Pendant longtemps j’ai cru que les psys m’étaient inutiles à cause de leur ignorance raciale. Je disais même que le but de ma thérapie c’était de comprendre comment survivre dans une société blanche.
Avec le recul je comprends que ça ne jouait pour même pas 20% du problème que je sentais. L’essentiel de mon souci c’était de comprendre comment survivre dans une société non-autiste.
Non pas que l’oppression vécue en tant qu’autiste soit plus forte que celle vécue en tant que Noir. Mais parce que ma condition noire je la connais très bien. En 2018 j’ai vraiment eu mon big bang personnel où je découvre la pensée antiraciste.
Ça fait que quand je vis du racisme c’est comme me prendre un coup de poing après avoir fait 10 ans de boxe : je vois venir, je repère le type de coup de poing (et je connais même son nom), puis je sais comment esquiver. Mais sur la condition autistique c’était comme me prendre des coups de poings dans le noir, sans jamais avoir fait de cours de boxe. Je ne comprenais même pas la nature.
En revanche c’est grâce à mon entraînement antiracisme que je sentais une similarité. C’est ce qui fait que quand on m’attaquait sur un trait autistique je disais que c’était du racisme. Parce que je n’avais pas d’autre cadre de pensée pour expliquer que je me sentais à ce point déshumanisé. Je suis un homme cis hétérosexuel... je ne voyais donc pas comment je pouvais ressentir ce sentiment déshumanisant autrement que parce que je suis Noir.
Et, évidemment, souvent ça se mélange. Par exemple c’est vrai que les non-autistes ont du mal à lire les expressions faciales des autistes. Mais c’est aussi vrai que les blancs ont du mal à lire les expressions faciales des noirs.
Certain·es psys autistes pensent que la thérapie est inefficace
Dans son livre The Autistic Survival Guide to therapy (Le guide autistique de survie à la thérapie), Steph Jones interroge des psys autistes pour leur demander leur avis sur l’efficacité des thérapies menées par des psys non autistes sur des autistes.
Voici un exemple de témoignage de Sarah Hendrickx (aussi autrice sur l’autisme) :
Non. Et mon expérience de thérapie avec plus de 1000 personnes va dans le même sens.
Les thérapies traditionnelles semblent avoir une orientation neurotypique et visent à ramener une personne à un fonctionnement « normal » – sociabilité, variété, etc. Cette approche est clairement inadéquate pour les personnes neurodivergentes et peut les amener à se sentir non seulement en échec dans leur vie, mais aussi en échec dans leur thérapie, parce qu’elles ne « font pas assez d’efforts ».
Les approches qui se concentrent sur le passé comme explication des comportements/pensées peuvent être trompeuses. Selon mon expérience, les personnes autistes semblent préférer des stratégies pratiques pour gérer leurs défis plutôt que de chercher à savoir à qui/quoi en attribuer la faute.
J’ai consulté de nombreux thérapeutes avant et après mon diagnostic, et presque tous ont été décevant·es. Je me suis sentie pire après les avoir vus.
Un hypnothérapeute m’a récemment dit qu’il aimerait avoir mes problèmes, parce que je ne travaillais qu’à temps partiel alors que lui devait cumuler deux emplois. Je l’avais consulté pour des crises de panique qui m’avaient rendue agoraphobe pendant plusieurs années, me faisant perdre ma carrière de conférencière et de formatrice.
Un thérapeute en TCC (thérapie cognitivo-comportementale) m’a reçue. Lorsque j’ai révélé être autiste, j’ai passé deux séances (que j’ai payées) à lui enseigner ce qu’était l’autisme et comment il devait travailler avec moi. Il semblait complètement dépassé et en savait moins que moi, alors j’ai abandonné.
La seule expérience positive que j’ai eue remonte à plusieurs années, avant que je ne sache quoi que ce soit sur l’autisme. J’étais dans une période très difficile, et cette personne était simplement extrêmement sage et douce. Un peu trop vague et spirituelle pour moi, mais j’ai continué avec elle parce qu’elle m’acceptait pleinement.
Elle ne savait rien sur l’autisme, mais j’imagine que j’ai simplement eu de la chance.1
Un autre témoignage de Christin Fontes :
Les chances qu’un·e thérapeute neurotypique connaisse suffisamment l’expérience neurodivergente pour adapter sa thérapie et aider un client neurodivergent sont quasi nulles.
J’ai été extrêmement chanceuse. La thérapie traditionnelle par la parole a “fonctionné” pour moi à un niveau situationnel. J’avais un problème avec un collègue, alors nous avons travaillé à naviguer cette situation. Il y avait des conflits au sein de ma famille, alors nous avons élaboré des stratégies pour sortir de ces conflits sans endommager les relations.
Cependant, avec du recul, cette thérapie ne m’a pas donné les outils pour comprendre mes expériences et appliquer ces compétences de manière générale dans différents domaines de ma vie.
La thérapie traditionnelle par la parole a fonctionné jusqu’à ce que mes thérapeutes (au pluriel, parce que cela s’est produit avec plusieurs) pensent que je cherchais désespérément des raisons de rester en thérapie, ou que je trouvais des excuses pour ne pas avancer. Je suis devenue le problème. Plus précisément, mon autisme non diagnostiqué est devenu le problème.
