Les parisiens sont-ils des connards trouillards ?
Que ce soit les parisiens ou d’autres citadins (New-Yorkais par exemple), on a régulièrement cette accusation en insensibilité. Notamment en se reposant sur le fait que des personnes se font agresser dans la rue sans que les témoins n’interviennent.
Alors déjà… ça a un peu changé après les attentats du Bataclan où on a vu énormément d’actes héroïques se dérouler.
Mais revenons sur l’origine de ce mythe.
Parce que oui… c’est bien un mythe.
Le meurtre de Kitty Genovese
Je t’épargne les détails gore pour un résumé : Kitty Genovese a été poignardée en pleine rue new-yorkaise, la nuit.
Elle a eu le temps d’appeler à l’aide, de crier. L’assaillant a été repoussé par un voisin qui a crié depuis sa fenêtre laissez-la tranquille. Mais ensuite, quand il a vu que personne ne venait l’aider, il est revenu pour finir le travail.
Là encore elle a hurlé. Mais personne ne l’a aidée. Personne n’a appelé la police pendant l’agression.
Pendant cette seconde attaque, plusieurs habitants de l'immeuble de Kitty furent réveillés par le bruit de l’agression. Les témoins présents avouèrent par la suite qu’ils étaient au courant que quelque chose se passait, à cause des bruits et des appels à l'aide lancés par Kitty.
Une femme reconnut qu’elle avait suivi l’agression jusqu'au bout avec son mari, mais qu’elle interdisait à ce dernier d’intervenir. Selon un autre témoin, il faisait trop froid pour mettre les pieds dehors. Un autre témoin croyait, lui, qu’il s’agissait d’une querelle amoureuse ; et un dernier est allé jusqu’à monter le son de sa radio pour ne plus entendre les cris de détresse
Au total, 38 personnes ont été témoin de l’agression, sans rien faire :
L'article de Martin Gansberg se termine par des témoignages anonymes de voisins interrogés sur les raisons qui ont fait qu'ils n'ont pas prévenu la police. Les raisons de leur non-intervention furent choquantes. Ils déclarèrent ainsi : « Nous pensions qu'il s'agissait d'une querelle d'amoureux », « Franchement, nous avions peur » ou encore « J'étais fatigué, je suis retourné me coucher. »1
L’effet du témoin
De cet événement a découlé toute une recherche pour comprendre ce qui a pu se passer. On a appelé ce mécanisme : l’effet du témoin (ou effet Kitty Genovese).
En gros, ce qu’on mesure c’est que plus il y a des gens autour d’une personne en détresse et moins il y a de chances qu’une personne vienne à son secours.
Ça paraît fou.
Mais déjà ça explique l’intuition envers les citadins des énormes villes. Dans une grosse ville, quand une situation de détresse arrive il y a souvent beaucoup de témoins.
Dans la première de ces études (Darley & Latané, 1968), des participants étaient placés dans une situation où un individu qu’ils entendaient au moyen d’un interphone était victime d’une crise d’épilepsie.
Cette crise survenait au cours d’une discussion par interphone interposé pour laquelle on faisait va- rier le nombre d’intervenants supposés être présents. Les participants devaient prendre part à une discussion par interphone avec une, deux, ou cinq autres personnes se trouvant toutes dans des pièces séparées. L’une de ces personnes, un compère, à un moment donné de la discussion, simulait une crise d’épi- lepsie.
Darley et Latané s’intéressaient à la réaction du participant lorsqu’il entendait la crise de la victime. Or, en dehors de cette pseudo victime, les autres éventuels participants étaient fictifs. Seul le participant entendait ainsi réellement cette crise. Les résultats obtenus montrent que les participants in- terviennent d’autant moins qu’ils considèrent que d’autres témoins assistent à la scène.
En effet, quand le participant croit qu’il est le seul témoin, il intervient dans 85 % des cas alors que ce taux d’intervention est de 62 % quand un autre témoin est censé être présent, et de seulement 31 % quand le participant pense que quatre autres témoins assistent à la crise.
Le simple fait qu’ils pensent que quelqu’un d’autre assiste à la crise d’épilepsie réduit largement les chances que les individus décident d’apporter leur aide à la victime.2
Et non seulement les gens agissent davantage quand ils sont seuls mais en plus ils prennent la décision d’agir beaucoup plus rapidement : 52 secondes quand ils pensent être le seul témoin versus 2 minutes 46 quand ils pensent être quatre témoins.
Ça n’a donc rien à voir avec le courage ou la bonté d’âme. C’est ce qu’on appelle la dilution de responsabilité. Tu l’as probablement déjà ressenti. Même quand la sonnerie d’une porte retentit et que vous êtes plusieurs à pouvoir y aller y’a un grand moment de flottement.
Les mécanismes en jeu
On l’a dit, il y a l’effet de dilution de responsabilité : pourquoi c’est moi qui devrait y aller alors qu’une autre personne peut y aller ?
Mais pas que. Parce que si c’était que ça on pourrait quand même dire ouais les gens sont un peu des connards quand même.
Mais pour avoir déjà été dans les deux cas : celui où j’interviens et celui où j’interviens pas, le mécanisme suivant est hyper important.
Ce mécanisme c’est : est-ce vraiment une situation de détresse ?
C’est tout con mais quand une telle situation survient, on va chercher des signes de la détresse. C’est d’ailleurs là que le groupe agit très négativement car chaque personne va se servir de la réaction des autres pour jauger la situation.
Donc en gros, tu as des gens qui se regardent en chien de faïence sans rien laisser transparaître tant qu’ils ont rien vu transparaître chez les autres… cercle vicieux.
