Cette notion de spectre fait énormément de mal. Parce qu’elle est comprise à l’envers.
Non il n’y a pas de graduation de l’autisme.
Il n’y a pas des gens un peu autistes et des gens très autistes.
Trouble du spectre ça veut dire un truc précis dans le jargon psy et c’est l’inverse de ce que tu crois.
L’autisme n’a pas de degrés
On a longtemps différencié le syndrome d’Asperger et le syndrome de Kanner. Ou alors les autistes de haut niveau et les autres.
Aujourd’hui on sait qu’Asperger a différencié les autistes parce qu’il était complice des nazis. Alors que pendant longtemps il nous a fait croire qu’il avait fait ça pour sauver une partie des autistes de la déportation. Comme Pétain l’a fait en disant qu’il avait sacrifié les juifs étrangers pour sauver les juifs français.
Dans les deux cas les archives historiques ont démontré que c’était faux : les deux étaient complices.
Non seulement cette idée de degré a une origine profondément eugéniste mais elle est en plus fausse : ces degrés, sont toujours du point de vue des non-autistes. En gros : plus tu fais chier les non-autistes et plus on va classer l’autisme comme fort.
Par exemple, un·e autiste non-verbal (qui donc ne parle pas avec la parole) va nécessiter un support de la société, donc de l’argent. Ça c’est un haut degré d’autisme. En revanche, un·e autiste avec une grande capacité de camouflage… ça c’est un bas degré.
Sauf que… le camouflage (la capacité à se comporter en public comme une personne non-autiste) est directement corrélé avec la probabilité de se suicider ET que le suicide est la première cause de mortalité chez les autistes.
En d’autres termes, la société non-autiste considère qu’un·e autiste qui est capable de se camoufler en public mais qui ensuite vit des dépressions et finit par se suicider avant l’âge de 30 ans était moins handicapé·e qu’un·e autiste non-verbal.
Je trouve que ça se discute, quand même.
L’autisme n’est pas une maladie, l’autisme ne se guérit pas, l’autisme ne se répare pas
Accessoirement, l’idée d’un autisme plus ou moins fort vient également du fait qu’on s’imagine que ça peut être “réparé”.
Une personne naît autiste et meurt autiste. De la même manière qu’une personne naît non-autiste et meurt non-autiste. Ce n’est pas un truc à résoudre.
Surtout qu’on en revient toujours au même souci : l’autisme est souvent décrit du point de vue de ce qui fait chier les non-autistes. Donc on parle toujours du handicap (réel) engendré. On ne parle jamais des forces. Par exemple dans mon cas :
La capacité à écrire des emails tous les jours parce qu’une fois que je suis lancé dans un truc je suis lancé dans un truc
Un fort degré de créativité et une tendance à penser à des solutions originales
La capacité d’apprendre sur un sujet de manière intense pendant quelques semaines puis d’en faire une formation ou une série d’emails
Une tendance à ne pas juger les gens
Le fait de toujours être la personne qui va défendre l’intérêt d’une personne dominée par le groupe parce que je n’ai aucun scrupule à dire à haute voix ce que tout le monde pense
L’incapacité à accepter sans rien dire des situations que tout le monde voit comme injuste, dans le contexte d’un groupe (je ne parle pas de celles de la société)
Une capacité à connecter profondément très rapidement avec les gens parce que je saute le small talk
J’ai pris volontairement des caractéristiques personnelles que j’ai vues chez plein d’autistes, même si elles s’expriment différemment. Mais pense à Greta Thunberg par exemple. Ceci dit il ne faut pas tomber dans une forme de suprémacisme autiste naïf. Elon Musk utilise ces mêmes capacités pour faire des trucs immoraux et exploiter les gens. Tous les autistes n’utilisent pas les forces de l’autisme pour faire un truc bien.
Les traits sont si mal écrits que tu ne te reconnais qu’à moitié
Mais ça ne veut pas dire que tu es à moitié autiste. Ça ne veut pas dire que tu es “sur le spectre autistique” (sous entendu au début d’une ligne).
Tu es autiste ou tu ne l’es pas.
D’ailleurs, si comme moi tu es en plein doute depuis des années (ou même depuis des jours)… c’est probablement que tu es autiste. D’ailleurs si tu doutes c’est probablement parce que c’est très dur d’avoir une description fidèle de ce qu’est l’autisme.
Un exemple, quelqu’un vient de me dire ah oui c’est trop toi, ça. En lisant ce trait de l’autisme :
Quand je parle ce n’est pas toujours facile pour les autres d’arriver à en placer une.
Sauf que… je ne me reconnais PAS DU TOUT dans cette description. Je vis d’ailleurs en PERMANENCE l’inverse : sans faire un gros effort cognitif je n’arrive pas à me faire entendre dans une discussion avec des gens non-autistes. Encore pire si ce sont des gens que je connais pas. Encore pire de chez pire si ce sont des gens que je ne connais pas dans un contexte de sociabilisation comme une soirée.
Dans les soirées j’ai en permanence l’impression de parler dans le vide. Comme si les gens s’intéressaient plus à l’énergie de ce qui est dit, la vibe qu’au fond. Ça me rend fou, ça m’épuise. Ils peuvent parler d’un truc, poser une question intéressante dont la réponse est dans Google… mais ne pas aller chercher dans Google et changer de sujet en disant tant pis on saura pas.
ÇA ME REND FOU.
