Je marchais dans la rue quand je me suis fait aborder par quelqu’un.
Je retire mon casque…
Je ne sais même plus ce qu’il m’a dit. Je comprends qu’il veut de l’argent.
Il a moins de 25 ans et une énergie particulière. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis arrêté. Puisque j’ai décidé il y a deux ans de ne donner qu’aux femmes et aux Noirs. Ce qui me permet de donner des sommes significatives, puisque je donne moins fréquemment.
Mais il t’es arrivé quoi ?
Je pose toujours cette question quand on me demande de l’argent. Ça permet d’engager la discussion et de s’intéresser un minimum.
Accessoirement, ça permet également de savoir quelle somme pourra aider la personne. C’est terrible. Comme Mélenchon dit ça fait de nous des sortes de managers de la misère. Comme si on décidait qui mérite ou non.
Mais il faut un minimum de pragmatisme… il n’y a que deux manières de l’éviter :
1) Décider qu’on donne systématiquement à toute personne qu’on voit demander… et on donne la même somme.
2) Ne plus donner.
La première solution ne me va pas car ça pousse à donner une très petite somme (genre 50 centimes) pour être viable. La deuxième est encore pire.
J’ai donc décider de faire malgré ça.
De même, j’en parlais avec une personne qui pensait être la seule : bien sûr que je me sens mal à l’idée de me sentir bien parce que j’ai fait une bonne action. Mais, là encore, on doit faire avec. On ne va pas arrêter de donner pour ne pas avoir mauvaise conscience d’avoir bonne conscience.
Je viens de sortir de prison
Il m’explique qu’il vient de sortir de prison. Je demande comment il y est arrivé. Je le sens gêné. Alors je change le sujet :
Je crois que je suis contre le concept même de la prison
Il a l’air très étonné. Je précise :
En tout cas… tant qu’on ne repensera pas les conditions de sortie
Et là il m’explique :
Ah bah oui. Ils m’ont fait sortir, ils m’ont donné deux tickets-restaurants. Mais le problème c’est que moi j’habitais à Nancy. J’ai fait une bêtise avec des gens un jour où j’étais à Paris et j’ai été le seul à me faire prendre. Mais du coup, là, je dois acheter un billet de train pour Nancy et trouver assez d’argent pour un hôtel.
Je lui demande ce qu’il compte faire après…
Après ça je vais prendre le métro, faire la manche, puis arriver Gare de l’Est et prendre le train pour Nancy. Mais c’est vrai hein ! Je peux te montrer que je raconte pas de conneries…
Je lui réponds :
Ahah non mais je te crois sur parole, tu sais. PERSONNE ne ment en disant qu’il est allé en prison, personne n’a envie de revendiquer ça, quel serait l’intérêt ? Sauf si tu compte sortir un album de rap ? Bon mais tu vas continuer à faire la manche dans le métro ? Parce qu’il te faut combien ?
Il m’explique qu’il lui faut 40€.
On va à un distributeur…
Tu imagines la suite.
Je le quitte en lui disant
Considère que c’est un cadeau pour te souhaiter bonne réinsertion
Pourquoi je te raconte ça ?
Parce que déjà, pourquoi pas ? Je te raconte bien mes vacances en Guadeloupe. Je trouve qu’on a un rapport au sujet un peu étrange. On se dit qu’on ne parle pas pour ne pas se “vanter”.
Mais pourtant on partage sur les réseaux nos voyages, nos repas et autres choses qui nous valorisent, sans le moindre problème.
Alors, au fond, la gêne que l’on ressent (et que je ressens évidemment en t’écrivant) n’est-elle pas plutôt le résultat de notre faculté à rendre ces personnes invisibles.
Il y a une blague chez les économistes :
La cape d’invisibilité existe déjà, il suffit de s’asseoir sur un trottoir et de demander de l’argent.
Il y a quelque chose de très vrai là-dedans. Moi le premier, quand je n’ai pas envie de donner, ma première impulsion est de détourner le regard. J’essaie de me forcer à plutôt dire bonjour et sourire car on m’a expliqué que c’était une des choses les plus dures de la rue : de se faire ignorer par les autres humains.
Mais surtout… je voulais te parler de la prison…
Quelle est l’idée de remettre quelqu’un dans la rue sans argent ?
Comment s’étonner de la récidive ?
