La définition de femme dans l’édition 2024 du dictionnaire de l’Académie française :
1. Être humain défini par ses caractères sexuels, qui lui permettent de concevoir et de mettre au monde des enfants.
Forcément… ça n’augure pas d’une institution féministe.
Et en effet, depuis la première année de sa création, l’Académie française a oeuvré activement à lutter contre le féminisme.
On dénonce parfois la dimension politique de la féminisation, qui « dénaturerait » la langue, mais la masculinisation des textes fut, elle aussi, un projet politique à une époque où plusieurs formes féminines étaient couramment utilisées, comme peintresse ou philosophesse, et où l’accord de l’adjectif et du verbe se faisait avec le nom ou le sujet pertinent le plus proche, qu’il soit féminin ou masculin.
C’est avec la création de l’Académie française, au 17e siècle, que sera instaurée la règle du masculin générique, puisque, selon les académiciens, « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».1
Avant ça on disait : Julien, Sophie, Aline et Amélie sont belles
Aujourd’hui on est censé·es dire : Julien, Sophie, Aline et Amélie sont beaux
La masculinisation des métiers
De nos jours on a l’impression que la féminisation produit des néologismes, et c’est parfois vrai. Mais c’est aussi parfois faux. Parfois elle ne fait que rétablir des formes que l’Académie a réprimé.
Par exemple, en 1611, le mot autrice entre dans un dictionnaire :
L'institutionnalisation de la langue et la professionnalisation du champ littéraire ouvrent la porte à l'ascension sociale, l'éducation féminine se développe et une nouvelle génération de femmes de lettres fait son apparition." En 1611, ce féminin a pourtant droit à une entrée spécifique dans un dictionnaire. Il est également utilisé dans la presse ou encore dans les registres administratifs de la Comédie Française.2
Et c’est l’Académie qui va l’en sortir :
Richelieu crée l'Académie française, chargée de définir la langue et la règle qui la régit. Les grammairiens et lexicographes s'acharnent à dire qu'auteur n'admet pas de féminin et remportent une première bataille.
"En moins d'un siècle, écrit Aurore Evain, avec la normalisation et la politisation de la langue, disparaît donc autrice au moment même où son emploi est le plus justifié, alors que de nombreuses femmes aspirent à faire carrière dans les Lettres".
Au cours du XVIIIe siècle "autrice" revient sous la forme d'un néologisme, son passé a été totalement oublié. Il est donc présenté comme un barbarisme chez ses opposants. Pour les féministes, il devient une avancée sociale et un cheval de bataille pour des femmes de lettres, des journalistes et des militantes.
Sourde à ces revendications, l'Académie française assure en 1891 que le métier d'écrivain ne convient pas aux femmes, fermant la porte à "écrivaine". "Autrice" et "auteuse" sont relayés au rang des féminins qui "déchirent absolument les oreilles".3
Cet argument des oreilles est ridicule puisque l’oreille découle de l’habitude. En 2018 quand on m’a recommandé de dire autrice plutôt qu’auteure pour que la distinction soit audible, bien sûr que ça m’a un peu perturbé. De la même manière que si je te dis que faut écrire désormais des wazo volent dans le ciel… tu risques de ressentir un petit picotement.
Alors que, techniquement… wazo est une écriture logique puisque phonétique.
D’ailleurs le français est la seule langue latine a avoir gardé le “ph” pour le son f.
En espagnol : fonética
En italien : fonetica
En portugais : fonética
En catalan : fonètica
En roumain : fonetică
Oui, le roumain est une langue latine, ça m’avait choqué quand on me l’avait enseigné en école de commerce.
En 2014, l’Académie n’en démordait pas :
L'Académie française n'entend nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de métiers et fonctions, qui découle de l'usage même: c'est ainsi qu'elle a fait accueil dans la 8e édition de son Dictionnaire (1935) à artisane et à postière, à aviatrice et à pharmacienne, à avocate, bûcheronne, factrice, compositrice, éditrice et exploratrice.
Dans la 9e édition, en cours de publication, figurent par dizaines des formes féminines correspondant à des noms de métiers. Ces mots sont entrés naturellement dans l'usage, sans qu'ils aient été prescrits par décret: l'Académie les a enregistrés pourvu qu'ils soient de formation correcte et que leur emploi se soit imposé.
Mais, conformément à sa mission, défendant l'esprit de la langue et les règles qui président à l'enrichissement du vocabulaire, elle rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes.4
On comprend pas trop pourquoi chercheure les choque davantage que procureure ?
Mais le plus grand culot est dans la suite :
brusquer et forcer l'usage revient à porter atteinte au génie même de la langue française et à ouvrir une période d'incertitude linguistique.
