Commençons par un avertissement : ce n’est pas parce que quelque chose est naturel que c’est bien. Mais je trouve que c’est important de contrecarrer le discours qui veut nous faire croire qu’une chose est contre-nature pour la diaboliser.
Par exemple, quand les gens disent que l’homosexualité est contre-nature c’est toujours intéressant de les voir réagir quand on leur parle d’homosexualité chez les animaux. Et en même temps il ne faut pas tomber dans le piège de c’est naturel donc c’est légitime.
Il y a plein de choses non-naturelles (s’habiller, faire cuire la nourriture…) qu’on fait et qui sont intrinsèquement supérieures.
Mais c’est important, quand on fait le choix de la monogamie de comprendre que c’est une construction sociale et que, par conséquent, il est normal d’avoir du mal.
D’ailleurs, tu remarques qu’on utilise le mot monogamie alors que quasiment plus personne ne pratique la monogamie en France. J’ai été élevé dans la religion chrétienne fondamentaliste et j’aspirais à la monogamie. C’est-à-dire : me marier avec la personne avec qui j’aurais eu mes rapports sexuels.
Et, donc, ne pas avoir de rapports avant le mariage. Puis, ne pas divorcer.
Normalement c’est ça la monogamie. C’est ça qui est dans la Bible.
D’ailleurs quand on parle d’animaux monogames, on parle de ça. Tu te rappelles du Gibbon ? Voilà ce que dit sa page Wikipédia.
Cette espèce est monogame et les couples restent ensemble jusqu'à la mort d'un des deux partenaires
La monogamie c’est un·e seul·e partenaire pour la vie (ou jusqu’à sa mort). C’est pas : un·e partenaire à la fois.
Avoir un·e partenaire à la fois c’est déjà de la non-monogamie. Ou, si on veut être gentil : de la monogamie sérielle.
Les efforts déployés pour maintenir la monogamie
Les Gibbons n’ont pas besoin d’être menacés pour être monogames. D’ailleurs, comme tous les animaux monogames ils sont hyposexuels. Un Gibbon va avoir des rapports sexuels tous les 3-4 ans, dans le but de se reproduire. Sachant qu’ils vivent 30 ans et qu’ils commencent vers leurs 9 ans, ça fait en moyenne 5 à 7 périodes de sexe dans toute leur vie.
À l’inverse, les humains, même quand on les menace de lapidation en cas de rapports sexuels hors mariage, persistent à le faire.
Même quand les enjeux sont la vie ou la mort, ils et elles continuent.
Idem quand l’enjeu est le respect d’un code moral puissant comme la religion :
Une enquête menée en 2005 auprès de 12 000 adolescents a révélé que ceux qui s’étaient engagés à rester abstinents jusqu’au mariage étaient plus susceptibles que les autres d’avoir des relations sexuelles orales et anales, moins susceptibles d’utiliser des préservatifs et tout aussi susceptibles de contracter des maladies sexuellement transmissibles que leurs pairs non abstinents. Les auteurs de l’étude ont constaté en outre que 88 % de ceux qui s’étaient engagés à l’abstinence confessaient ne pas tenir leur promesse.
Ne parlons même pas des statistiques sur l’infidélité pendant le mariage. Alors même que le risque est super haut : on sait très bien que l’infidélité fait peser le risque de détruire le couple et que ça se complique encore plus quand on a des enfants ensemble.
Les chiffres varient selon les enquêtes mais la première fois que j’ai découvert les chiffres j’étais choqué. J’étais encore dans mon plan de ne pas avoir de rapports avant le mariage et je trouvais ça fou d’avoir des statistiques comme la moitié des couples connaissent l’infidélité.
Ou pire encore, “28 % des hommes craquent et cèdent à la tentation dès la première année de mariage”1
Si c’était naturel, les chiffres seraient beaucoup beaucoup plus bas.
On se force à la monogamie.
Et je le répète, ça ne veut pas dire que c’est pas bien. Simplement il faut faire le choix en conscience, accepter que c’est un choix.
La répression sexuelle est un fléau qui prétend être le remède
On l’a vu, cette répression sert avant tout à se déployer contre les personnes socialisées comme femmes.
J’ai vu, hier encore un tweet horrible qui disait un truc du style “si elle me demande mon bodycount je lui répondrais que marquer 50 buts c’est pas pareil qu’en prendre 50”.
C’est d’ailleurs fou à quel point l’extrême-droite a réussi à imposer le terme bodycount. Je me rappelle qu’il y’a quelques années le terme même nous horrifiait. Aujourd’hui, on l’utilise à gauche. Pour lutter contre, certes, mais on a accepté le mot.
Et… la guerre ne s’arrête pas aux rapports sexuels entre deux personnes. La masturbation a été diabolisée également.
Tu as remarqué que les hommes américains sont circoncis ? Dans certains États c’est jusqu’à 80% des garçons ! Alors qu’il n’y a pas de religion dominante aux USA qui auraient imposé la circoncision. Tout ça est la faute de Kellogg (oui, le même qui a créé les céréales avec son frère) qui était obsédé par l’idée de réprimer la masturbation chez les enfants.
