Après la sociabilité et la sensorialité autistique on va s’attaquer au pilier de la culture autistique le plus dur à comprendre.
Si bien que je me suis longtemps senti à moitié autiste parce que je ne m’y reconnaissais pas bien.
Un truc qui m’a fait persister c’est mes proches qui disaient ah oui t’as carrément des intérêts spécifiques. Alors que moi… j’avais bof l’impression.
Mais je comprends désormais que y’a trois problèmes pour comprendre le pilier de la régulation autistique :
Ce sont des traits très mal nommés…
Chaque personne autiste va se réguler différemment. C’est le pilier le plus multiforme.
Ce sont des traits vraiment très mal vus par les allistes donc on prend l’habitude de les réprimer énormément en soi. Je ne me rendais pas compte d’à quel point je m’interdisais des choses, même quand personne ne me regarde.
Par conséquent, le rappel habituel de cette semaine est encore plus important : je vais décrire l’autisme comme on décrit une culture et non comme on décrit une maladie. Il n’y a donc pas besoin d’accumuler un nombre minimal de traits pour être autiste. Tu es autiste si tu sens que tu es de culture autistique, point.
Voyons maintenant les 3 grandes facettes de la régulation autistique.
#1 | Les intérêts de haute intensité
Le nom officiel c’est les intérêts spécifiques (ou spéciaux). Mais je trouve ça super mal nommé.
Déjà je vois pas ce que vient faire le mot spécifique, ici ?
Ça veut dire quoi ? Heureusement, y’a le dictionnaire du dictionnaire du CNRS : le CNTRL (si tu es autiste arrête d’aller dans le Larousse et le Robert qui sont mal écrits et découvre la joie d’un dictionnaire écrit par des scientifiques).
Ce dernier nous donne cette définition A :
Qui est propre à; qui présente une caractéristique originale et exclusive
Bah du coup… je n’ai absolument aucun intérêt qui soit original ou exclusif. J’adore regarder des What if sur Star Wars ou Harry Potter, sur tous les scénarios possibles. Mais c’est pas si original puisque les chaînes YouTube que je regarde font des millions de vues.
J’ai aussi un énorme intérêt pour la politique… mais là encore : ça n’a rien d’original.
Pire encore, parfois les médecins allistes appellent ça les intérêts restreints. On est à la limite de l’insulte, on comprend que ça veut dire le truc des gens super chelous là.
Comme tu le constates avec l’Atelier, mes intérêts sont tous sauf restreints : quasiment tout m’intéresse. En plus quand on présente un personnage autiste dans les médias il a toujours genre une passion qui lui dure toute sa vie. Je ne suis pas sûr d’avoir ça.
Mais… à force de lire d’autres autistes, j’ai réalisé qu’en fait on parle simplement d’intérêts de très haute intensité. On pourrait aussi dire des intérêts hyperfocalisés.
Du coup peu importe la durée. Ce qui est atypique c’est bien l’intensité à laquelle je m’y livre. Et c’est vrai que je me sens comme aspiré par des tunnels.
On pourrait aussi appeler ça des fixettes ou des petites obsessions.
Ou alors on pourrait dire que j’ai mes phases.
Y’a quelques temps j’étais dans ma phase art martial bah j’ai regardé toutes les vidéos possibles et imaginables dessus. Mais ça y est…ça m’est passé. Je vais pas avoir cette passion toute ma vie. C’était ni spécifique, ni restreint, ni durable.
Autre manière de repérer les intérêts autistiques : tous ces trucs que je regarde qui sont le complément d’un truc alors que je regarde pas le truc lui-même.
Par exemple : j’adore connaître tous les résultats de foot de club, mais je ne regarde pas les matchs.
Je suis trop content de savoir qu’en ce moment Oussmane Dembélé est sur sa première saison à plus de 30 buts… ça me fait comme un personnage d’une série que je suis depuis 15 ans.
Et, c’est là que vient la notion de régulation : plus je suis stressé ou déprimé, plus je vais avoir besoin de plonger dans un intérêt à haute intensité.
D’ailleurs parfois je souffre parce que je reste dans mon lit à consommer des vidéos YouTube alors que j’avais d’autres plans.
