Maintenant qu’on a fait le sujet qui était arrivé numéro 1 : la presse que j’aime, faisons le numéro 2 :
J’ai toujours aimé écrire
Aussi loin que je puisse m’en souvenir j’ai toujours adoré écrire. Je me rappelle de l’école où j’appelais toujours mes personnages masculins François et mes personnages féminins Julie.
Je me rappelle que la maîtresse puis mon père m’avaient expliqué que le verbe terrorifier n’existe pas, mais encore aujourd’hui je maintiens que c’était un magnifique verbe.
Il avait un regard qui me terrorifiait.
Je n’ai donc jamais douté de mon amour pour l’écriture. Et pourtant, je ne le faisais que dans le cadre de l’école. J’ai mis du temps à écrire de ma propre initiative.
Puis, j’ai eu la phase ado créatif. Celle où j’ai fait des chansons, des clips, des poèmes, un roman autobiographique…
Oh. J’avais oublié… LE SKYBLOG.
Quelle belle époque.
Tout ça pour dire : que j’adorais écrire. Que même les dissertations, je me rappelle du plaisir que j’y prenais. Autant je pouvais stresser pour les épreuves du bac, autant celle de philo était une séance de pur plaisir.
Mais du coup…
Pourquoi je n’écrivais pas ?
Je ne sais pas.
Maintenant que je suis de l’autre côté je n’arrive plus à me remettre dans l’état mental de l’époque. Je me rappelle qu’à chaque fois je me disais ah ouais faut pas que j’attende aussi longtemps pour écrire de nouveau, j’aime trop ça.
J’étais un écrivain qui n’écrit pas. Ça m’angoissait.
En vrai je me rends compte en l’écrivant que c’est pareil avec la chanson. J’adore écrire et interpréter des chansons. Dans les meilleurs moments de ma vie y’a eu l’écriture de mes deux albums.
Une partie de moi a envie de répondre : c’est parce que tu sais pas chanter.
Oui, c’est en partie vrai, car le fait de ne pas avoir un public qui me pousse à chanter, joue.
Mais c’est en partie faux car je n’écris pas parce que je suis bon, j’écris parce que j’aime ça.
Je ne chante pas pour la même raison que je n’écrivais pas
Au final, ce sont les mêmes réponses. Si on enlève la différence abyssale de niveau : à savoir que même à 8 ans on me disait que j’écrivais trop bien, alors qu’on m’a toujours dit que je chantais mal.
Mais pour le reste…
Il y a une énorme inertie à la création
Créer c’est un peu comme faire du sport. J’aime être en train de faire du sport, mais je n’arrive pas à mobiliser l’énergie pour m’y mettre. C’est pareil pour écrire : il faut l’énergie de poser ses fesses sur une chaise pour écrire.
Pour l’écriture j’ai mis des mécanismes en place pour compenser
Par exemple, j’ai tout le matériel qui faut pour écrire, toujours prêt : carnet à portée de main, stylo de bonne qualité qui donne envie, clavier ergonomique, bureau agréable, casque anti-bruit…
Idem pour les logiciels.
Alors que la chanson, non. Je dois aller chercher le micro quelque part, réinstaller le logiciel dont j’ai même oublié le nom… c’est dire…
Est parti sur Google taper “logiciel pro apple musique”
Ah oui : Logic Pro.
Le public pousse
Mine de rien, il y a quelque chose de motivant à créer devant un public. Parce qu’on a des retours, que ça crée une discussion. Mais également parce que j’ai une pression sociale à continuer puisque les gens attendent d’avoir un email par jour.
Mon pire creux d’écriture
Entre 2015 et 2018 j’avais fini par me donner une certaine discipline. J’ai été aidé par le fait qu’on me demandait d’écrire un article par semaine sur le recrutement, dans l’entreprise où je travaillais.
C’est là que j’ai découvert que je pouvais tenir une cadence. Puis que je me suis dit que je devais le faire en mon nom aussi. J’ai alors lancé le blog Dessine Toi un Emploi. Avec, son nom l’indique, une thématique très monde du travail.
Et en plus de ça j’avais mon Medium où je mettais des articles sur des sujets déjà plus proches de ceux que j’aborde aujourd’hui sur l’Atelier.
Jusqu’à ce que… j’écrive un article sur la monogamie. Je fais alors l’erreur de le mettre sur LinkedIn.
