La constitution doit être littérale et itérative
Cette semaine, je fais une pause sur le sujet de l’autisme mais en vrai avec cet email, pas vraiment. Parce que je suis convaincu que si des autistes avaient écrit la constitution on n’en serait pas là. Les allistes se contentent trop facilement de trucs pas clairs.
J’ai toujours été fasciné par cette tolérance à l’ambiguïté
Même dans la religion… le nombre de catholiques qui interprètent la Bible… ça me rendait fou quand j’étais croyant. Je leur disais mais c’est la parole de Dieu et Dieu est parfait donc y’a rien à interpréter.
Dans le système politique c’est pareil. J’ai évidemment plein de choses à reprocher à Sarkozy (notamment d’être un criminel qui a détourné de l’argent libyen pour financer sa campagne). Mais y’a un truc que je trouvais fascinant : malgré sa personnalité d’hyperprésident, il respectait des règles non-écrites.
Par exemple, quand il a pensé à supprimer l’ISF il avait une majorité parlementaire pour le faire. Mais les bruits de couloir racontent qu’il a renoncé parce qu’il savait que ce n’était pas populaire dans l’opinion.
Sauf que… rien ne l’oblige à respecter ça.
On appelle ça la retenue institutionnelle.
C’est un concept développé par Harvard et que j’ai découvert grâce à Clément Viktorovitch. C’est l’idée qu’un système représentatif (donc où on donne un mandat chèque en blanc aux dirigeant·es) ne peut être démocratique que si et seulement si les dirigeant·es font preuve de retenue institutionnelle.
Ce livre How Democracies Die a eu un impact immense sur le débat politique anglo-saxon. Il a été écrit pendant le premier mandat de Donald Trump comme un cri d’alerte de ces deux chercheurs qui disent attention, une démocratie peut mourir dévorée de l’intérieur et peut glisser vers l’autoritarisme sans qu’on s’en rende compte et sans qu’on parvienne à y faire échec.
Comment est-ce que Levitsky et Ziblatt argumentent cette position ? Ils étudient sous la forme d’une comparaison internationale de nombreux pays dans le monde où une démocratie a basculé ou sinon basculé du moins glissé vers une forme ou une autre de l’autoritarisme. Et ce qui les intéresse, c’est d’identifier qu’est-ce qui fait que certaines démocraties se laissent corrompre de l’intérieur par la tentation autoritaire et que d’autres démocraties ils résistent et ils identifient et c’est ça qui est passionnant, deux gardes fous internes de la démocratie.
Je vais me concentrer sur l’un des deux qui en fait est le je crois le plus important. C’est ce qu’ils appellent la retenue institutionnelle.
Pour Levitsky et Ziblatt, la meilleure manière de garantir qu’une démocratie ne bascule pas dans l’autoritarisme ou ne prépare pas son basculement futur dans l’autoritarisme, c’est que les gouvernants acceptent de respecter la retenue institutionnelle.
Qu’est-ce que c’est la retenue institutionnelle ? C’est très simple. C’est tout simplement le fait que les gouvernants admettent qu’ils ne doivent pas aller jusqu’au bout de la dernière virgule de ce que la loi les autorise à faire pour faire prévaloir leur opinion. À l’inverse, Levitsky et Ziblatt identifient comme une menace pour la démocratie ce qu’ils appellent le brutalisme constitutionnel.
C’est précisément le moment où un chef d’état va utiliser toutes les armes institutionnelles à sa disposition quitte à trahir l’esprit de la loi pour faire prévaloir sa volonté. Le brutalisme constitutionnel, c’est précisément exactement à la virgule près ce que fait Emmanuel Macron depuis 2017. LLevitsky et Ziblatt, c’est exactement cela qu’ils identifient comme la pente qui entraîne une démocratie vers l’autoritarisme.
Pas forcément pendant le mandat en question. Ce sont les successeurs qui eux pourront le faire et comme je vous le dis systématiquement, que deviendra la France en cas d’élection d’un président ou d’une présidente dont le penchant autoritaire est manifeste ?1
Voilà. Macron n’a aucune retenue institutionnelle. Tant qu’il a le droit de faire un truc selon le texte alors il le fait. Il ne cherche pas à essayer de comprendre un esprit de la loi.
La retenue sur la perte de majorité à l’Assemblée
La Constitution de la Vème République ne dit pas quoi faire quand le président perd les élections législatives. Si on regarde la pratique de son fondateur, on devrait en déduire qu’il doit démissionner.
Aujourd’hui plus personne ne se dit ça car une forme de jurisprudence a été établie. Mitterrand n’a pas démissionné lors des deux cohabitations (Chirac, Balladur), Chirac n’a pas démissionné lors de sa cohabitation avec Jospin.
Mais avant on se posait la question :
Le président de la République a droit à la parole. D’entrée de jeu, cette affirmation de principe, sur France 3 hier, donnait le ton pour la cohabitation à venir. Pas question de jouer les silencieux du sérail et de laisser faire.
D’où la démonstration en deux temps. Premièrement : « Je n’ai pas l’intention de démissionner s’il se produisait un changement de majorité en mars. »
Deuxièmement : « Si la politique qui est faite me paraissait inacceptable, ce seraient les Français qui auraient à en décider. »
L’Elysée n’entend pas rester inerte. Et l’étendue de la défaite électorale du PS ne changera rien à l’affaire, prévient-il. Tous les pouvoirs conférés par la Constitution seront utilisés. À commencer par celui de désigner le futur Premier ministre. Et là, François Mitterrand adopte un ton enjoué pour comptabiliser sur les doigts d’une main les candidats potentiels. « Il y a le choix, mais trouver un homme de valeur c’est beaucoup plus difficile », glissetil.
