On l’a dit : la parentalité s’ancre dans une culture chrétienne. C’est donc une religion qui vient d’une religion. Or, pour maintenir une religion il faut maintenir une censure, une pression sociale.
Pour maintenir le conformisme des membres il faut stigmatiser ceux et celles qui sortent du rang en refusant d’avoir des enfants. Combien de parents sont capables de reconnaître qu’ils ont eu des enfants uniquement parce que la société les y avait poussés ?
“Il est plus facile et plus confortable de s’inventer des raisons liées à l’amour, à la joie et de parler d’instinct maternel”.
L’instinct maternel.
Quelle connerie.
En général quand on renvoie à l’animalité, à la nature c’est mauvais signe. On ne justifie pas les meurtres par l’instinct de mort ou les agressions sexuelles par l’instinct de reproduction.
Mais rentrons dans le vif du sujet. Voici les réactions les plus fréquentes.
Réaction #1 : “Mais pourquoi ???”
Je mets volontairement plusieurs points d’interrogation pour illustrer la pluie de questions. On ne te le demande pas qu’une fois. On te somme de t’expliquer. On te convoque en garde à vue. On te demande des explications que l’on va scruter à la loupe et contredire. On n’écoute pas ce que tu réponds, on veut juste te remettre dans le droit chemin.
“Il y a une immixtion pernicieuse ou carrément frontale de l’entourage. Je trouve cela très désagréable et totalement inconvenant, car derrière une absence d’enfant, il y a aussi parfois des problèmes de procréation, de stérilité. Lorsque cela ne fonctionne pas, c’est souvent douloureux, et dans ce cas, les gens n’ont pas du tout envie de le crier sur tous les toits ni d’étaler leur vie privée sur la place publique en expliquant pourquoi ils n’ont pas d’enfant. Pour toutes ces raisons, je trouve le prosélytisme pronataliste insupportable !”
D’ailleurs, on remarque que personne ne se permet ce comportement face à des parents. Quand quelqu’un annonce qu’il va avoir un enfant, personne ne crie “mais pourquoi ?”.
Alors que pourtant, parfois on devrait. Certaines personnes ne devraient pas avoir d’enfant, on le sait tous : mais personne ne leur dira en face.
“Je trouve les gens très impolis, très voyeurs. Dès qu’ils savent que je n’ai pas d’enfant, on me dit “Ah bon, tu n’as pas d’enfant ?” sans aucun égard, attendant immédiatement la suite, que je me justifie, que j’apporte les explications d’une telle incongruité. Je ne supporte pas ! Ceci fait partie de ma vie privée. Est-ce que l’on demande à tous les parents pourquoi ils ont eu des enfants ? Est-ce qu’on exige d’eux qu’ils se justifient, qu’ils fassent état de leurs motivations ?”
Réaction #2 : “Tu vas changer d’avis”
Elle est souvent la suite de la précédente. L’interlocuteur affirme avec force que tu vas changer d’avis. Sans aucun argument. Comme si c’était un verset tiré de la Bible.
Bien entendu il faut lire entre les lignes. Il est évident que tous les avis peuvent changer. Seuls les morts ne changent plus d’avis. Mais quand on dit “tu vas changer d’avis” on sous-entend “tu dois changer d’avis” ou alors “ahaha il est encore trop jeune pour comprendre la vérité”. Sinon on ne prendrait pas la peine de prononcer un truc aussi plat.
On se rend compte de la violence du propos ? Là encore est-ce qu’on dirait à quelqu’un qui vient d’avoir un enfant “attention, tu vas changer d’avis”.
Alors que pourtant tous les chiffres portent à croire que c’est bien l’inverse qui se produit : ce sont les parents qui regrettent d’avoir des enfants. Au moins autant que les personnes qui regrettent de n’avoir pas eu d’enfants.
“Quand une chroniqueuse du Chicago Sun Times a demandé dans les années 1970 aux parents s’ils referaient le choix de la parentalité en sachant ce qu’ils savaient, 70% ont répondu par la négative. Une enquête plus récente souligne que 13% des parents en Belgique regrettent d’avoir eu des enfants”.
On ne ment pas à Google. Parce qu’on sait que personne ne nous regarde. Or, sur Google, on a quasiment 4 fois plus de requêtes de parents qui regrettent d’avoir eu des enfants que de requêtes d’adultes qui regrettent de n’en avoir pas eu.
Le tabou empêche de le dire publiquement, mais on retrouve plein de témoignages anonymes sur les réseaux sociaux.