Et pour cela, j’ai été blessée par plusieurs thérapeutes. Bien que ce soit leur travail de comprendre ma situation, leur travail de m’aider, ils ne l’ont pas fait.
Je n’ai jamais reçu les outils pour rendre la vie un peu plus facile. J’ai apporté des traumatismes de ma vie réelle dans les cabinets des thérapeutes et je suis repartie avec de nouveaux traumatismes.
En résumé, je pense que les thérapies traditionnelles neurotypiques peuvent fonctionner, mais il faut un alignement quasi miraculeux pour que ce soit le cas – et trop souvent, ce n’est pas le cas.2
Je confirme : j’ai fait 4 thérapies de plus de 3 séances. Je suis reparti avec un nouveau trauma dans 3 d’entre elles. Et… à chaque fois c’était lié à un trait autistique. Soit je disais un truc perçu comme brutal, soit mon expression faciale n’allait pas. Je ne pouvais pas être si mal que ce que je disais puisque ma tête était neutre.
Pourquoi ça ne marche pas
On pourrait en faire un livre entier mais voici quelques points récurrents.
Impossibilité de vivre l’expérience autistique
De manière assez évidente c’est comme aller voir un psy homme cis quand on est une femme : il risque d’avoir des lacunes
Les psys ne sont pas formé•es à l’autisme
Steph Jones est psy. Pourtant, elle a fait plus de 9 psys différent•es avant de comprendre qu’elle était autiste. Et c’est même pas le psy qui lui a dit ! C’est une patiente à elle !
Tu imagines ? Si une psy autiste ne sait pas identifier qu’elle est autiste comment veux tu que les psys non autistes savent repérer des autistes ? Et son expérience n’est pas l’exception mais la norme : beaucoup d’autrices autistes sont des autistes ayant une formation en psychologie ou en psychothérapie. Et pourtant elles découvrent leur autisme très tard.
Tu peux aller voir un·e psy et lui décrire les traits les plus évidents de l’autisme sans qu’il ou elle ne fasse le lien. C’est même l’expérience ultra-majoritaire.
L’obsession pour le passé et la causalité
Un des soucis qu’on rencontre souvent c’est que les psys vont essayer d’expliquer les traits autistiques avec un événement du passé. Vous avez du mal avec ceci parce qu’il s’est passé ceci dans votre enfance. Sauf que… on naît autiste. Donc, oui un événement peut effectivement exacerber un trait mais il ne faut pas oublier leur nature. On revient à ce que je te disais au début de la semaine : à force de me demander ce qui dans mon passé expliquait que j’aimais pas Noël, je suis passé à côté du fait que c’est juste dans mon caractère profond.Les dégâts psychologiques
Les psys neurotypiques font souvent plus de mal que de bien. Par exemple en posant le diagnostic « tu es borderline ». Ou, pire encore, un autiste a été déclaré comme ayant un retard intellectuel parce qu’il refusait de s’engager dans le small talk ...
Alors que si c’est moi qui décidais, je dirais plutôt que c’est les gens qui s’engagent dans le small talk qui me paraissent avoir un retard intellectuel. Ça va dans les deux sens. Et c’est évidemment une impression fausse.
Trop d’implicites
Avec ma première psy j’étais perdu en permanence car elle n’a jamais énoncé les règles. Pourtant elle se référait souvent au « cadre ». J’ai donc moi-même cherché dans les livres ce qu’était ce fameux cadre. J’ai découvert qu’une des règles c’est qu’il fallait tout dire mais jamais rien faire physiquement.
Je lui ai redemandé les règles elle a plus ou moins validé celle-ci en restant mystérieuse.
Puis un jour elle a déclaré que j’étais sorti du cadre en faisant un « passage à l’acte » c’est-à-dire en ayant dit un truc qui fallait pas dire.
Alors déjà un passage à l’ACTE qui consiste à DIRE DES MOTS mon cerveau ne sait toujours pas ce que ça veut dire.
Mais surtout ça montre le souci : cet amour des codes implicites est allergène pour les autistes
La thérapie ABA
Il existe une thérapie qui s’appelle ABA et qui prétend pouvoir « guérir » l’autisme. Ça consiste notamment à infliger des chocs électriques à la personne autiste pour changer son comportement. Cette thérapie est très appréciées des parents et d’une partie de la communauté psy parce que l’autiste arrête de faire chier. Mais je n’ai pour l’instant trouvé aucun·e autiste qui en parle autrement que comme une torture inefficace.