Pas plus tard qu’en 1994, la pédiatre Joycelyn Elders a été contrainte de quitter son poste de chirurgien général des États-Unis parce qu’elle a affirmé que la masturbation fait partie de la sexualité humaine et qu’on devrait l’enseigner à l’école.
Et, évidemment, les sociétés qui cherchent à imposer la monogamie par la répression sexuelle vont également valoriser la virginité.
Ce qui est marrant c’est que
Pour de nombreuses sociétés, la virginité est si peu importante qu’il n’existe même pas de mot pour désigner ce concept dans leur langue.2
La fable de l’homme nourricier
Quand on a plaqué notre modèle monogame sur nos ancêtres on a présenté les choses ainsi : les femmes devaient s’attacher à un homme pour avoir un père identifié pour les enfants. En effet, plusieurs pères auraient mené à une guerre de jalousie et au final à un danger de mort pour la femme qui n’aurait plus personne pour ramener de la nourriture pendant qu’elle s’occupe de la caverne.
Mais ce modèle est aussi véridique que se dire que les hommes préhistoriques roulaient dans des voitures en pierre et en bois : on projette notre vision. C’est d’ailleurs tout le ressort comique de la bande-dessinée les Pierrafeu.
On en avait déjà parlé dans un email :
Selon les communautés, la contribution des femmes à l’approvisionnement en nourriture varie entre 30 et 70% ! Parce que, forcément, tu auras remarqué qu’un humain mange quand même plus de légumes et de féculents que de viande.
Donc déjà, de base, cette hypothèse était étrange. Si on imagine que seuls les hommes chassent… bah forcément ça va être une partie minoritaire de l’alimentation. Sauf à imaginer nos ancêtres malades parce qu’ils mangeaient trop de viande rouge…
Mais surtout ce n’est pas crédible : sur 30 jours de chasse de gros animal on aura en moyenne un jour avec un succès. Sans compter les dangers.
C’est d’ailleurs ce danger qui, selon certain·es anthropologues expliquent pourquoi il y avait moins de femmes sur la chasse de gros animaux. Non pas qu’elles en soient incapables mais c’est trop dangereux pour la communauté de perdre une femme en âge de procréer.
Mais, on sait désormais que les femmes chassaient les petits animaux. C’est une source de nourriture beaucoup plus fiable. Donc, paradoxalement, les femmes en fournissant ces sources fiables (petits animaux et végétaux) ont été effacées de l’histoire car les outils utilisés (en matériau fragile) ne peuvent pas persister dans le temps. Là où les armes crées pour abattre les grands animaux étaient en pierre et on en retrouve des milliers d’années après.
Contrairement à ce qu’on pense quand on projette notre société patriarcale sur nos ancêtres, ce sont bien les femmes qui sont précieuses dans la communauté et non les hommes. (Si vraiment on doit hiérarchiser, mais nos ancêtres ne se posaient justement pas cette question de hiérarchie).
Surtout quand tu rajoutes la croyance dont on parlait hier : la plupart des communautés de chasseurs-cueilleurs pensaient qu’il fallait plusieurs géniteurs différent pour faire un bébé. Donc plusieurs papas.
La jalousie n’est pas naturelle
Contrairement au mythe qui nous fait imaginer nos ancêtres avoir des crises destructrices de jalousie, il semblerait que ça soit plutôt l’inverse.
Je trouve que l’exemple le plus frappant de nous qui plaquons notre regard monogame sur les autres est celui-ci :
Marco Polo, qui a traversé la région des Mosuo en 1265, s’est souvenu plus tard de leur sexualité dépourvue de honte : « Ils ne considèrent pas qu’il soit répréhensible pour un étranger, ou tout autre homme, d’avoir des rapports avec leurs femmes, leurs filles, leurs sœurs ou toute autre femme dans leur maison. Ils considèrent cela comme un grand avantage, en fait, car leurs dieux et idoles seront disposés en leur faveur et leur offriront des biens matériels en grande abondance. C’est pourquoi ils sont si généreux de leurs femmes envers les étrangers. »
« Bien souvent, écrit le Vénitien dont on peut imaginer l’œil pétillant, un étranger s’est vautré pendant trois ou quatre jours avec la femme d’un pauvre bougre, dans son propre lit. »
En bon Italien macho, Marco Polo a très mal interprété la situation. Il considère la disponibilité sexuelle des femmes comme si elles étaient une marchandise contrôlée par les hommes, alors qu’en fait, la caractéristique la plus frappante du système mosuo est l’autonomie sexuelle farouchement défendue de tous les adultes, les femmes comme les hommes.
