Le mythe du Visuel - Auditif - Kinésthésique
Hier je vous ai proposé ce sondage. Pour essayer de deviner quel était LE truc que j’avais appris en 2023 sur la pédgogie.
Vous avez été une grande majorité à trouver la bonne réponse.
On a quand même 5% qui pensent que j’ai découvert qu’il fallait maîtriser à fond la discipline qu’on enseigne. Ça pour le coup c’est plutôt une idée reçue. Les gens sont persuadés qu’il faut être un bon joueur de foot pour être un bon entraîneur. Enfin… métaphoriquement car dans le foot les gens comprennent que non.
Pire, trop être à fond dans ta discipline peut-être contre-productif car tu as du mal à recommencer du bon début.
L’erreur des styles d’apprentissage
Parlons de la réponse que vous avez mis à 26%. C’est fou car je ne me rendais pas compte à quel point ce mythe était répandu.
Surtout que j’ai eu la chance de ne pas y croire moi-même (alors j’ai cru à plein d’autres légendes urbaines mais pas celle-ci). Parce que je me disais que ça n’avait aucun sens, que j’aimais autant apprendre visuellement qu’auditivement (et je comprenais pas bien ce que voulais dire apprendre de manière kinésthésique).
Spoiler : ça n’existe pas.
D’où ça vient ?
En 1992, précisément, lorsque Colleen Mills et Neil D. Fleming expérimentent les différents profils d'apprentissage via un questionnaire conçu pour déterminer les habitudes et techniques d'apprentissage des apprenants.
De cette expérience, naît le modèle VAK-R, selon lequel il existerait trois grands types d'apprentissage : visuel, auditif et kinesthésique – le "R", correspondant à "read" en anglais et désignant la mémorisation par la lecture, viendrait en complément de cette théorie.
Selon ce modèle, les "auditifs" retiennent les informations plus aisément grâce à des supports sonores tels que la musique ou la parole ; les "visuels" privilégient les vidéos, les dessins ou les éléments graphiques ; tandis que les "kinesthésiques" mémorisent mieux par le toucher ou le mouvement – et seraient par ailleurs, les dignes précurseurs du "learning by doing".
Mais est-ce vrai ? Il semblerait que de nombreux professionnels de l'éducation le pensent, et l'intègrent même dans leurs pratiques d'apprentissage. En effet, de nombreuses études, recensées en 2020 par des chercheurs britanniques, nous apprennent que 89 % des enseignants et formateurs estiment que leurs élèves sont visuels, auditifs ou kinesthésique. 80 % auraient ainsi intégrer des éléments sonores et visuels à leurs méthodes d'apprentissage. 1
Effectivement… quasiment 90% des personnes qui enseignent qui y croit !
C’est souvent un des premiers trucs qu’on nous transmet, d’ailleurs : fais attention à bien repérer les styles d’apprentissage des élèves.
Sauf que…
Aucune étude n’a observé ces styles
L’hypothèse selon laquelle on apprend mieux quand l’information est présentée dans son style d’apprentissage « préféré » ou « dominant » a fait l’objet de nombreuses études scientifiques. Aucune étude, jusqu’ici, n’a réussi à prouver cette hypothèse. Une récompense de 5000$ est même offerte à toute équipe de recherche qui réussirait à prouver l’efficacité des styles d’apprentissages !2
Souvent quand y’a une prime de plusieurs milliers de dollars pour prouver un truc, ça sent très mauvais, ça veut dire que vraiment la science classe ça dans la pseudoscience.
Et… ce n’est pas faute d’avoir cherché. Il y a plein d’études qui ont essayé d’analyser les styles d’apprentissage avec à chaque fois la même conclusion : on ne les observe pas.
Il n’y a pas d’amélioration de la mémoire quand on passe par le supposé style de l’élève.
Les dégâts de ce mythe
C’est un mythe qui fait des dégâts surtout sur les élèves qui y croient et commencent à se croire incapable d’utiliser un autre style que celui qu’un test bidon leur a attribué.
Mais ça fait aussi des dégâts sur les personnes qui enseignent et qui vont essayer de deviner ces styles.
Confrontés à des textes de réfutation, 90 % des professeurs affirment rejeter l’utilité pédagogique des styles d’apprentissages. Pourtant, le tiers ont toujours l’intention d’adapter leur enseignement aux styles de leurs étudiants. Pour se justifier, 89 % des profs évoquent leur expérience personnelle (« La science dit que ce n’est pas efficace, mais moi je l’observe en classe »).3
Donc au final est-ce que cet email est utile puisque tu risques de te dire que non ça existe quand même ?
Enfin, il y a un dégât indirect c’est qu’on perd du temps avec ce truc. Souvent les personnes qui m’expliquaient comment m’améliorer en pédagogie commençaient par ça. Alors qu’on devrait toujours commencer par le secret qui permet de concevoir les cours dans le bon sens.
Mais ça je t’en parle demain
https://formation.lefebvre-dalloz.fr/actualite/il-existe-trois-styles-dapprentissage-visuel-auditif-et-kinesthesique-faux-et-un-peu-vrai
https://theconversation.com/non-vous-netes-pas-visuel-ou-auditif-pour-en-finir-avec-les-neuromythes-138889
Idem