D’autres fois, je suis avec quelqu’un et j’aimerais passer du temps avec mais… je vois une vidéos sur un intérêt à haute intensité du moment et c’est comme si mon cerveau me grattait… j’ai du mal à m’empêcher de m’y plonger.
Note : les intérêts spécifiques s’appellent comme ça aussi parce que les allistes ne s’en rendent compte que quand ils trouvent que le sujet ne mériterait pas une telle intensité. Par exemple tous les sujets de “geek”. Mais si tu fais de ton intérêt à haute intensité ta carrière (comme par exemple le recrutement dans mon cas)… personne n’y verra rien d’étrange. On dira que c’est une passion.
#2 | L’auto-stimulation (stimming)
Là encore, j’ai eu énormément de mal à voir ça chez moi. Ou même à comprendre vraiment ce que c’est. Ce n’est d’ailleurs que récemment que j’ai découvert que stimming était un mot valise pour self stimulation.
L’autostimulation est sensorielle. Par conséquent, elle dépend énormément de la sensorialité autistique de la personne. C’est pour ça qu’elle est à ce point variable.
En gros… on dit que la sensorialité autistique est souvent déréglée. Ça donne des états où les autistes sont souvent sous-stimulé·es ou surstimulé·es sur certains sens.
L’auto-stimulation va permettre de venir contrebalancer ça.
Mais comment ?
Je suis en colère rien qu’en lisant le début très mal écrit de la page Wikipédia français (c’est mieux écrit dans la page anglaise) :
Les comportements d’autostimulation (en anglais stimming) sont des mouvements répétitifs et stéréotypés
Rien ne va. L’autostimulation n’est pas forcément un mouvement. Et c’est quoi cette insulte de stéréotypé ?
On va reprendre doucement.
Passons sur la page Wikipédia anglaise :
L’autostimulation a été interprétée comme un réponse protectrice à la surstimulation grâce à laquelle les personnes peuvent s’apaiser en bloquant les stimuli environnants les moins prévisibles, auxquelles elles ont une hypersensibilité.
Mieux encore, les recherches montrent que l’autostimulation augmente le bien-être et la santé mentale. Alors que pourtant c’est souvent le comportement le plus stigmatisé, celui que les parents allistes essaient de supprimer chez leurs enfants autistes.
Voici quelques formes (non-exhaustives) d’autostimulation :
Ce que tu imaginais déjà (gigoter les jambes, avoir des tics gestuels, etc)
Toucher une surface dont la texture nous fait plaisir
Sentir une odeur qui nous fait du bien
Chanter à tue-tête une chanson
Danser seul·e
Applaudir avec ses mains de manière enthousiaste
Produire des sons avec sa gorge sans ouvrir sa bouche
Ou produire des onomatopées
Répéter les phrases d’autres personnes pendant qu’elles parlent
Se mettre sous une couverture lestée
Faire des têtes bizarres par exemple froncer son nez
Marcher en sautant comme un enfant (stimulation de la proprioception)
Se balancer sur une chaise (là c’est une stimulation de l’oreille interne)
Etc
Et malheureusement aussi : l’automutilation.
C’est la seule forme d’autostimulation que je ne peux pas encourager, pour des raisons évidentes.
Petite note : l’autostimulaton fonctionne sur tout le monde en cas de stress ou surcharge sensorielle, pas juste les autistes. C’est juste que les autistes sont souvent dans cet état.
Autre point important : la liste n’était pas du tout exhaustive. Il y a autant d’autostimulation possibles que de manière de stimuler les 7 sens.
J’ai compris seulement récemment que le fait que je ne peux pas me brosser les dents sans écouter une vidéo YouTube (idem je m’endors beaucoup mieux avec le son d’une vidéo) était aussi une forme d’autostimulation.
#3 | Les ancrages apaisants
On appelle ça normalement les routines. Et ça fait que j’étais persuadé de ne pas avoir ça. Je suis la personne la moins routinière du monde. Au contraire ça me stresse quand tout est trop prévu.
Attention, je ne représente pas toutes les personnes autistes, j’en connais qui effectivement ont cette version très routinière, ce besoin d’avoir un cadre.
En revanche, est-ce que j’ai des ancrages apaisants ?
Ah bah clairement ! Dans mon cas c’est une douche bouillante et longue.