63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans
Tu imagines ce que ça veut dire ? Ça ne veut pas dire que le taux de récidive est de 63%. Ça veut dire qu’il est de grand minimum 63% ! Puisque il faudrait intégrer les personnes qui n’ont pas été attrapées.
J’imagine qu’on monterait alors aux alentours de 75-85%.
La prison n’est pas inefficace, elle semble être négativement efficace. Dans le sens où elle aggrave le problème.
D’autant plus que cette récidive (33% la première année) concerne principalement des vols :
Le taux de récidive [dans l’année qui suit la libération] varie fortement selon l’infraction initiale, les auteurs de vols simples (43 %) ou de vols aggravés sans violence (39 %) étant les plus susceptibles d’être à nouveau condamnés, alors que les auteurs de violences sexuelles récidivent peu à court terme (12 %) tout comme les auteurs d’homicide (9 %).
Mais, en même temps… c’est quoi le projet de remettre quelqu’un en liberté dans une ville qu’il ne connaît pas, avec deux tickets-restaurants. Surtout si la personne est tombée pour vol, à l’origine.
Déjà, pourquoi des tickets-restaurants et pas de l’argent ? On en a déjà parlé dans un email mais c’est une réflexion étrange : la nourriture est rarement ce dont on a besoin en priorité dans la rue.
Mais ensuite… pourquoi n’existe-t-il pas une allocation réinsertion ? Si on considère que la personne a purgé sa peine, comment peut-on simplement la lâcher sans rien ?
On dirait que c’est un jeu vidéo… et la prison vous fait recommencer à zéro. Voire en-dessous.
Surtout dans une société qui ne valorise pas la mendicité. On assume le risque que la personne se retourne vers la criminalité plutôt que de “s’abaisser” à mendier.
Repenser la prison
Quand j’étais plus jeune je ne comprenais pas comment Booba pouvait dire, après sa sortie de prison :
Je vis sur le cran d'arrêt
Me demande pas à quoi sert une maison d'arrêt
Mais plus j’y réfléchis et plus je me pose la même question. J’ai récemment découvert que la Finlande avait lancé des prisons où l’on se focalise sur le bien-être des détenus et leur réinsertion. D’ailleurs, la libération y est progressive.
Selon les dernières études de l’Agence nationale finlandaise des sanctions criminelles, les prisons ouvertes entraînent un taux de récidive inférieur de 20 % à celui des incarcérations classiques, et des tentatives d’évasion très limitées.
L’idée c’est de se dire que la privation de liberté est déjà une punition. J’espère que tout le monde en est désormais convaincu après le premier confinement. J’ai entendu tellement de gens dire qu’on leur avait volé leur vie, etc.
La Suède expérimente un modèle similaire :
Je ne comprends pas pourquoi on n’a pas ça en France…
D’autant plus que ça ne demande pas de fermer les prisons classiques : ça permet d’avoir quelque chose entre les deux. La prison classique n’est là qu’en dernier ressort.
Déjà merci !
C’est toujours pas facile le complexe de donner et de culpabiliser parce que tu te poses la question sur ton intention: plaire ou donner vraiment ! J’ai souvent eu ce problème et je pense clairement que ma culture tunisienne d’être humble et de faire ça en secret y joue pour beaucoup.
Pour les prisons je suis complètement d’accord avec toi. Le fait de punir en pensant que c’est l’unique solution c’est peu zmpathique et pas en phase avec la psychologie humaine.
Ceci vient peut être du fait que nous pensons que ces personnes adultes (18 a plus) voire mineure mais assez « raisonnable » comprendront la leçon de la prison: ce que tu as fait cnest mal. Sauf que ça ne prend pas en compte l’environnement de la personne ni sa psyché. C’est aussi il me semble une habitude et une grosse flemme de remettre en question un système qui ne fonctionne pas.
De plus dans un pays où on balance publiquement des horreurs sur les personnes en prison et leurs origines il m’arrive de croire que le changement de mentalité sur la prison
Doit passer par d’autres remises en questions.
Merci Nicolas pour cet email très intéressant.
Il me fait penser au dernier épisode du podcast "Un podcast à soi" d'Arte radio. Actuellement, c'est une série sur les femmes et la prison. Le dernier épisode présente la ferme Emmaüs de Baudonne qui accueil des femmes en fin de peine et préparer leur réinsertion. Ce projet est top, dommage qu'il soit marginale en France.