“Si j’avais le choix, je retournerais sans doute en arrière, afin de profiter de mon quotidien en couple”
“Fini les plaisirs égoïstes, les soirées ciné et resto improvisées, le calme à la maison et les vacances n’importe où. Aujourd’hui tout doit être calculé et fait au mieux en fonction des enfants, pour privilégier leur sécurité et leurs besoins. Ma vie d’avant me manque bien souvent”
“J’aime mes enfants mais j’aimerais ne jamais les avoir eus”
Alors pourquoi c’est sur les personnes qui ne veulent pas d’enfant qu’on met cette pression du changement d’avis ? Surtout qu’on peut finalement décider d’avoir un enfant après 10 ans sans en vouloir. Alors qu’il est impossible de rendre son enfant une fois qu’il est là. La probabilité de regretter est donc évidemment plus grande du côté de la situation irréversible.
En 2015, la sociologue israëlienne Orna Donath a produit une recherche sur des mères avouant regretter avoir eu des enfants. Dans son article scientifique « Je n’aurais pas dû avoir d’enfants… » : une analyse sociopolitique du regret maternel, la chercheuse explique ainsi que la maternité peut apporter un épanouissement profond, mais qu’elle peut aussi mener à la détresse, le sentiment d’impuissance, la frustration, l’hostilité et la déception, et déboucher sur une arène où se jouent des rapports d’oppression et de subordination.
“Doreen : Jamais je n’aurais eu d’enfants si j’avais su !
Moi : Même pas un ou deux ?
Doreen : Aucun. Pas du tout ! Cela me fait beaucoup de peine de dire ça, et jamais je ne le leur dirai à eux. Ils ne pourraient pas comprendre… Même quand ils auront 50 ans… Bon, peut-être qu’ils pourraient comprendre à ce moment-là, mais je n’en suis vraiment pas sûre. Si c’était à refaire, je n’aurais aucun de mes trois enfants. Vraiment.
Je n’en aurais pas, sans l’ombre d’un doute. C’est très difficile à dire pour moi, parce que je les aime. Je les aime beaucoup. Mais je m’en passerais très bien.
J’ai vu un psychologue pendant pas mal de temps. C’est drôle, vous savez. S’il y a bien une chose dont je suis sûre, c’est ça ! Ce que je ressens… La maternité, ce n’est pas quelque chose de sphérique pour moi [c’est incomplet, inachevé] ; mais je suis absolument sûre de ce que je vous dis. Et avec cette dichotomie… vous savez ? J’ai des enfants et je les aime — mais si je pouvais remonter le temps, je n’en aurais pas ; je ne les mettrais pas au monde. Alors, pour répondre à votre question… Si c’était à refaire, non, je n’aurais pas d’enfants.”
Source : https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2017-v49-n1-socsoc03347/1042813ar/
Le moins qu’on puisse dire c’est que la question du regret se pose également pour les parents. Donc pourquoi oppresser quelqu’un qui ne veut pas d’enfant ? Dans les deux cas le regret est possible.
Réaction #3 : “Les enfants donnent un sens à la vie”
Bah…ma vie a déjà un sens. Le voici : je crois profondément que l’éducation peut sauver le monde. Je crois que personne n’est abruti par essence. Abruti est un adjectif. Mais tout le monde peut être éduqué. Tout le monde peut s’épanouir et s’émanciper par la connaissance. Tous les problèmes de ce monde peuvent être résolus par l’éducation. On s’améliore en tant qu’espèce en s’élevant par la transmission de savoir. Or, je veux faire partie de cette chaîne. Je veux enseigner ce que j’ai découvert et qui m’a été légué par d’autres. Je veux l’écrire. Je veux le clamer.
Voici donc le sens de ma vie. Voilà pourquoi j’ai choisi d’exercer le métier d’enseignant (même si ce n’est pas dans l’éducation nationale), voici pourquoi écrivain est mon hobby.
Je n’ai pas besoin d’un enfant pour trouver le sens de ma vie. J’ai mis 20 ans à trouver mais j’ai trouvé.
Si un jour je fais un enfant (qui sait, je peux vraiment changer d’avis un jour, par définition) ce ne sera pas pour trouver le sens de ma vie. Ce sera pour l’aider à trouver un sens à la sienne.
Réaction #4 : “Tu es égoïste”
Mais ? Mais … MAIS ???
J’hésite entre éclater de rire ou en sanglots.
Dans un monde où faire un enfant est la pire décision écologique possible, la solution égoïste c’est de ne pas faire d’enfant ? Il faut qu’on m’explique.
Vous noterez que cette réaction contredit la précédente. Ce qui est égoïste c’est de faire un enfant dans le but de donner un sens à sa vie.
J’imagine que cette réaction est en réalité un aveu de la religion. Cette réaction dit : “comment ça tu n’es pas prêt à souffrir pour accomplir ta destinée ? Moi j’ai souffert, tu dois aussi souffrir”.