Juste ils ont passé un bon moment en posant la question, ça a comblé le vide et hop on passe à autre chose. Quand ça arrive, je suis obligé de me retirer de la discussion et d’aller sur Google. Ou alors de m’exclamer avec une voix sarcastique si seulement on avait pu inventer un moyen simple de répondre à la question… en joignant le geste à la parole.
Heureusement, j’ai désormais accumulé suffisamment de connaissances sur ce qu’est l’autisme pour comprendre ce que la personne a voulu maladroitement décrire par :
Quand je parle ce n’est pas toujours facile pour les autres d’arriver à en placer une.
Ce qui est maladroitement décrit ici c’est qu’avec une personne que je connais, dans un contexte où nous ne sommes que deux, je peux avoir tendance à faire ce qu’on appelle de l’info dump. C’est-à-dire que je dis très vite tout ce que j’ai à dire sans jamais laisser la personne répondre, parce que je suis porté par l’enthousiasme.
Tu vois la différence ? La première formulation sous-entendait que, la plupart du temps, c’est moi qui laisse pas en placer une. Alors que pourtant ce que je vis le plus souvent c’est bien l’inverse : je n’arrive pas à en placer une.
Que veut dire un “trouble du spectre” ?
En fait, il y a deux définitions de ce qu’est un “trouble du spectre”. Ça peut en effet vouloir dire quelque chose qui varie en sévérité. Mais ça peut aussi vouloir dire : un rassemblement de choses qui ont l’air différentes mais qui viennent du même truc. Ou, comme le dit précisément Wikipédia :
Dans certains cas, une approche en spectre regroupe des conditions qui étaient auparavant considérées séparément. Un exemple notable de cette tendance est le spectre de l'autisme, où les conditions relevant de ce spectre sont désormais souvent désignées sous le terme de troubles du spectre de l'autisme (TSA).1
En d’autres termes, spectre de l’autisme ça veut juste dire hey au fait on s’est trompés on croyait que ces trucs (Kanner/Asperger) étaient des choses différentes mais en fait non, ça vient du même truc, ce sont juste des expressions différentes.
Ça ne veut absolument pas dire y’a des degrés d’autisme et tu peux être plus ou moins autiste.
Et tu sais quoi ?
Je trouve ça super ironique que le nom “officiel” de l’autisme soit un truc mal écrit au premier degré. Un peu comme le fait d’avoir appelé “dyslexie” quelque chose qui fait que les gens ont du mal à lire des mots compliqués.
Chaque fois que j’y pense je me pense à la personne non-autiste qui a choisi les mots et je me dos … you had ONE job. Y’avait un seul truc à faire : utiliser des mots précis parce qu’un des traits de l’autisme c’est précisément le besoin d’avoir une communication précise au premier degré.
Au lieu de ça elle a choisi un mot qui a deux définitions…
BRAVO.
Ça m’a longtemps retardé. Parce que d’un côté j’avais des gens qui me disaient : non mais l’autisme c’est un spectre. Pour me dire qu’en fait je suis autiste léger ou semi-autiste.
Alors que de l’autre côté j’en avais d’autres (coucou
) qui me martelaient : mais c’est validiste de croire qu’on peut être un peu autiste, l’autisme c’est UN SPECTRE.Et je me disais mais c’est fou je me fais engueuler par le même mot mais pour dire littéralement l’inverse… comme d’habitude dans ma vie.
Chaque autiste exprime son autisme de manière unique
Non seulement ce n’est pas une sorte de continuum, mais en plus le fait d’avoir un cerveau autiste peut mener à des comportements directement opposés. Par exemple tu as des autistes qui vont éviter de regarder dans les yeux et d’autres qui ne peuvent pas s’empêcher de le faire. Tu en as qui on un odorat surdéveloppé et d’autres l’inverse.
Chaque personne autiste va exprimer différemment un cocktail de traits autistiques, et c’est en les rassemblant qu’on reconnaît l’autisme.
Nuance importante
Pendant cet article j’ai insisté sur le côté binaire pour aider des gens qui se croient un peu autistes à réaliser que c’est probablement à cause d’un problème de formulation. Cependant, il existe tout de même des personnes qui se revendiquent comme ayant trop peu de traits pour se sentir autistes mais assez pour ne pas se sentir neurotypiques. À une époque la communauté les appelait “les cousin·es”. Souvent c’était des personnes qui avaient une personne autiste dans la famille. Or, comme c’est héréditaire ça semble pas déconnant.
Si tu as l’impression d’être un·e cousin·e, c’est probablement un ressenti légitime qui n’est pas celui visé par cet article.
J'allais faire une blague nulle "meme Karl Marx s'est trompé quand il disait qu'un spectre hante l'Europe, celui de l'autisme"
Mais c'est pas à la hauteur, tu dis des choses tellement cruciales, et notamment quand je lis cela
"Je vis d’ailleurs en PERMANENCE l’inverse : sans faire un gros effort cognitif je n’arrive pas à me faire entendre dans une discussion avec des gens non-autistes. "
C'est l'histoire de ma vie ça, je n'ai plus de doutes, sur mon autisme
Bravo pour cet article sur l'autisme !👏 J'ai vu/entendu dans les réseaux que plutôt de que de parler d'autisme léger ou lourd, l'idée est de se demander quel est le degré de soutien dont la personne autiste a besoin pour vivre en société.