Et on se dit mais si je me trompe ?
Imagine j’interviens auprès de cette personne en détresse et finalement elle ne l’était pas ? De quoi aurais-je l’air ?
Une vidéo canular
Dans cette vidéo, le Youtubeur commence par dire : je suis à New York et je vais faire une expérience, je vais simuler une crise cardiaque pour voir si les new-yorkais sont de bonnes personnes. Je ne pense pas que les new-yorkais sont de bonnes personnes : prouvez-moi que j’ai tort.
Et ce que je trouve fou dans cette vidéo c’est que le mécanisme est transparent. Quand un groupe ne fait rien, alors le groupe ne fait rien.
Mais si une seule personne fait quelque chose alors plusieurs personnes viennent à la rescousse. Y’a jamais une seule personne qui aide.
Ça prouve vraiment cet effet du témoin qu’on appelle aussi l’apathie du spectateur. Une sorte d’état où on ne réagit pas mais dont on peut sortir.
Il est improbable que comme par hasard toutes les “bonnes” personnes sont à chaque fois aux mêmes coins du trottoir, et toutes les “mauvaises” idem. On voit bien que y’a l’effet de groupe dans les deux sens : on suit un leader. Si y’a pas de leader alors c’est l’apathie le leader et on fait rien.
Mais si une seule personne se bouge alors presque tout le monde se mobilise.
Conclusion : pointe du doigt quelqu’un
Si jamais tu es en détresse et que tu le peux, pointe quelqu’un du doigt en disant hey vous là-bas avec la chemise bleue ciel, venez m’aider.
Il y a alors énormément de chances pour que cette personne sorte de son apathie et vienne t’aider.
C’est pas du 100%… comme on l’a vu plus haut c’est environ 85% le taux de gens qui interviennent quand ils sont seuls. Mais c’est un très haut taux et au pire tu changes de personne.
Retournement : l’histoire du meurtre de Kitty Genovese était fausse !
Les journaux ont fait ce qu’ils savent faire de mieux : exagérer.
Si Kitty Genovese a bel et bien été assassinée, la version relatée par les journaux a été suspectée d’exagération.
Premier élément faux : la police avait bien été appelée :
Selon l'article du New York Times, la police n'a pas été appelée tout au long de cette agression. Cette version est contredite par plusieurs témoins qui assurent avoir appelé la police à la suite de la première agression. Un homme, âgé de 15 ans à l'époque des faits et devenu entre-temps policier, a notamment juré sous serment que son père avait bel et bien prévenu la police après la première agression.
Il est à noter que le numéro d'urgence 911 n'existait pas à l'époque et que les faits se sont déroulés à proximité d'un bar, fermant à 4 h du matin, qui faisait souvent l'objet de plaintes pour nuisances. Ceci pourrait expliquer, selon les auteurs de l'article, que les voisins étaient habitués à un certain tapage au milieu de la nuit et également que les policiers ne se soient pas déplacés à la suite des appels à proximité de ce lieu.
Deuxième élément faux, un historien (De May) s’est penché très rapidement sur la question et il a été incapable de retrouver 38 témoins comme annoncé dans l’article.
Il a même eu du mal à en trouver 6.
Parce que… avoir 30 personnes qui ont juste entendu du boucan dans une rue proche d’un bar… c’est pas ce qu’on peut appeler des témoins au coeur froid.
Pire encore… parmi ces 6 personnes, l’historien doute de leur compréhension.
Enfin, selon De May, rien ne permet d'être certain que cette demi-douzaine de témoins de la première attaque ait compris de quoi il retournait exactement. Dans les témoignages produits lors du procès, personne n'a déclaré avoir vu Kitty Genovese être poignardée. Irene Frost a déclaré avoir vu l'agresseur et la victime « debout à proximité l'un de l'autre, pas en train de se battre ou quoi que ce soit de ce genre » avant de retourner se coucher.
Robert Mozer, quant à lui, déclare avoir « regardé par sa fenêtre de l'autre côté de la rue et vu cette femme en face de la librairie, agenouillée, et le type agenouillé au-dessus d'elle ».
Il déclare avoir crié de sa fenêtre sur l'agresseur qui, prenant peur, se serait enfui. Cette déclaration est confirmée par un autre témoin, Andrée Picq. Kitty Genovese s'est ensuite relevée et a tourné le coin de la rue pour rejoindre l'entrée de son immeuble. La seconde agression a eu lieu dans le hall de son immeuble, qui n'était visible que d’un seul des appartements des témoins du drame.
Mention spéciale d’ailleurs à cette mention dans la presse sur le tueur : Selon son patron, Moseley était un travailleur appliqué et ponctuel.
C’est fou comment à chaque fois c’est la même chose. Les gens s’étonnent comme si y’avait un lien entre les bonnes moeurs et être un criminel.
D’ailleurs, maintenant je mets un point d’honneur à dire bonjour avec le sourire à tous mes voisins, parce que je me suis rendu compte que c’était trop important quand y’avait le moindre souci. Et ça a pas loupé : quand j’ai eu un conflit avec mon voisin, mon autre voisine était de mon côté parce que l’autre étaient pas commodes. Alors que… fun fact : en vrai j’étais en tort.
Bon bah du coup… tout ce que je t’ai raconté est bidon ?
Non.
Si l’histoire a été bidonnée, l’effet du témoin, lui, a bel et bien été mesuré de manière solide.
C’est d’ailleurs probablement pour ça qu’on a pu bidonner cette histoire. Parce qu’on sait que c’est possible, on a déjà vu des foules ne rien faire.
Pour approfondir
Encore une vidéo de la géniale chaîne hacking social (anciennement horizon-gull).