(…)
Nul ne peut régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la syntaxe: elle n'est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs et des projets politiques. Les compétences du pouvoir politique sont limitées par le statut juridique de la langue, expression de la souveraineté nationale et de la liberté individuelle, et par l'autorité de l'usage qui restreint la portée de toute terminologie officielle et obligatoire. Et de l'usage, seule l'Académie française a été instituée «la gardienne».5
Alors là… vraiment… le foutage de gueule est total. L’Académie qui s’insurge parce qu’on essaie de dicter la langue ? C’est vraiment vraiment culotté.
Le scandale de la première femme académicienne : Marguerite Yourcenar
Bien entendu, l’opposition de l’Académie ne se limite pas à la féminisation des mots. Elle s’étend à la féminisation de ses rangs. Pendant plus de 300 ans l’Académie a été exclusivement masculine. Une femme avait déjà été présentée au vote et refusée vigoureusement.
Jusqu’à ce que la pression de la société soit telle que Marguerite Yourcenar s’impose, en 1980. Mais… quand je dis qu’elle s’impose… le vote a été remporté à une voix près. Je veux dire qu’elle s’est imposée par effraction.
Si Marguerite Yourcenar est élue, à une voix près seulement quand même, c'est par la conjugaison de plusieurs facteurs. Son talent d'auteur - ou d'autrice - est reconnu internationalement, primée de nombreux prix littéraires, qui à ce titre la rendent bien plus légitime que pas mal d'autres Académiciens qui ne peuvent pas l'attaquer là-dessus.
Elle jouit d'une image très populaire, et c'est l'une des premières femmes à passer à la télé pour parler de son œuvre.
Être refusée à l'Académie ne serait absolument pas compris par la société française, et ce serait à ce titre difficilement justifiable.
Troisième critère et non des moindres : le Président de la République fait preuve d'ingérence au sein de l'institution, et la candidate est soutenue par un membre qui est à la fois au gouvernement... et à l'Académie (le ministre de la Justice).
Concernant Giscard, il assistera d'ailleurs avec plusieurs ministres à sa réception sous la Coupole.
Quatrième critère : le calendrier favorable, qui rend possible, donc, les marchandages de vote, afin de faire élire également, pour le clan hostile à Yourcenar, leurs propres protégés.
Cinquième point, et c'est un point que je n'ai pas encore évoqué, les Académiciens ne perçoivent pas dans Marguerite Yourcenar la lutte féministe, ni la littérature féminine.
Parce que peut-être que vous l'ignoriez, mais Marguerite Yourcenar a publié sous pseudonyme afin de se faire passer pour un homme. Ça a l'air de rien, mais en fait, c'est très important, parce que si Marguerite Yourcenar est élue... C'est effectivement une femme, mais dont on a cru, par son œuvre, qu'elle était un homme.6
Et ça n’a pas été calme…
Pierre Gaxotte, membre des plus conservateurs de la droite académique dira même que si on élisait une femme, on finirait par élire un nègre. 7
On est en 1980, hein, pas en 1930. Mon père avait 15 ans quand cette déclaration a été faite.
Jean Guitton, lui, dira devant les caméras : « Moi, j'appartenais à l'opposition parce que j'avais l'idée que… l'Académie, n'est-ce pas, pendant 300 ans avait vécu sans femmes et elle pouvait encore vivre 300 ans sans… »
Quant à André Chamson, il refusera de dire son vote devant les caméras. La journaliste Martine Laroche-Joubert lui demande donc s’il est antiféministe. Et il fait une réponse lunaire :
« Oh, pas du tout. Pas du tout ! J'ai une fille qui s'appelle Frédérique Hébrard, qui a fait un certain nombre de choses (...) Un livre, qui a tiré à un million. Eh bien (…) Je trouve très bien ce qu'elle fait. »
L’Académie contre l’écriture inclusive
Bon… ça ne t’étonnera pas à ce stade mais l’Académie fait partie des forces les plus hostiles à l’écriture inclusive.
Et comme d’habitude, elle met toute la grandiloquence des écrivains qui la composent pour crier au scandale :
Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.
Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.
Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.8
Ça se passe de commentaire.
Idem
Idem
Idem
C'est tellement sexiste qu'on oublie à quel point c'est aussi incroyablement grotesque.
Par exemple moi je suis allé danser à peu près tous les jours pendant mes 15 derniers jours de vacances. J'ai du dansé avec une centaine de meufs, et aussi 5 mecs en tant que follower (on apprend plein de choses en changeant les roles).
D'après l'Académie, je serais censé dire : "en tout, ces 15 derniers jours, j'ai dansé avec 105 mecs"