Sans aller jusque là, certain·es psy se disent que y’a du bon à prendre dans la thérapie ABA. Mais comme le dit Angela Kingdon dans le podcast The autistic culture podcast :
Y’a autant de bon dans la thérapie ABA qu’il y a du bon dans les thérapies de conversion des homosexuels.3
La psychothérapie centrée sur l’autisme
Matt Lowry est un psy autiste qui, avec des collègues psys autistes a inventé une thérapie spécifique à l’autisme4, pour des thérapeutes autistes. Ça se compose de 4 piliers :
Une communication autiste
Un travail de revendication
Un travail sur les traumas
La création de systèmes pour assurer la maintenance du corps
Pilier #1 : Une communication autiste
Par exemple, ne pas commencer une thérapie par comment vous sentez-vous ou parlez-moi de vous. Angela Kingdon raconte comment elle faisait des insomnies angoissée avant chaque séance de psy car elle savait qu’on allait lui demander de dire comment elle se sent. Ce n’est pas mon cas mais à peu près la moitié des autistes ont ce qui s’appelle l’alexithymie (comme beaucoup de TDAH, et 15% des neurotypiques).
Une personne alexithymique est incapable d’identifier facilement les émotions qu’elle ressent.
Plutôt que de demander comment vous sentez-vous il vaut mieux demander avez-vous vécu de l’anxiété cette semaine ? Une question spécifique, précise au premier degré.
Idem en ce qui concerne toute cette manie du positionnement ambigu où la psy se met en surplomb sans dire ce qu’elle cherche. Ça marche sur les non-autistes (même si ça en énerve certain) mais c’est une horreur quand on est autiste.
Ou alors, quand on travaille avec un enfant, au lieu de l’engager dans du small talk, il vaut mieux lui parler de ses intérêts spécifiques.
Pilier #2 : Un travail de revendication
Le/la psy va aider la personne à revendiquer ses besoins auprès de ses proches, à aménager sa vie. On va également travailler sur des méthodes de compensation adaptées. Par exemple, une des thérapies les plus valides scientifiquement, la TCC, repose sur des stratégies de modifications du comportement qui sont tout simplement impossibles pour un·e autiste.
Enfin, on va encourager la personne autiste à envisager la partie militante de l’autisme et trouver sa place dans la communauté.
Pilier #3 : Un travail sur les traumas
On ne sait pas s’il existe des autistes sans traumas. Parce que vivre dans un monde inadapté crée le traumatisme de l’expérience minoritaire :
Mais alors, pourquoi les personnes autistes souffrent-elles davantage de troubles comme l'anxiété ou la dépression ? Pour tenter de répondre à cette question, des chercheurs·euses se sont intéressé·e·s au modèle du stress minoritaire. On doit ce modèle à Meyer.
Le stress minoritaire désigne le stress spécifique que subissent les minorités du fait de leur statut. Par exemple, les personnes homosexuelles subissent des insultes, des micro-agressions, des discriminations. Elles vont aussi se dévaloriser à cause de l'homophobie intériorisée, et gérer le coût cognitif qu'engendre le fait de devoir parfois cacher son identité.
Tous ces facteurs de stress sont sociaux car liés à des expériences de stigmatisation. (...)
Le modèle du stress minoritaire peut contribuer à expliquer les disparités qui existent entre la santé mentale et physique des groupes minoritaires qui sont stigmatisés et les autres. Vous commencez à voir le lien avec l'autisme?5
Et, sans surprise, on obtient la même recommandation que les autres oppressions :
Deux chercheurs, Botha et Frost ont récemment appliqué le modèle du stress minoritaire à la population autiste. Ils ont analysé si et dans quelle mesure les facteurs de stress sociaux pouvaient influer sur la santé mentale des personnes autistes.
Les résultats montrent que les facteurs de stress minoritaire sont significativement associés à une détérioration du bien-être psychologique et à une augmentation de la détresse psychologique.
Par exemple, la dissimulation de son autisme et le fait de s'attendre à être rejeté ont été fortement corrélées avec une baisse du bien-être social et psychologique.
Cette étude, co-menée par Monique Botha, est la première à avoir appliqué le modèle du stress minoritaire à la communauté autiste. Ses résultats ouvrent des perspectives intéressantes en faisant le lien entre stigmatisation sociale et santé mentale.
Il semblerait par ailleurs que la connexion communautaire autistique soit un facteur clé du bien-être pour les personnes autistes.
Se retrouver entre soi peut jouer un rôle crucial dans la réduction de l'isolement social, l'amélioration de l'estime de soi, et la résilience face au stress minoritaire. Raison de plus pour que les personnes autistes se retrouvent ensemble, s'organisent collectivement et s'entraident !6
Pilier #4 : La création de systèmes pour assurer la maintenance
Ici on parle de toutes les choses pour compenser par exemple le manque d’intéroception chez beaucoup d’autistes, c’est-à-dire la capacité à sentir ses besoins physiologiques. Par exemple moi je ne sens pas la soif donc je peux passer des journées entières sans boire. Sauf que c’est très néfaste à ma santé. Donc ici il s’agirait de créer un système : par exemple des alarmes.
Ou alors le manque de fonction exécutive chez moi (et beaucoup d’autistes) se traduit en phobie administrative, donc le psy pourrait m’aider à justement y arriver quand même. Steph Jone explique même que carrément elle passe les appels pour ses patient·es… le rêve !
The autistic survival guide to therapy - Steph Jones
Idem
L’autisme autrement - Julie Dachez
Idem