Réaction #5 : “Tu ne veux pas transmettre ? Léguer ton héritage ?”
Oui. C’est probablement la seule chose qui se rapproche d’un argument et non pas d’une inquisition. Il est vrai qu’un enfant est l’occasion de transmettre ses valeurs à un autre individu. Mais, d’abord, c’est bien plus limité que le fantasme qu’on s’en fait. Un enfant c’est avant tout un petit humain et pas une statue d’argile ou un Sims.
Ensuite, je comble ce besoin en transmettant à des élèves. D’ailleurs ils blaguent souvent en disant “t’as pas besoin d’enfants tu nous as nous”. Il y a quelque chose de vrai dans cette phrase : j’ai mes élèves, mes lecteurs et plus largement je me sens responsable de l’éducation de tous les humains que je croise. Je me sens responsable de partager mes valeurs au monde entier.
Réaction #6 : “Tu ferais un excellent papa. Une fois que tu l’aurais”
Ah mais je n’en doute pas ! Je vois bien que n’importe qui fait des enfants. Je n’ai aucun syndrome de l’imposteur. De même, je suis convaincu que je serais content d’en avoir si j’en avais.
Mais “une fois de l’autre côté de la barrière” n’est pas un argument qui me convainc. En effet, je ferais également un excellent dictateur. Je ferais aussi un excellent fumeur. Une fois de l’autre côté, je le ferais bien. Mais ce que je vois en étant de ce côté, ne me donne pas envie de franchir.
Réaction #7 : “C’est parce que tu as un problème avec tes parents”
Oui. Les gens osent. Ils osent. Et ensuite ils ne comprennent pas que je les insulte. Donc je vais le dire de la manière la plus courtoise possible : j’ai été baigné d’amour toute mon enfance et mes deux parents sont parmi les humains les plus incroyables que j’ai rencontré. J’aurais aimé être le dixième de mon père à son âge. Je ne sais pas comment ma mère a survécu à trois enfants. J’ai eu l’enfance la plus heureuse possible.
Au contraire, ce serait plutôt ce qui me donnerait envie de faire des enfants : pouvoir rendre ça. Mais…c’est trop me demander.
En écrivant cette phrase je comprends que c’est ce que veulent dire les gens qui disent “tu es égoïste”. Du coup…OUI. J’assume. Merci beaucoup papa et maman. Mais moi je ne vais pas le faire, ça avait l’air super dur.
Je ne supporterais pas d’avoir un enfant aussi ingrat que moi.
Guide pour les débutants qui veulent sortir de la religion de la parentalité
Rdv demain : ce sera la dernière partie
Dans les regrets d'avoir eu des enfants, comme dans ce témoignage:
“Fini les plaisirs égoïstes, les soirées ciné et resto improvisées, le calme à la maison et les vacances n’importe où. Aujourd’hui tout doit être calculé et fait au mieux en fonction des enfants, pour privilégier leur sécurité et leurs besoins. Ma vie d’avant me manque bien souvent”
je lis beaucoup de solitude. J'avais lu qq part "il faut un village pour élever un enfant" et c'est pas faux. On a besoin d'aide quand on devient parent.
J'aimerais bien savoir si les réponses à "regrettez-vous d'avoir un enfant" seraient les mêmes si on demandait "regrettez-vous de n'avoir pas eu d'aide ? si vous en aviez eu, regretteriez-vous quand même d'avoir eu un enfant ?"
Je me suis reconnue dans la réaction #3
"Ce sera pour l’aider à trouver un sens à la sienne."
alors oui, 100x oui, avant eux, ma vie n'avait pas de sens.
on m'aurait demandé de me présenter, avant, j'aurais hésité. Je ne faisais partie d'aucun groupe, d'aucun clan qui me donne une identité.
après, quand je me présentais, je disais fièrement "je suis la maman de".
(mais je n'aurais jamais dit fièrement "je suis la femme de". J'aurais détesté (je déteste toujours) me définir par rapport à qqn d'autre (sauf mes enfants, bizarrement).)
aujourd'hui, si je devais comparer à ma vie d'avant, clairement, je ne pourrais pas renoncer à mes enfants. Je renoncerais en revanche très facilement à mon couple (je ne sais pas si je dois avoir honte de dire ça). J'apprends tous les jours, dès que quelque chose semble acquis, ça change et on repart de zéro. C'est un challenge incroyable, où je commence en étant le centre de leur vie mais où le seul but est de leur apprendre à se passer de moi. Et comme ils ne seront pas toujours là pour vieillir avec moi, bien entendu, j'ai un chat :p