Et si, incidemment, il rappelle que le Premier ministre pressenti devra afficher des couleurs européennes, il laisse entendre que d’autres critères peuvent intervenir.2
Tous les gens qui ont dit Macron enfreint la tradition oublient que Mitterand déjà enfreignait l’esprit de la Constitution en ne démissionnant pas.
La retenue sur le premier ministre
On parle du président mais y’a pas que lui qui fait preuve de retenue. Dans le texte, le premier ministre ne peut pas être viré par le président. Seule l’Assemblée le peut (motion de censure).
Mais… dans les faits… le Premier Ministre démissionne dès que le président lui demande (sauf en cas de cohabitation).
Si bien qu’il est de tradition (peut-être une légende urbaine cela dit) que le Premier Ministre rédige sa lettre de démission, le premier jour de son mandat et la donne au président qui peut l’utiliser quand il veut. Mais ce qui est sûr, c’est que les présidents virent leur premier ministre quand ils veulent.
Ça veut dire que tous les premiers ministres concernés ont fait preuve de retenue institutionnelle.
La retenue sur les pleins pouvoirs
C’est, de loin, le truc qui me terrifie le plus. Dans notre Constitution on a mis une clause de basculement dans une dictature. C’est ça quand on a une constitution qui a été écrite par un proto-dictateur dans un contexte de guerre civile.
Ça s’appelle l’article 16 et ça décrit les pouvoirs exceptionnels :
Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
C’est terrifiant parce que c’est le président qui doit décider lui-même si l’intégrité de la nation est menacée.
Techniquement, si la France n’a pas de budget Macron peut s’arroger les pleins pouvoirs le temps de passer le budget. Et ça dure deux mois avant que le Conseil Constitutionnel puisse être saisi pour dire si c’était justifié.
DEUX MOIS !
En deux mois y’a largement le temps d’instaurer une véritable dictature.
Bien sûr, quand De Gaulle a mis ça, il pensait à une invasion militaire de la France : mais ce n’est pas écrit !
Oui Macron est une brute mais…
Alors oui Macron fait du brutalisme institutionnel, mais il faut dire que cette Constitution le permet particulièrement.
On dit toujours non mais si ça avait été en Allemagne, le président aurait nommé un premier ministre de la coalition arrivé en tête.
Oui mais parce qu’il n’a pas le choix.
Voilà ce que dit l’article 63 de la loi fondamentale (l’équivalent de la Constitution) allemande :
Le Bundestag élit le chancelier. Le président fédéral ne dispose que d’un droit de proposition au premier tour de scrutin. Les pères de la Loi fondamentale ont ainsi tiré clairement la leçon de la République de Weimar dans laquelle le président pouvait nommer le chancelier et le résilier à tout moment.
Si le candidat à la chancellerie n’obtient pas la majorité absolue des voix des députés au premier tour de scrutin, le Bundestag dispose de deux semaines au cours desquelles il peut procéder à autant de scrutins qu’il veut pour élire un chancelier3
Donc la personne élue chancelière (première ministre) est proposée par le président mais élue par l’Assemblée.
Voilà, ça c’est équilibré : le président propose qui il veut comme nom de départ et ensuite l’Assemblée se débrouille ! Elle peut même changer de personne.
C’est comme si ici Macron avait proposé Barnier et ensuite ça devait être l’Assemblée qui vote pour lui à la majorité.
Bon bah… il aurait pas proposé Barnier car y’avait pas de majorité pour.
On doit arrêter de se reposer sur des esprits de la loi
Cet argument est ahurissant. En plus, comme je suis autiste on me dit tout le temps non mais Nicolas t’as pas compris, Macron devrait respecter l’esprit de la loi.
Alors oui, merci, je comprends. Mais peut être qu’on devrait avoir un texte qui a moins de marge d’interprétations : comme nos voisins !
🧱 Ma première brique : la Constitution doit être une rédaction collective
Pourquoi la constitution de la Vème est si mal écrite ? Parce qu’elle a été rédigée par quelques personnes dans un coin.
Ce qu’il faut c’est ce qu’on appelle un processus constituant.
On prend une Assemblée de citoyen·nes tiré·es au sort et on leur demande de travailler sur une constitution.
Voilà.
Ça donnera toujours un meilleur texte. Parce qu’on fait délibérer des gens sur un sujet précis. On revient à ce qu’on disait sur la convention citoyenne pour le climat.
🧱 Ma deuxième brique : la Constitution doit être corrigée en permanence
Un des grands soucis des constitutions c’est qu’on essaie de faire un texte parfait. Je comprends l’idée : c’est pour éviter qu’ensuite des gens reviennent en arrière sur des acquis.
Mais on devrait trouver un meilleur équilibre avec un système qui permet d’améliorer la constitution au fur et à mesure qu’on en voit les failles.
Bien sûr, ça ne peut pas être aux gouvernant·es d’écrire les améliorations.
Il faudrait un système à la Wikipédia avec des grandes règles et un système de consensus vivant.
Voilà !
Vidéo de Clemovitch :
https://www.lesechos.fr/1993/02/mitterrand-je-nai-pas-lintention-de-demissionner-899692
https://www.bundesregierung.de/breg-fr/le-gouvernement-fédéral/agir-selon-la-constitution-1134372

