Le handicap est social
La semaine dernière j’ai reçu des réactions très enthousiastes mais aussi quelques réactions très violentes. Le point commun des réactions violentes ? Une incompréhension de ce qu’est un handicap.
J’étais le premier à être ignorant là-dessus. Au point que l’une d’entre vous m’a dit un jour : tu devrais vraiment te renseigner sur le mouvement antivalidiste.
Elle avait raison et je la remercie au passage même si : je n’ai absolument pas écouté son conseil.
Je n’ai commencé à lire sur le validisme que quand j’ai commencé à lire sur l’autisme. Et ce n’était pas mon choix : c’est juste incontournable.
Le validisme c’est un système oppressif qui pénalise les personnes handicapées.
La gêne face au handicap
L’une des réactions que j’ai reçues c’est :
T’autoproclamer autiste c’est te parer d’une cape d’intouchabilité.
Je reconnais que je n’ai aucune idée d’à quoi ça me servirait… et surtout dans quel monde il faut vivre pour croire ça. Les identités marginalisées font de vous une cible et non pas un·e intouchable.
C’est le moment de rappeler les résultats d’une étude de 2017 où on a trouvé que quand l’employeur sait qu’un·e candidat·e est autiste alors ça diminue les chances de recrutement de 26%.1
Mais c’est parce que la personne se réfère au handicap. Car au final, il y a trois manières de percevoir la différence :
Auto-infligée / imaginaire. La différence est vue comme un défaut que la personne crée consciemment et mérite donc. Ces personnes pensent que la différence pourrait disparaître si l’autre faisait un effort : « Ils disent qu’ils sont autistes, mais ils devraient juste essayer plus fort. »
Médicale. La différence est vue comme un défaut, mais un que l’autre personne n’a pas créé et sur lequel elle n’a aucun pouvoir. Quelque chose est « cassé » à l’intérieur de l’autiste, qui n’est pas responsable et ne peut pas se réparer. Soit la différence est vue comme permanente, soit les gens pensent qu’elle peut être corrigée avec l’aide de l’expertise médicale : « Ils souffrent d’autisme. »
Une manière de fonctionner parmi d’autres. La différence est vue comme neutre — ni un défaut, ni un super-pouvoir : « Ils ne savent pas éplucher une orange / n’aiment pas changer de plans / communiquent littéralement, etc. »
Quand une personne reçoit un diagnostic d’autisme, elle tombe dans la deuxième catégorie : la vision médicale.
Dans cette catégorie, on est davantage protégé·e du harcèlement et des préjugés puisque les neurotypiques ne considèrent pas que ce soit la faute de la personne autiste. Harceler quelqu’un pour un défaut qu’il ne peut pas contrôler est grossier et de mauvais goût, disent-ils.
Pourtant, dans cette catégorie, on est aussi plus facilement rabaissé·e et stigmatisé·e. Un diagnostic vous transforme en patient impuissant qui ne sait pas ce qui est bon pour lui. Quelqu’un qu’on plaint, dont la voix ne compte pas.
Quand la différence est perçue comme auto-infligée, les gens se sentent libres de juger. C’est pour cela que les neurotypiques peuvent dire des choses comme : « Je ne pense pas qu’ils soient vraiment autistes. ». En supprimant totalement la condition neurodéveloppementale, ils peuvent remettre la personne autiste dans la catégorie « ressaisis-toi » et ainsi la juger ou l’intimider sans culpabilité.2
Je dirais même que l’obsession des allistes (les non-autistes) pour les diagnostics médicaux de l’autisme vient aussi de là : l’absence de diagnostic les rend légitime dans la violence.
Le modèle médical du handicap
Comme le rappelle Devon Price dans Unmasking Autism, la plupart d’entre nous pensons le handicap selon le modèle médical : on ne fait pas trop la différence avec la maladie, et on en parle même comme d’une maladie un peu honteuse.
En gros, la personne handicapée a une lacune en elle et il faut la corriger ou la faire disparaître.
C’est ce qui légitime l’existence des thérapies comme les thérapies ABA (celles où on électrocute les enfants autistes) : parce que c’est pour le bien de la personne face à une grave affliction. De la même manière que quand on donne la chimiothérapie (un médicament ultra toxique pour le corps mais qui le sauve en cas de cancer). On ne différencie pas les deux.
