, a été exaspéré par la générosité des autochtones. « Si mon hôte prenait deux, trois ou quatre castors, écrit Le Jeune, que ce soit le jour ou la nuit, ils faisaient un festin pour tous les Sauvages voisins. Et si ces gens avaient capturé quelque chose, ils en avaient aussi un en même temps ; de sorte qu’en sortant d’un festin, on allait à un autre, et parfois même à un troisième et à un quatrième. » Lorsque Le Jeune essaya d’expliquer les avantages de conserver une partie de leur nourriture, « ils se sont moqués de moi. “Demain (disaient-ils) nous ferons un autre festin avec ce que nous aurons capturé” »
L’anthropologue israélienne Nurit Bird-David explique : « Tout comme le comportement des Occidentaux est compréhensible par rapport à leur hypothèse de pénurie, le comportement des chasseurs-cueilleurs est compréhensible par rapport à leur hypothèse d’abondance.
Pire encore… la pénurie nous rend vulnérables face aux individus mégalomanes qui prennent le pouvoir. Déjà parce que le chef possède désormais un moyen de contrainte : la nourriture et le logement.
Dans une société de chasseur-cueilleur, un dictateur ne ferait pas long feu : tout le monde le laisserait en plan : venez on va aller faire des maisons ailleurs il est malade ce type. Les “faibles” peuvent laisser le “fort” tout seul sans qu’on puisse les en empêcher.
Ça donne une société obsédée par l’égalité. Mais pas parce qu’iels étaient de naissance meilleur·es. Non c’est le contexte qui pousse à ça. Ça donne des sociétés où les gens qui vivent dans une communauté vivent ensemble parce qu’iels le désirent.
Source :
Comme tout le reste de la semaine : Sex At Dawn (Au commencement était le sexe)
Mon article sur l’espérance de vie, mentionné plus haut :
Les périodes de malnutrition plus prolongée laissent sur les dents des signes connus sous le nom d’hypoplasies : ce sont des bandes décolorées et de petits trous à la surface de l’émail, qui peuvent encore être observés des siècles plus tard sur des restes fossilisés. Les archéologues trouvent moins de lignes de Harris et d’hypoplasies dentaires dans les restes des populations préhistoriques de chasseurs-cueilleurs que dans les squelettes des populations sédentaires qui vivaient dans des villages dépendant de la culture pour leur alimentation. Comme ils étaient très mobiles, les chasseurs-cueilleurs ne risquaient pas de souffrir d’une famine prolongée car, dans la plupart des cas, ils pouvaient simplement se déplacer vers des zones où les conditions étaient meilleures. Environ huit cents squelettes provenant des monticules de Dickson, dans la basse vallée de l’Illinois, ont été analysés. Ils révèlent une image claire des changements sanitaires qui ont accompagné le passage de la recherche de nourriture à la culture du maïs, vers 1200 après J.-C.
L’archéologue George Armelagos et ses collègues ont rapporté que les restes des agriculteurs montrent une augmentation de 50 % de la malnutrition chronique et une incidence trois fois plus élevée de maladies infectieuses (indiquées par des lésions osseuses) par rapport aux chasseurs-cueilleurs qui les ont précédés. En outre, ils ont trouvé des preuves d’une mortalité infantile accrue, d’un retard de croissance chez les adultes et d’une multiplication par quatre de l’hyperostose porotique, indiquant une anémie due à une carence en fer chez plus de la moitié de la population188.
De plus, de même que nous analysons, voire prédisons, le comportement des Occidentaux en supposant qu’ils se comportent comme s’ils n’avaient pas assez, nous pouvons analyser, voire prédire, le comportement des chasseurs-cueilleurs en supposant qu’ils se comportent comme s’ils avaient tout ce qu’il faut [c’est nous qui soulignons]190. »
Alors que les agriculteurs travaillent dur pour faire pousser du riz, des pommes de terre, du blé ou du maïs, le régime alimentaire d’un chasseur-cueilleur est caractérisé par une variété de plantes et de créatures nutritives. Mais quel travail représentent la chasse et la cueillette ? Est-ce un moyen efficace de se procurer un repas ? L’archéologue David Madsen a étudié l’efficacité énergétique de la recherche de grillons mormons (Anabrus simplex), qui figuraient au menu des autochtones de l’Utah actuel. Son groupe a collecté des grillons à un rythme d’un peu plus de huit kilogrammes par heure. À ce rythme, Madsen a calculé qu’en une heure de travail, un chasseur-cueilleur pouvait récolter l’équivalent calorique de quatre-vingt-sept hot dogs, quarante-neuf tranches de pizza ou quarante-trois Big Macs, sans les graisses et les additifs qui provoquent des maladies cardiaques191. Avant de vous moquer de l’attrait culinaire des grillons mormons, pensez à ce qu’on met dans les saucisses… Une autre étude a révélé que sur un mois les !Kung San (dans le désert du Kalahari) consommaient en moyenne 2 140 calories par jour et 93 grammes de protéines. Jetha Christopher, Cacilda Ryan. Au commencement était le sexe (pp. 208-209). Alisio. Édition du Kindle.
Jetha Christopher, Cacilda Ryan. Au commencement était le sexe (p. 213). Alisio. Édition du Kindle.
Comme nous l’avons mentionné dans les chapitres précédents, il est clair que la santé globale de l’homme (y compris sa longévité) a été durement touchée par l’agriculture.
Jetha Christopher, Cacilda Ryan. Au commencement était le sexe (p. 243). Alisio. Édition du Kindle.
Jetha Christopher, Cacilda Ryan. Au commencement était le sexe (p. 247). Alisio. Édition du Kindle.
Salut Nicolas, merci beaucoup, j'ai trop appris en si peu de mots, pour ne pas m'abonner. ^^
Bon je te suis depuis pas mal de temps, bien sûr.
Mais là, cette démonstration simple et basique du poison qu'est l’agriculture, avant même d’aujourd'hui, polluer les sols, tuer les insectes, et le vivant, les paysans eux-mêmes et enrichir Bayer. (Sigh)