Hakim Ajimi, 22 ans, étouffé par deux policiers
Pour clôturer cette semaine de meurtres policiers, on va finir avec le plus… “positif”.
Enfin…
Disons que c’est l’histoire qui me désespère le moins de l’humanité parmi les 5.
9 juin 2008 : Hakim gifle son banquier
Ce dernier appelle la police. Hakim est retrouvé sur le boulevard. S’ensuite une bagarre très violente entre lui et deux policier. Une vitrine est cassée. Hakim déboîte l’épaule de l’un d’entre eux : Jean-Michel.
Ils finissent par réussir à le menotter.
C’est fini.
Ou en tout cas ça devrait.
Mais… les deux policiers sont encore trop échaudés par l’altercation. La colère n’est pas retombée. Alors ils le maintiennent violemment en attendant les renforts.
Jean-Michel est assis sur le dos d’Hakim, pendant que Walter (le deuxième policier) lui applique une clé de cou. Un étranglement.
Ça va durer six minutes.
Des passants protestent
La scène est violente mais surtout manifestement disproportionnée. Certains passants protestent auprès des policiers. En vain.
Des témoins ont vu le visage d'Hakim devenir violet : de toute évidence, il n’arrivait plus à respirer. Une amie du jeune homme, qui a assisté à la scène, dit ne pas l’avoir reconnu, tant son visage était déformé. Elle a su qu’il s’agissait de lui en regardant le journal télévisé le soir même.1
D’autres policiers arrivent pour mettre Hakim dans une voiture de police et l’emmener au poste. Selon les policiers, il est encore vivant.
Selon plusieurs témoins, il est déjà mort. Une femme va même crier : «Il est mort, le jeune !».
Les policiers le jettent dans la voiture.
Aucune assistance médicale
Quand les pompiers arrivent, ils s’occupent d’un policier blessé. Ils veulent également s’occuper d’Hakim mais les autres policiers refusent. Ils disent qu’ils maîtrisent la situation.
Pire encore, dans la voiture : “Hakim Ajimi glisse, la tête au sol, les pieds en l’air. Il effectuera le trajet vers le commissariat dans cette position”2
Non-assistance à personne en danger.
Un procès et une condamnation
On arrive au moment qui fait que cette histoire me désespère moins. En effet, même sans vidéo, il y a tellement de témoignages unanimes que l’affaire a pu aller jusqu’au bout. Jusqu’à la condamnation.
Jean-Michel et Walter ont été condamné à 18 et 24 mois de prison avec sursis. Peine confirmée en appel. En revanche, les autres qui étaient poursuivis pour non-assistance à personne en danger ont été relaxés.
Le verdict a contrarié la famille ET les syndicats de police. La famille trouve que le sursis est trop clément, les syndicats de police s’insurgent sur le fait qu’on confirme leur culpabilité.
Alors, en soi, une condamnation par la justice française, même avec du sursis c’est plutôt rare dans les cas que j’ai étudiés. Mais, le truc que je n’ai vraiment jamais vu dans les autres affaires c’est les regrets des policiers.
C’est bête et ça n’excuse rien, bien sûr.
Mais ça redonne de l’humanité.
Quelques mots de regrets
Plusieurs policiers ont exprimé des formes de regrets. De manière plus ou moins franche.
Jean-Michel :
Les gestes que nous avons employés sont ceux qu’on nous a enseignés et je n’en reviens pas de cette issue3
La policière stagiaire qui était dans la voiture :
Au début du trajet, la stagiaire entend bien des pets, signe d’un relâchement du corps dans la mort, mais elle les interprète mal. « Nous avons ri, (...) pensant qu’il se moquait de nous », se souvient-elle, les larmes aux yeux. Ce n'est qu'à leur arrivée dans le garage du commissariat, deux minutes plus tard, que les policiers semblent enfin remarquer que le garçon est « bleu » et qu’ils alertent les secours.4
Walter :
[Les techniques d’étranglement] devraient être interdites mais ce n’est pas à moi de le décider
Le policier minimise sa responsabilité puisqu’il y a normalement une limite de temps (qu’il a dépassé) lorsqu’on applique un étranglement et que le policier doit ensuite vérifier l’état de santé de la personne.
Mais… on est en 2008… bien avant Cédric Chouviat et George Floyd.
Certes mais…
La Cour Européenne des Droits de l’Homme avait déjà condamné la France
En 2007, la CEDH a rendu un arrêt épinglant la France sur l’existence de cette technique. Car, une dizaine d’années avant, Mohamed Saoud est déjà mort ainsi.
Si l'on ne peut nier la nécessité des soins prodigués aux policiers blessés, la Cour constate que Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d'entraîner la mort par asphyxie dite « posturale » ou « positionnelle ».
Or, la Cour observe que cette forme d'immobilisation d'une personne a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l'agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l'effet de la pression exercée sur son corps.
Enfin, la Cour déplore qu'aucune directive précise n'ait été prise par les autorités françaises à l'égard de ce type de technique d'immobilisation et que, malgré la présence sur place de professionnels formés au secours, aucun soin n'ait été prodigué à Mohamed Saoud avant son arrêt cardiaque5
Mais la technique demeure…
Malheureusement… même si la justice française prononce une condamnation. La technique ne sera pas interdite. Elle est simplement assortie d’avertissement à l’école.
Elle fera encore des morts.
L’un des plus connus étant Cédric Chouviat, en 2020.
…jusqu’à être interdite en 2021
Et c’est ma deuxième lueur d’espoir dans cet océan macabre.
À force d’affaires et de condamnations, la France a fini par réagir.
Depuis 2021, les techniques d’étranglement sont officiellement interdites
Enfin… je dis officiellement mais ça a été fait par un courrier du patron des policiers.
LFI a proposé une loi pour l’interdire légalement. Mais elle n’est pas aboutie.
Il faut donc rester vigilants. Mais c’est une première victoire.
Bien sûr… ça ne va pas ramener Hakim Ajimi. Mais ça montre que parfois les luttes aboutissent. Le père d’Hakim l’a répété partout, son objectif c’était :
Que la clé d'étranglement utilisée par la police, une méthode qui entraîne une mort lente et douloureuse qui a tué mon fils, soit interdite.
C’est désormais chose faite.
Idem
Idem
Paragraphe 102, 103 et 104 de : arrêt Saoud c. France de la Cour européenne des droits de l'homme, 2007