#5 – L’enseignement doit être un divertissement
Rappelez-vous du premier point : les gens ne veulent pas apprendre. Il faut donc réussir à les divertir pour leur donner envie. Si je vous demande de réfléchir à des professeurs qui vous ont marqué, il y a de grandes chances que les meilleurs étaient drôles. Déjà parce que le rire et le jeu sont connectés à l’apprentissage. Même les animaux jouent pour apprendre.
L’autre raison c’est que la mémoire est reliée aux émotions. Si jamais vous perdez votre faculté à ressentir des émotions, vous perdez aussi votre faculté à retenir de nouvelles choses. Ça a été étudié sur Phineas Gage, un américain qui a eu un accident qui a atteint son cerveau. Dans un livre qui s’appelle L’erreur de Descartes.
L’enseignement se doit d’être un spectacle, un show. Avec le temps, j’ai fini par avoir autant de blagues préparées que de phrases explicatives. Les blagues ont d’ailleurs toujours un but pédagogique. Par exemple, pour expliquer que les gens passent par Google (et non les sites emploi) pour chercher un travail, je raconte que Google est devenu la porte d’entrée de tout. Que ma mère, quand elle allume son ordinateur, commence par taper Google dans Google. Et seulement ensuite elle continue. À chaque fois que je raconte cette histoire je sais que les gens vont rire ET qu’ils vont retenir ce savoir. D’ailleurs, j’ai tellement raconté et joué cette histoire que je ne sais même plus si elle est vraie. On verra pourquoi quand on abordera les effets de la répétition sur le cerveau.
Vous remarquez que j’ai bien dit « joué cette histoire ». Car un cours, une formation, ça se joue. Il y a de grande chances que vous deviez répéter des centaines de fois le même texte. La blague de ma mère et Google, j’ai dû la raconter 200 fois. Maisl’enseignement est un spectacle : vous n’avez pas le droit de débiter un texte de manière monotone. Il faut incarner et jouer le texte. Faire semblant de réfléchir, faire semblant de venir d’avoir l’idée de la blague. Par respect pour le public qui découvre ce texte pour la première fois.
#6 – Les gens ne comprennent que leur propre expérience
C’est lié à la mémoire de travail. Si vous utilisez l’expérience des gens, c’est ça de moins à stocker dans la mémoire de travail. C’est pour ça qu’on utilise des animaux pour faire compter les très jeunes enfants. On va leur dire « combien font 3 vaches plus 2 vaches ». Pourquoi ne dit-on pas simplement « 3 plus 2 » ? Parce que mettre des vaches permet de se rattacher à quelque chose qu’ils connaissent bien.
Ce phénomène peut bloquer l’apprentissage. Pendant longtemps j’ai été imprudent et négligeant. On me faisait souvent le retour suivant : « tu prends beaucoup d’exemple de recrutement de développeurs, j’aurais aimé des exemples plus généraux ». À chaque fois j’avais la réaction interne (mauvaise) : « mais on s’en fiche ? Ça ne changerait absolument rien de changer les exemples ».
J’avais complètement tort. Le jour où j’ai accepté de varier les exemples, je n’ai plus eu les blocages. Ce n’est pas un détail : les gens peuvent vraiment se bloquer parce que les exemples ne leur parlent pas. Parce que les exemples ne résonnent pas avec leur expérience.
#7 – Les gens refusent de réfléchir à une situation sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir
Cette découverte a été un choc pour moi. En cours, j’aime bien faire connaissance avec les élèves en leur demandant ce qu’ils feraient avec 10 millions d’euros. Et j’ai été stupéfait de voir combien de gens refusent de répondre à la question. On a beau leur dire que c’est juste pour le jeu, ils refusent ou répondent volontairement à côté.
Pourquoi ? Parce que si quelqu’un a le sentiment qu’une chose n’est pas en son pouvoir, il va être réticent à y réfléchir. C’est un réflexe logique d’économie de son énergie cognitive. Il faut donc faire très attention. Si vous commencez à parler d’un sujet sur lequel les gens ne se sentent pas en capacité d’agir, ils ne vous écouteront plus.
#8 – On peut avoir le bon message sans être le bon messager
C’est quelque chose de dur à comprendre. Et quand ça vous arrive c’est terrible. Les gens ne vous écouteront pas si vous êtes le mauvais messager. Le premier cours que j’ai donné, j’étais tellement stressé (et aussi complexé par ma calvitie) que j’ai oublié d’enlever mon chapeau. J’ai appris plus tard que les élèves avaient passé leur temps à en parler entre eux sur Facebook pendant le cours.
De même, au début de certaines formations, les gens ne veulent pas m’écouter parce que je suis « jeune ». La bonne nouvelle c’est qu’une fois que vous savez ce qui dérange votre audience, vous pouvez contrecarrer en jouant tout l’inverse. Par exemple, j’adore commencer mes formations par « je ne crois pas en la modernité. Ce qui m’intéresse ce n’est pas l’ancienne ou la nouvelle école, c’est la mauvaise ou la bonne école ».
Dans la même idée, quand j’ai envie d’expliquer l’intérêt d’être végétarien, je sais qu’une grande partie des gens ne vont pas m’écouter parce qu’ils se disent que c’est de la sensiblerie envers les animaux. Donc je commence par « je n’aime pas les animaux, je m’en contrefiche. Ce n’est pas pour les animaux que je le fais » (ce qui est vrai par ailleurs). Et je regagne instantanément l’attention de toute l’audience.
Parfois l’enjeu ce n’est pas de trouver le bon enseignement, c’est de trouver la bonne personne pour le dire. D’autres fois, votre enjeu sera de devenir la bonne personne pour le dire.
#9 – Répéter n’est pas savoir. Répéter c’est croire. Croire n’est pas savoir.
Mais on en parle demain.
Très très intéressant. Cela me donne beaucoup à penser.
Cependant tu termines sur un drôle d’argument : te serait-il venu à l’idée de dire que tu voulais faire cesser l’esclavage non par considération des esclaves mais parce que ce n’était pas bon pour la productivité.