"La moutarde va au frigo"
Pendant un cours, j’ai dit à mes élèves que je n’étais pas bien parce que je faisais une indigestion.
Hier, j’ai mangé de la moutarde qui n’était pas au frais et de la pâte feuilletée qui n’était pas assez cuite… du coup je me demandais si c’était ça…
Mais tout le monde sait que la moutarde va au frigo !
Là-dessus quelqu’un a dit que la moutarde devait forcément se mettre au frais. Les autres ont embrayé en rigolant.
J’ai rigolé entièrement parce que, juste avant j’avais découvert qu’on ne savait pas s’il fallait mettre la moutarde au frigo. Il y a débat.
Lorsque le pot n’est pas ouvert, il n’y a pas de débat : la moutarde se range au placard. En magasin, le condiment n’est d’ailleurs pas stocké dans un frigo. Mais les choses se corsent lorsque le pot est entamé. Comme pour les oeufs, il y a la team frigo et la team placard. Qui a raison ?1
Ce n’est donc pas si évident que ça. Certaines personnes recommandent de ne pas la mettre au frigo, même entamée.
Il y a donc très peu de chances que mon indigestion venait de la moutarde.
Pourquoi aimons-nous nous moquer des gens qui ne savent pas ?
Je suis allergique à ce comportement. Il me dépasse. Depuis que je suis enfant. Pour une raison inexpliquée, on n’a pas réussi à me plier, à briser mon droit de ne pas savoir. C’est probablement pour ça que je suis devenu professeur.
À force de voir des adultes se moquer d’eux, beaucoup d’enfants finissent par intégrer qu’il est mal de ne pas savoir.
Sauf que… pour savoir quelque chose il faut d’abord admettre de ne pas le savoir.
En grandissant on apprend à nier que l’on ignore la plupart des choses. On finit par le croire soi-même.
Ça permet de nous donner un sentiment de supériorité à peu de frais
Comment est-ce possible d’être à ce point ignorant et moqueur ? Quelqu’un qui se moque en disant “tout le monde sait que la moutarde se met au frigo” trahit son ignorance. Parce que si elle s’était renseignée elle saurait qu’il y a débat.
On appelle ça l’effet Dunning-Krüger : c’est un phénomène psychologique qui fait qu’on a une énorme confiance en son savoir quand on vient d’apprendre un truc. Puis…quand on fouille vraiment, on perd cette confiance parce qu’on comprend qu’on a encore plein de choses qu’on ne sait pas.
Pareil quand on se moque des platistes
C’est facile de tomber sur quelqu’un qui dit que la Terre est plate. Mais, la plupart d’entre nous ne savons pas vraiment que la Terre est ronde. J’entends ici par savoir de manière profonde.
Être capable d’expliquer autrement qu’en disait “c’est comme ça, tout le monde le sait”.
Pareil avec l’orthographe
J’ai remarqué que les personnes qui étaient très dures et très moqueuses sur l’orthographe des autres étaient rarement des personnes avec une appétence pour la linguistique. Juste des personnes avec un bon niveau, jamais excellent.
Parce que quand on s’intéresse vraiment à toutes les subtilités de l’orthographe française, on réalise à quel point elle est incohérente et irrationnelle.
Pareil avec les chiffres romains
Parmi les gens qui se sont insurgés de voir Louis XIV écrit “Louis 14”, combien savent que 63 s’écrit LXIII ? Combien savent écrire 2021 en chiffres romains ?
Ce qui leur tient à coeur ce ne sont pas les chiffres romains mais bien l’occasion de se montrer supérieur.
Deviens la personne qui enseigne plutôt que celle qui se moque
Et si on devenait la personne qui cherche à enseigner les choses, plutôt qu’à se moquer des gens qui ne savent pas encore ?
Faut-il mettre sa moutarde au frigo ? par Fanny Rivron