Et là… tout s’effondre. Des insultes, des appels à la démission envoyés directement à mon employeur, des religieux qui me proposent de me convertir…
Pendant deux ans, entre 2018 et 2020, j’arrête totalement d’écrire.
Le Slip Français
Début 2020, deux salariés du Slip Raciste Français font un blackface. Les réactions m’énervent tellement que j’écris un article sur Medium.
L’article s’appelle Le racisme expliqué à mes amis et c’est probablement mon plus grand classique. On m’en parle encore régulièrement. La dernière fois qu’on m’a parlé de cet article, c’était y’a exactement 27 heures et 39 minutes au moment où j’écris ces lignes.
Si tu ne l’as jamais lu c’est par ici :
https://medium.com/dépenser-repenser/le-racisme-expliqué-à-mes-amis-f95c5735233e
Puis, dans la lignée de cette énergie créatrice, je tombe par hasard sur ce site dont je n’avais jamais entendu parler.
Découverte de Substack
L’idée me séduit instantanément. Une proposition claire : des emails payants.
Avec un outil minimaliste : y’a pas des fonctionnalités compliquées de partout comme dans un outil de newsletter classique.
D’ailleurs, je pourrais générer davantage d’argent en gérant mieux mon compte Drip (mon outil de newsletter classique) car on peut y configurer des automatisations, etc.
Mais, chaque fois que j’y reviens, j’ai direct envie de repartir. C’est moche, y’a une toute petite place pour écrire, des fioritures inutiles, etc.
Alors que Substack c’est une belle interface qui donne envie d’écrire et qui ne fait que l’essentiel : envoyer les emails et les archiver sur un site, comme des articles de blog.
Parfait.
D’ailleurs ce n’est pas que ça. Tu sais à quel point je suis obsédé par les Business Model. Et bien là où les outils classique de newsletters te facturent au nombre d’abonné·es même si tu n’écris plus, Substack te facture une commission des abonnements payants.
En d’autres termes, j’ai été longtemps déficitaire avec Drip (mon outil de newsletter que j’avais déjà à l’époque Dessine Toi un Emploi) alors qu’avec Substack je suis forcément gagnant. Si j’arrête de gagner de l’argent : Substack aussi.
C’est ce que j’appelle un Business Model aligné : Substack a un énorme intérêt à me faire réussir mon objectif d’écriture.
Le début de l’Atelier
Je me crée un compte Substack avec enthousiasme puis je conçois le concept. À l’époque j’imaginais vraiment des emails quotidiens avec une rythmique. Genre :
Lundi : Légende Urbaine ou Podcast
Mardi : Micro Pensée
Mercredi : Discussion ouverte
Jeudi : Micro Pensée
Vendredi : Les découvertes de la semaine
J’écris le tout premier email. J’aime vraiment tout dans l’interface, je suis excité comme jamais.
Mais une partie de moi se dit si ça se trouve c’est un énième truc où je suis enthousiaste parce que c’est le début mais ça va me lasser vite.
1472 jours plus tard… force est de constater que non. J’ai publié un email par jour pendant 4 ans et 12 jours. Et pour le moment je ne compte pas arrêter, même si j’en ai été très proche cet été.
Les deux gros avantages d’un Substack
Déjà, être sur une plateforme qui partage le même constat que moi sur le problème de la création de contenu backée par la publicité est motivant. On se sent dans une communauté qui partage des valeurs. Mais pas que, on l’a dit plus haut : ils y croient au point de mettre leurs oeufs économiques dans le même panier que moi.
Premier avantage
Ensuite, le format newsletter est vraiment une mine d’or. Certes, si je veux la faire connaître je dois aller sur les réseaux sociaux. Mais sinon, non.
Cette année je n’ai quasiment pas partagé mes contenus sur les réseaux, je suis content de les partager uniquement à vous. Notamment parce que ça évite d’exposer mon contenu à des personnes qui ne savent pas qui je suis et peuvent réagir violemment.
Exemple, si demain je vous envoie un email titré :
Les profs sont-ils nuls ?
95% d’entre vous sauront que la réponse ça sera non c’est le gouvernement qui est criminel et saborde l’éducation nationale.
Si une personne tombe dessus sans savoir qui je suis (et c’est toujours le cas quand on poste sur les réseaux sociaux)… ce sera normal qu’elle puisse réagir en pensant que j’attaque les profs.
De même… ça me préserve des gens qui sont allergiques à mes valeurs. Les gens de droite radicale ne font pas long feu, ils se désabonnent et c’est fini.
