Explosion des actes racistes au nom de Charlie
Nous sommes le 12 janvier 2015. 5 jours après le début des attentats, mais seulement 3 jours avant leur fin.
Et déjà la haine raciale se déchaîne :
Et pas des petits actes hein ?
Quatre coups de feu ont ainsi été tirés jeudi, au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo, sur la façade d'une mosquée de Saint-Juéry (Tarn)
Au Mans, la police a été prévenue par des riverains qui ont entendu les déflagrations vers 00h30, selon le parquet. Les forces de l’ordre ont relevé un impact de balle sur une fenêtre du premier étage d’une mosquée du quartier populaire des Sablons, dans l’est de la ville.
Trois grenades d’exercice, dites grenades à plâtre, ont également été lancées contre la grande bâtisse. Une seule a explosé dans une petite cour sans faire de dégâts majeurs, selon le parquet.1
A Port-la-Nouvelle, deux coups de feu ont été tirés en direction d’une salle de prière musulmane, vers 20 heures, une heure environ après la fin de la prière, a indiqué à l’AFP le procureur de la République au tribunal de Narbonne (Aude), David Charmatz.2
Jeudi matin enfin, à l'aube, une explosion s'est produite à Villefranche-sur-Saône (Rhône) devant un snack kebab jouxtant la mosquée de la ville. "Un engin artisanal déposé devant l'entrée du snack, à quelques mètres de la mosquée, a explosé à 05h45. La façade a été soufflée"
"Je suis choqué, on a visé le snack mais c'était la mosquée qui était visée", a réagi Fayssal, 28 ans, habitant du quartier. "Il y a des gens qui mélangent tout, il faut arrêter de mêler les musulmans aux cochonneries qui se sont passées à Paris", a-t-il ajouté, qualifiant les auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo "d'extraterrestres, de chiens".3
Et…ça va s’amplifier encore. Le 23 janvier 2015 (16 jours après le début des attentats), Libération titre :
Déjà autant d'actes islamophobes en deux semaines de 2015 que sur tout 2014
> Caromb (Vaucluse) : la voiture d'une famille musulmane a essuyé des tirs dans la rue, mercredi soir. Le véhicule était vide lors des tirs.
> Aix-les-Bains (Savoie) : une salle de prière a été la cible d'un incendie criminel, sans faire de victimes.
> Bayonne : des inscriptions haineuses ont été taguées sur les murs de la mosquée. Selon le journal Sud-Ouest, le mot « Charliberté » a été inscrit à la peinture jaune sur le portail de la mosquée, ainsi que « assassins » et « sales arabes » sur une poubelle et un mur. « On a peur de ces actes d'amalgame ! », a déclaré le président de l'Association des musulmans de la Côte basque, Abderrahim Wajou.« On est comme tout le monde, on est effarés par ce qui s'est passé à Charlie Hebdo, c'est totalement injuste (...) Mais ajouter de l'injustice à l'injustice, c'est mettre la pagaille dans la société ».4
Mais celui qui me prend le plus à la gorge, par écho c’est ça :
> Bourgoin-Jallieu (Isère) : un lycéen de 17 ans, d'origine maghrébine, a été insulté puis roué de coups lors de la minute de recueillement organisé jeudi au lycée L'Oiselet. Il a porté plainte.
Quand je te dis que je ne me suis pas senti en sécurité pendant la minute de recueillement dans le métro… que j’ai eu peur pour mon intégrité physique… voilà. Je suis pas fou.
Surtout que y’avait un Noir parmi les terroristes. Je n’ai pas inventé ces regards hostiles.
Tout le monde s’en foutait
Je vois des gens qui s’inquiètent de l’explosion des actes et propos racistes pendant la campagne des législatives où le RN se sentait fort…
Avec raison. Merci de vous inquiéter.
Mais… 2015 c’était pas moins fort, c’était pas moins grave, c’était pas moins dangereux.
Les gens tiraient sur des mosquées.
Je répète : les gens tiraient sur des mosquées.
Et la gauche n’était pas là.
La gauche blanche, la veille (le 11), elle était dans la manifestation Je Suis Charlie. Avec zéro pensée pour les camarades non-Charlie.
D’ailleurs je ne dis pas que toutes les personnes racisées étaient anti-Charlie, certaines se sont conformées. Mais je dis que beaucoup de personnes anti-Charlie étaient racisées.
Mon antiracisme a commencé cette année
C’est probablement dur à imaginer si tu me suis mais j’ai été un Noir républicain. En mode Zemmour dit des trucs censés sur l’assimilation on devrait au moins prendre des prénoms français.
(Maintenant ces propos m’horrifient… le prénom c’est si intime… c’est d’ailleurs aussi un des problèmes du slogan Je suis Charlie).
J’ai été un Noir qui refusait que les autres Noirs m’appellent frère. Tu ne le sais peut-être pas parce que le mot “frère” s’est gentrifié et depuis quelques années tout le monde s’appelle “frère”. Mais avant c’était un mot qu’on utilisait entre personnes racisées pour marquer une solidarité.
Et moi ça m’énervait.
Je répondais toujours : je n’ai pas de frère, je n’ai que deux soeurs.
Là encore… j’ai l’impression de lire une autre personne.
Mon premier basculement a été le séjour en Pologne (2012).
Mon deuxième basculement c’était là : Charlie.
D’un coup je me suis rendu compte qu’il me fallait un espace pour résister à la blanchité si elle se retournait toute entière contre nous. Avant ça… je n’avais jamais envisagé que ça puisse être le cas. J’ai toujours cru que la gauche nous défendrait.
Mais non… dans ces semaines délirantes, la gauche a crié Je Suis Charlie.
Je n’ai pas été le seul :
Les participant·e·s racisé·e·s de l’Université populaire ont évoqué les réactions suscitées par leurs corps dans l’espace public, en se remémorant le moment où iels ont, pour la première fois, ressenti que leurs corps étaient désignés comme différents et indésirables, une expérience pouvant se produire plus ou moins tôt dans leur vie.
(…)
Le massacre à Charlie Hebdo et les attentats terroristes qui ont suivi ont eu un impact significatif sur la vie quotidienne des participantes et ont renforcé les réactions altérisantes à leur apparence physique.
Ces expériences de traitement différencié interrogent quant à la place à laquelle peuvent prétendre les musulmanes en France : si elles « ne peuvent être présentes dans l’espace public sans se sentir mal à l’aise, agressées et foncièrement “déplacées” », alors il faut demander, à la suite de Joe Painter et Chris Philo, si elles peuvent même être considérées comme citoyennes à part entière (1995)
Et moi… bah j’ai pris les armes intellectuelles, j’ai commencé à lire, à développé une conscience raciale. Je voulais comprendre pourquoi, au moins dans mon entourage, c’était vraiment tous les blancs sont Charlie et tous les autres sont anti-Charlie.
Maintenant je sais. Mais à l’époque j’étais juste effaré.
Aujourd’hui je sais que je ne marcherai plus jamais seul. Même quand la blanchité nous jettera à nouveau sous le bus. J’ai des espaces de paroles numériques, des camarades de luttes antiracistes…
Je suis prêt pour le jour où ça arrivera de nouveau.
On ne m’y reprendra plus. On ne me surprendra plus.
Idem