Le modèle social du handicap
Cette fois-ci je ne vais pas paraphraser Devon Price mais directement citer :
Le modèle social du handicap a été introduit dans les années 1980 par l’universitaire handicapé Mike Oliver. Dans ses écrits, Oliver décrivait le handicap comme un statut politique, créé par les systèmes qui nous entourent, et non par nos esprits ou nos corps.
Un exemple clair de cela est l’exclusion des personnes sourdes dans la plupart des établissements éducatifs. Il existe pourtant des écoles et des communautés entièrement dirigées par des personnes sourdes, pour des personnes sourdes, où tout le monde utilise la langue des signes, avec un accès systématique au sous-titrage et à d’autres ressources.
Dans ce contexte, être sourd·e n’est pas un handicap. En réalité, c’est la personne entendante qui ne connaît pas la langue des signes qui serait marginalisée — si elle vivait dans un monde centré sur les Sourds.
Cependant, la plupart des gens vivent dans un monde où la surdité et la langue des signes sont vues comme indésirables, et perçues comme des preuves d’un défaut chez la personne. Le mot “dumb” ( qui veut à la fois dire « muet » et « idiot » en anglais) est une insulte précisément parce que les personnes sourdes non-oralisantes ont été considérées comme moins compétentes et moins humaines que leurs pairs entendants.
En raison de cette vision, la majorité des lieux publics ne fournissent pas aux personnes sourdes les ressources dont elles ont besoin.
C’est ainsi que la plupart des écoles (et autres institutions) rendent activement les personnes sourdes handicapées.
Il en va de même pour les personnes aveugles, souvent exclues de l’éducation publique et privées de supports en braille ou de logiciels de lecture d’écran.
C’est également vrai pour les personnes grosses, dont les corps ne sont pas pris en compte dans les transports publics, les salles de classe, les équipements médicaux, et qui sont souvent exclues de la recherche médicale.
Le modèle social du handicap s’applique à de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes autistes. Chacun·e de nous a été, à maintes reprises, ignor·e et exclu·e parce que la société perçoit nos différences comme des défauts honteux, plutôt que comme des réalités humaines fondamentales à accepter.
Souvent, nous sommes handicapé·es pour des raisons totalement arbitraires, tout comme les personnes sourdes. Un monde où tout le monde utiliserait la langue des signes est possible, mais comme les personnes entendantes sont plus nombreuses et détiennent plus de pouvoir social que les personnes sourdes, la langue parlée est privilégiée.
De la même manière, un monde où le contact visuel ne serait pas requis est tout à fait envisageable (et en réalité, il existe de nombreuses cultures où éviter le regard est considéré comme poli).
Cependant, dans les cultures où le contact visuel est attendu, les personnes autistes qui le trouvent douloureux sont handicapées à la fois socialement et professionnellement.
Et ce ne sont pas seulement les personnes autistes qui sont pénalisées par cette norme : les personnes qui ont du mal à soutenir le regard en raison d’anxiété sociale, de traumatismes, ou parce que leur culture d’origine le déconseille, souffrent elles aussi de cette norme sociale.3
J’ai eu une révélation en lisant ça.
Malheureusement c’est parce que je suis déjà habitué à la lutte antiraciste. Mais, des gens n’ayant aucune notion militante comprennent qu’il est dit : c’est uniquement la faute de la société si y’a handicap.
Non. Parce que déjà on n’annule pas la dimension médicale, on la cumule. Mais on entend tellement le modèle qui explique le handicap par la lacune interne, qu’il fallait ce discours en opposition qui dénonce l’externalité de cette lacune.
C’est ce qui explique que si tu me donnes un vaccin qui m’empêche à vie de revivre des dépressions je le prends sur le champ.
Parce que je vis la dépression comme une maladie.
Alors que si tu me donnes un médicament qui supprime mon autisme… rien que de l’écrire j’ai peur. Il faudrait me payer très cher. Et encore… en vrai si on supprime mon autisme, on me supprime moi. C’est comme me tuer.
Maintenant, si tu me donnes un vaccin qui m’empêche à vie de vivre ce que j’ai appelé le syndrome de surcharge autistique (les meltdowns, les shutdowns, les crises de sensorialité)… bien sûr que je les prends.
Je porte en ce moment-même un casque antibruit qui joue des bruits de pluie pour ne pas entendre les bruits de pas de mes voisins ou la vibration de mon réfrigérateur. Je lutte donc déjà activement contre le syndrome.