Alors que sur Twitter, ils reverraient de temps en temps mes contenus et ça les ferait réagir.
Enfin… le fait que ça soit par email fait que tout le monde est plus détendu (moi le premier) : y’a moins ce besoin de prouver qu’on a raison devant la foule.
Deuxième avantage
L’autre point crucial c’est le fait de mettre la monétisation au centre. Ça change tout. Je t’ai déjà parlé de l’effet magique et sain de l’argent et la monétisation (à ne pas confondre avec le capital et le capitalisme) :
Encore une fois, l’argent n’est pas le capitalisme. En soi, c’est une invention incroyable que toutes les sociétés humaines ont spontanément proposée. Le troc n’a jamais existé.
L’argent sert d’unité de mesure au temps de travail qu’on alloue sur une chose.
Si on a une tribu de 10 personnes qui peut travailler 1 000 heures par mois alors on a 1 000 heures dans l’économie. On peut appeler ces heures des euros. Alors y’a 1 000€. On va alors décider ce qu’on veut faire de ces 1 000 heures.
Si on dit qu’une épée vaut 500 euros, ça veut dire qu’on estime que ça vaut le temps de travail de la moitié de la tribu pendant un mois. C’est exorbitant. Personne ne va l’acheter.
L’argent permet d’échanger ton temps de travail contre le temps de travail d’un autre. C’est donc un arbitrage. Quand tu paies, tu décides de ce qui est important pour toi. Tu décides de là où la société doit mettre son effort.
Si collectivement on commence à faire de grandes économies sur la nourriture, on décides de subventionner des entreprises qui vont te proposer de la nourriture pas chère mais toxique plutôt que de la nourriture saine.
Voilà pourquoi il est important qu’une organisation, même de gauche, soit capable de générer de l’argent.
Ce passage était un extrait de cet email :
Faire rentrer l’argent dans l’équation permet de créer un rapport plus sain à la création de contenu. Je passe entre 10 à 25 heures par semaine sur l’Atelier. Je passe entre 30 et 40 heures sur mon CDI.
L’Atelier me crée un revenu d’environ 1700€ nets par mois. Mon CDI me crée un revenu d’environ 3500€ nets.
Ça instaure un rapport de force. Parfois j’ai plein de trucs à faire pour mon CDI. Je suis tenté de mettre 0 heure sur l’Atelier, pour pouvoir monter en charge de travail. Mais je ne le fais pas parce que c’est mettre en danger une partie non négligeable de mon revenu.
L’argent est un rapport de force. Il est aussi une forme de respect. C’est une manière de dire que je respecte mon travail et que le public aussi. Je devrais d’ailleurs plutôt dire valorise.
Et surtout, créer de l’argent en ligne directe (sans contourner avec des placements de produits, de la publicité, etc) permet d’avoir les mêmes intérêts que son audience.
Car, il faut toujours rappeler que si c’est 100% gratuit pour l’audience alors
1) C’est l’audience le produit (modèle de la pub)
ou
2) La personne qui crée le contenu s’appauvrit (modèle du bénévolat)
La qualité vient de la quantité
On sous-estime l’effet de la quantité sur la qualité. Parce que, souvent, on voit des artistes déjà cuits. On ne les voit pas verts.
J’écoutais un reportage sur SCH (un rappeur) qui montrait que quand il a percé, en fait ça faisait déjà 10 ans qu’il rappait. On explique aussi les mois d’exercices qu’il faisait : rapper devant une bougie sans l’éteindre pour gérer son souffle, rapper avec un stylo dans la bouche encore et encore pour améliorer la diction, etc.
Or, comme tout le monde, moi je l’ai connu quand il a explosé.
D’autant que les artistes appuient sur ce mythe : l’équipe de SCH a supprimé tous les morceaux d’avant celui qui a percé. Si bien qu’on a l’impression qu’il est né à ce niveau.
Je te dis pas qu’il avait pas une prédisposition.
Ce que je dis c’est que j’écrivais déjà bien mais que y’a eu un avant/après l’Atelier.
Le fait d’écrire tous les jours aussi longtemps m’a développé des muscles insoupçonnés. Maintenant j’écris beaucoup plus vite.
80% du temps je ne fais même plus de plan (alors que je dis toujours que c’est le plus important) parce que maintenant j’ai les plans dans ma tête.