Déjà parce que les Mosuo ne sont pas une société patriarcale mais matrilinéaire :
Les Mosuo sont un peuple agricole matrilinéaire, qui transmet les biens et le nom de famille de la mère aux filles, de sorte que le foyer tourne autour des femmes. Lorsqu’une fille atteint sa maturité, vers 13 ou 14 ans, elle reçoit sa propre chambre, qui s’ouvre à la fois sur la cour intérieure de la maison et sur la rue par une porte privée. Une fille Mosuo a une autonomie complète : elle décide seule qui franchit cette porte privée pour entrer dans son babahuago (chambre à fleurs). La seule règle stricte est que son invité doit être parti au lever du soleil. Si elle le souhaite, elle peut avoir un autre amant la nuit suivante, ou même un peu plus tard dans la même nuit. Elle n’attend pas d’engagement et si un enfant est conçu il sera élevé dans la maison de sa mère, avec l’aide des frères de la jeune fille et du reste de la communauté.
Ensuite parce que la notion de paternité est très différente. On attend des hommes qu’ils soient particulièrement responsables des enfants de leurs sœurs. En d’autres termes : les papas sont des oncles. Ou plutôt les oncles sont des papas.
Mais, de manière générale, tous les hommes se sentent responsables de tous les enfants du village.
C’est le cas dans les autres sociétés encore persistantes de chasseurs-cueilleurs. Par exemple les Achés, au Paraguay :
Il s’avère que les Aché distinguent quatre types de pères différents. Selon Kim Hill, ce sont :
Miare : le père qui l’a introduit ;
Peroare : les pères qui l’ont mélangé ;
Momboare : ceux qui l’ont fait sortir ;
Bykuare : les pères qui ont fourni l’essence de l’enfant.
Plutôt que d’être rejetés comme des « bâtards » ou des « fils de personne », les enfants de pères multiples bénéficient du fait que plusieurs hommes leur portent un intérêt particulier. Les anthropologues ont calculé que dans ces sociétés, leurs chances d’atteindre l’âge adulte sont souvent bien meilleures que celles des enfants n’ayant qu’un seul père reconnu.
Et, dans toutes ces sociétés on observe encore et encore la même chose : il n’y a pas de guerres de jalousie. On n’observe pas des pères qui seraient en compétition pour savoir qui est leur enfant générique et qui se désintéresseraient quand ce n’est pas le cas. On observe exactement l’inverse : une paternité plus diffuse et partagée. Tous les hommes actifs sexuellement considèrent que tout enfant pourrait être le sien.
D’ailleurs je dis “le sien”, mais ça n’a pas de sens dans leur point de vue. Y’a plutôt des degrés de paternité.
Ce qui est marrant c’est que la psychologie évolutionnariste a essayé de nous vendre que la meilleure stratégie de survie c’était la monogamie car ça permet d’avoir un papa qui défend sa progéniture. Mais on peut faire la remarque inverse : la pluralité de papas permet de maximiser les chances de survie car si l’un meurt, les autres restent pour s’occuper de l’enfant.
La société qui a poussé la non-monogamie aussi violemment que la notre a poussé la monogamie
Autant découvrir les autres sociétés m’a donné envie d’y vivre (ne serait-ce que pour le bien-être des enfants mais on en reparlera) autant ce n’est pas le cas pour celle que je m’apprête à te partager.
Car ils font comme nous mais dans l’autre sens : imposer violemment la non-monogamie. Mais je trouve intéressant de les mentionner pour bien voir que rien de tout ça n’est naturel, tout est un choix social.
En parlant du peuple Matis, l’anthropologue Philippe Erikson confirme que « la paternité plurielle est plus qu’une possibilité théorique. Les relations sexuelles extraconjugales sont non seulement largement pratiquées et généralement tolérées, mais elles semblent également obligatoires à bien des égards.
Marié ou non, on a le devoir moral de répondre aux avances sexuelles des cousins croisés de sexe opposé (réels ou classificatoires), sous peine d’être qualifié de “radin de ses parties génitales”, une violation de l’éthique Matis bien plus grave que la simple infidélité ».
Apparemment, il n’y a rien de drôle à se faire traiter de radin sexuel. Erikson parle d’un jeune homme qui pendant des heures s’est recroquevillé dans la hutte de l’anthropologue, se cachant de sa cousine dont il ne pouvait légitimement rejeter les avances si elle le trouvait. Plus grave encore, pendant les fêtes de tatouage Matis, il est expressément interdit d’avoir des relations sexuelles avec son ou ses partenaires habituels, sous peine de sanctions extrêmes, voire de mort.
Brrr… j’ai tout sauf envie d’y vivre. Pas plus que le modèle de monogamie forcée par l’église catholique avec des peines de mort au moyen-âge me donne envie.
Ceci étant dit, demain on continue avec le lien sur le bien-être des enfants et comment la non-monogamie se relie avec le fameux proverbe il faut un village pour élever un enfant.
Sex at Dawn
Petit ajout anecdotique : ça dépend de ce qu'on appelle "naturel", mais Homo habilis cuisait déjà ses aliments, donc littéralement notre espèce a toujours connu la cuisson (c'est pour ça le crudivorisme c'est complètement stupide d'ailleurs). Pour les vêtements idem, c'était avant Homo sapiens.
Du coup jsais pas ce qu'on considère naturel ^^