Dire que quelque chose est un handicap, dans le modèle social du handicap c’est-dire que la chose n’est pas une lacune interne qui serait une catastrophe en soi. C’est nuancer et dire y’a une partie de ma souffrance qui vient exclusivement de la réaction du monde extérieur et de sa non-adaptation.
L’importance du consentement
On l’a vu, le modèle médical du handicap nous pousse à la gêne. Or, cette gêne nous pousse à en faire des caisses. On voit une personne en fauteuil et on veut se précipiter pour l’aider.
Comble du comble quand la personne en fauteuil se plaint en disant j’en ai marre des gens qui me portent sans me demander mon avis, dans les escaliers… on leur tombe dessus.
Ce n’est possible que parce que nous ne les voyons plus comme des humains entiers. Un·e humain·e a le droit d’avoir une autonomie et un consentement.
L’importance du mot autiste
La première fois qu’une personne sourde m’a dit de la présenter comme sourde j’étais gêné. Je voulais dire une formule comme personne malentendante ou elle est atteinte de surdité.
J’aimerais dire que j’ai accepté sans broncher parce que je suis respectueux du consentement blablabla. Mais je ne crois pas. Je crois que si je n’ai pas bronché c’est que je me suis directement dit attends, si ça se trouve c’est comme pour les noir·es, si la majorité d’entre nous détestons être appelé·es black… bah c’est à nous de décider qu’on veut pas.
Et en réalité les mêmes mécanismes sont à l’oeuvre : la gêne est bienveillante mais elle provient du racisme/du validisme.
Il en va de même avec le mot autiste. La plupart des autistes militant·es préfèrent être appelé·es simplement “autistes”.
Bien sûr, ça ne reflète pas l’intégralité des autistes et si tu rencontres une personne qui veut que tu l’appelles autrement tu dois le respecter. Ceci même si elle veut que tu l’appelles Asperger. Jusqu’à récemment on ignorait que Hans Asperger était un nazi, il avait réussi à nous vendre l’histoire qu’il avait été forcé. Jusqu’à ce que les archives soient déclassifiées. Une personne qui a reçu un diagnostic médical avant 2013 a donc reçu le diagnostic d’Asperger. Et même après cette date, on continue à le marquer en double. Genre : Autiste (DSM 5) ou Asperger (DSM 4). Certaines personnes sont attachées à cette identité qui a même un petit nom : Aspie. Ce n’est pas à toi de lui ôter le mot.
Pourquoi autiste ? Parce que c’est le mot le plus simple et celui qui colle le plus avec l’idée d’identité.
Dire une personne atteinte d’autisme suggère que y’aurait une personne différente en dessous de l’autisme, voire même qu’on peut le guérir.
Ne parlons même pas de une personne sur le spectre autistique… y’a rien qui va on en a déjà parlé, ça vient d’une confusion sur ce que veut dire “trouble du spectre” (pour être très précis spectrum disorder) en anglais. On ne peut pas être sur ce spectre. À la limite on peut être atteinte du trouble du spectre mais c’est tout. Le mot spectre ne peut pas se détacher de “trouble du”.
Le mouvement de la neurodiversité
C’est un mot qu’on croise beaucoup mais qu’on comprend peu. Neurodiversité ça veut pas dire y’a plein de gens différents. Enfin si. Mais ça veut surtout dire nous luttons contre le validisme associé à l’autisme, au TDAH et à toutes les conditions neurologiques handicapantes.
C’est donc le modèle social du handicap mais uniquement pour les handicap reliés au cerveau. Ce mouvement a émergé via les militant·es autistes et donc à la base, neuroatypique voulait juste dire autiste et neurotypique voulait juste dire alliste.
Aujourd’hui, le concept a été élargie et on peut donc être neuroatypique (TDAH par exemple) tout en étant alliste (pas autiste).
C’est notamment à ce mouvement qu’on doit la fin de l’appellation Asperger. La revendication étant (si on oublie que c’était un nazi ce qui devrait suffire à bannir son nom) qu’il faut arrêter de vouloir séparer les autistes en autistes de haut niveau et autistes de bas niveau. Que c’est une obsession purement validiste.
Mais… la lutte est loin d’être finie.
THE DISABILITY EMPLOYMENT PUZZLE: A FIELD EXPERIMENT ON EMPLOYER HIRING BEHAVIOR (Ameri et al - 2017)
The Autistic’s Guide to the galaxy - Clara Törnvall
Unmasking Autism - Devon Pricen