J’ai une pote qui va plutôt se laver les mains une dizaine de fois par jour.
Au point que si je ne la prends pas, je me sens extrêmement dérégulé et ma journée peut vraiment être ratée. Parfois je ne me rend compte qu’à la fin ah mais c’est parce que j’ai pas pris ma douche.
Pareil, quand j’écris un email de l’Atelier, j’écoute toujours la même playlist pour m’ancrer.
Bien sûr ça peut aussi prendre des formes plus marrantes comme Sheldon : je ne m’assieds jamais sur la chaise de droite de mon salon.
Mais par contre c’est pas au point de paniquer si je dois le faire. Juste je le fais pas si j’ai pas de raison.
On pourrait même dire que cette newsletter est un ancrage apaisant.
Idem, le fait que je me sens beaucoup mieux quand je dors chez moi est aussi une forme d’ancrage apaisant.
Le confinement c’était génial
Un autre point commun à beaucoup d’autistes c’est la phrase j’ai adoré le confinement. Ce qui est fou c’est que je l’ai même entendue de la part d’une autiste caméléon qui se vit comme étant ultra-sociable (au point de sortir tous les soirs).
Pour autant… en confinement elle a passé l’un des meilleurs moments de sa vie.
Parce que, bien sûr qu’on avait le truc où on avait moins d’obligations sociales. Mais on avait aussi un ancrage plus ferme, des intérêts à haute intensité non stigmatisés… Parce que le monde entier était stressé.
Personne ne le dit mieux que l’autrice Mélanie Fazi :
Soudain (au confinement), le monde devenait autiste. Le rythme général ralentissait. Les journées restaient structurées par le travail, mais, pour beaucoup, il n'y avait plus de métro, plus de soirées ou d'activités à l'extérieur.
Voyant les gens, les premiers jours, se replonger dans des projets créatifs, se mettre au yoga, à la cuisine ou au jardinage, une pensée m'a traversée: ils étaient en train de découvrir de l'intérieur le principe même des intérêts spécifiques.
Ceux qui raillaient cette passion soudaine pour le sport ou les travaux manuels ou l'attribuaient à une volonté absurde de ne pas gaspiller son temps perdaient de vue, je crois, leur fonction première de réduction du stress.
Moi-même, je me suis remise de manière compulsive à la cuisine et au dessin, en ayant bien conscience que c'était avant tout un moyen d'évacuer la tension. Le monde, autour de nous, était devenu hostile et chaotique. Plus rien n'était prévisible.
Ni la durée de notre isolement, ni l'évolution de l'épidémie, ni les contours exacts de la crise économique à venir. Alors, pour tenir la peur à distance, on s'accroche à ce qu'on peut, à ce qui est familier surtout, ce qui nous rassure, ce qui est facile et à portée de main. On instaure des rituels parce qu'il faut des repères pour ne pas devenir fou.
Quand une personne autiste s'immerge pleinement dans ses passions, elle ne fait pas autre chose: elle se protège de l'hostilité du monde.
Mes proches ont-ils eu conscience que, pendant quelques semaines, je les ai vus devenir soudain pareils à moi? Quand j'en voyais certains souffrir de devoir à ce point, pour endurer le confinement, aller contre leur nature qui leur dictait d'être au contact direct du monde et des autres, ils frôlaient peut-être l'impression que j'ai connue si souvent, celle de devoir nager à contre-courant parce que le monde ne va pas dans notre sens. Pour une fois, il allait dans le mien. J'étais privilégiée à cet égard.
L'expérience n'a pas toujours été facile, même pour moi qui aime tant la solitude et m'en accommode si bien. Mais je crois m'être rarement, au cours de ma vie, sentie aussi peu décalée que pendant ces deux mois.
Sondage : quelle formation sur l’autisme tu achèterais ?
Vous avez été 28% à répondre que ça dépendrait de l’angle. C’était la réponse la plus donnée. Du coup, logiquement ma prochaine question est… quel angle ?
J’ai deux idées :
Une formation qui explore que faire une fois qu’on sait qu’on est autiste… ça sert à quoi, c’est quoi le chemin
Une avec deux faces. Face A : l’autodéfense autistique face au validisme. Face B : comment toi tu peux désintoxiquer ton autistophobie et aider les personnes concernées.