Ça m’a aussi décomplexé. Avant je ne voulais publier que des choses magistrales. Maintenant je m’autorise aussi à écrire des choses moins bien.
Là par exemple, si cet email est pas si bien… bah c’est pas grave, je peux faire mieux demain. Ce qui n’est pas le cas quand on publie que quelques fois dans une année.
Enfin… le fait de publier souvent permet de développer un sixième sens de ce que l’audience apprécie. Alors qu’au début on en a pas la moindre idée. On se fait des idées fausses car on se pense la mesure universelle du monde.
Exemple très récent : vous m’avez fait plein de retours enthousiastes sur la semaine dernière. Ça me fait réfléchir. Parce que moi en l’écrivant j’ai trouvé ça pas ouf.
À l’inverse parfois j’ai l’impression de faire des trucs géniaux et vous me dites bof.
Alors en vrai, vous avez la politesse de pas dire bof, juste vous dites rien.
Je trouve que c’est bien illustré dans le reportage sur Orelsan où il montre que pour faire un album de 15 morceaux il enregistre environ 100 morceaux et en jette 85.
Mieux encore, il montre comment il manque de recul et qu’il a besoin de son équipe pour lui dire non mais ça c’est trop bien ou non mais là tu déconnes.
Et voilà comment j’ai arrêté d’être un écrivain qui n’écrivait pas. Tout simplement en écrivant régulièrement.
On se concentre souvent sur le nom : chanteur, écrivain, etc. Alors qu’on devrait se focaliser sur le verbe : chanter, écrire.
Note : cette formule n’est pas de moi mais d’Austin Kleon :
Beaucoup de gens veulent être le nom sans faire le verbe. Ils veulent le titre du poste sans le travail. Laissez tomber ce que vous essayez d'être (le nom) et concentrez-vous sur le travail que vous devez faire (le verbe). L'accomplissement du verbe vous mènera plus loin et de manière bien plus intéressante.
Si vous choisissez le mauvais nom, vous vous retrouverez avec le mauvais verbe. Lorsque les gens utilisent le mot "créatif" comme titre de poste, non seulement ils divisent faussement le monde en "créatifs" et "non-créatifs", mais ils sous-entendent également que le travail d'un "créatif" consiste à "être créatif ».
Or, être créatif n'est jamais une fin en soi ; c'est un moyen de parvenir à quelque chose d'autre. La créativité n'est qu'un outil. Elle peut être utilisée pour organiser votre salon, peindre un chef-d'œuvre ou concevoir une arme de destruction massive. Si vous n'aspirez qu'à être un "créatif", vous pourriez simplement passer votre temps à signaler que vous l'êtes : porter des lunettes de marque, taper sur votre Macbook Pro et poster sur Instagram des photos de vous dans votre studio baigné de soleil.
Les intitulés de poste peuvent vous nuire. S'ils sont pris trop au sérieux, les titres de poste vous donneront l'impression que vous devez travailler d'une manière qui correspond au titre, et non pas d'une manière qui correspond au travail réel. Les titres de poste peuvent également restreindre le type de travail que vous pensez pouvoir effectuer.
Si vous vous considérez uniquement comme un "peintre", que se passera-t-il lorsque vous voudrez vous essayer à l'écriture ? Si vous vous considérez uniquement comme un "cinéaste", que se passera-t-il lorsque vous voudrez essayer la sculpture ? Si vous attendez que quelqu'un vous donne un titre de poste avant de faire le travail, vous risquez de ne jamais faire le travail du tout. Vous ne pouvez pas attendre que quelqu'un vous qualifie d'artiste avant de faire de l'art. Vous n'en ferez jamais.
Si et quand vous parvenez enfin à être le nom - quand ce titre de poste convoité vous est accordé par d'autres - n'arrêtez pas de faire votre verbe. Les titres de poste ne sont pas vraiment pour vous, ils sont pour les autres. Laissez les autres s'en occuper. Brûlez vos cartes de visite s'il le faut. Oubliez les noms. Faites les verbes.
Kleon, Austin. Keep Going : 10 Ways to Stay Creative in Good Times and Bad
C’est exactement l’effet que l’Atelier a eu sur moi : avant je me disais que j’étais un écrivain raté. Aujourd’hui je ne me dis pas je suis un écrivain raté ou réussi. Là je l’ai fait pour l’email mais en vrai je n’y pense plus, je n’ai plus l’angoisse de m’imaginer mourir avant d’avoir pu écrire. Maintenant… j’écris et voilà.