Comment satisfaire sa soif de connaissance quand un événement de grande ampleur se déclenche ?
Okay, on a dit qu’il fallait faire très attention à ce qu’on porte à notre attention.
Ça marche mieux en anglais : pay attention to what you pay attention to.
Ceci étant dit, parfois c’est trop dur de résister.
J’ai beau savoir qu’on braque mon attention sur la Russie et que ça ne me plaît pas, j’ai beau avoir un entourage qui ne m’enverra pas de trucs sur le sujet (pour la plupart)… je peux difficilement y échapper sachant que mon Twitter et mon YouTube sont envahis.
Pour autant, rien ne m’oblige d’aller regarder des stupidités comme ça :
J’ai hésité à partager, même pour l’exemple ce genre de virus pour la santé mentale. Je pense sincèrement qu’on devrait mettre des amendes aux gens qui font ce genre d’articles. C’est littéralement une angoisse mise en mots et excitée.
J’ai décidé de partager pour qu’on constate ensemble le niveau de ridicule du truc.
Quel est l’intérêt de se poser ce genre de question ? Bien sûr, ça fonctionne : ça fait tellement peur que ça devient viral. Y’a plus de likes et de partages que pour un post moyen. C’est donc un succès sur la seule variable qui compte pour un média financé par la publicité.
Je trouve ça scandaleux, je trouve que ça devrait être interdit… mais je trouve aussi ça logique.
La peur fait des vues. Les publicitaires demandent des vues.
Et nous sommes également responsables. Tant que nous refuserons de payer pour les actualités, ça sera comme ça.
Si on passe cette actualité au test des 4 questions d’hier :
Est-ce que ça peut te servir concrètement ? Non. Sauf si tu es en charge de la défense antinucléaire de Paris. Mais si tu es une de ces personnes dans l’armée et que c’est dans cet article que tu vas te documenter, permets-moi d’être très inquiet.
Est-ce que ça éclaire tes actions ? Non. Qu’est-ce que tu vas changer ? Déménager de Paris ?
Est-ce que ça m’invite à réfléchir ? Pas du tout, ça fait juste peur.
Est-ce que ça me donne des idées ou au moins ça m’aide à dialoguer plus facilement avec autrui ? Archi pas.
Alors que regarder à la place ?
Un des problèmes principaux des actualités c’est qu’elles réagissent à chaud à une situation, sans la moindre profondeur et sans prendre un vrai temps d’analyse.
Ce qu’on peut faire, c’est donc regarder des contenus passés qui prenaient le temps de cette analyse.
Par exemple cette vidéo :
L’avantage c’est qu’on est sur un contenu qui date de 2019. On est donc à l’abri des effets d’emballement actuels. Il y a moins de raison que ça soit un contenu qui attise la peur.
J’ai donc choisi de regarder ça. Ou plutôt, je suis tombé dessus par hasard parce que j’étais allé tourner une formation pour l’entreprise qui m’emploie (L’école du recrutement). Or, dans le studio, l’équipe était en pause déjeuner et je suis arrivé alors qu’ils regardaient cette vidéo.
J’ai tout de suite entendu le ton posé et analytique et je me suis dit que ça pouvait être cool. J’ai demandé
Ça date de quand cette vidéo ?
Ils m’ont répondu qu’ils ne savaient pas, on a regardé la date et on a vu que c’était de 2019. C’est là que j’ai décidé que j’allais regarder la vidéo avec eux (sinon j’aurais juste mis mon casque pour faire mes propres trucs sur mon téléphone).
Voilà ce que j’ai appris dans cette vidéo :
La tension n’a jamais cessée depuis la Crimée
J’avais retenu que la Russie avait envahi la Crimée en 2014. Et voilà. C’est tout. Je ne savais pas qu’entre 2014 et 2019 il y avait eu 13 000 personnes mortes en Ukraine dans ce conflit.
Au point que la Crimée soit un territoire encore disputé à ce moment.
La Russie considère que l’Ukraine est russe
On dit ici “la Russie” comme raccourci de “une partie de son gouvernement”, bien entendu. Comme tous les pays, la Russie a une droite et une gauche qui s’affrontent.
Depuis 200 ans, les territoires russes et ukrainiens n’ont quasiment jamais été séparés. Sauf aujourd’hui.
Mais la Crimée est un point encore plus sensible car jusqu’en 1954, la Crimée était russe. Kroutchev, le dirigeant soviétique va offrir la Crimée à l’Ukraine. À ce moment ça a une importante toute relative puisque l’Ukraine et la Russie sont deux “régions” du pays “URSS”.
Sauf que, comme tu le sais, l’URSS s’est effondré et la Crimée est revenue à l’Ukraine.
Mais, logiquement, beaucoup de criméens se voient comme des russes
Vu l’historique, il n’est pas étonnant qu’une bonne partie des habitants de la Crimée se perçoivent comme russes.
Bonne partie ne veut pas dire totalité… et même pas la majorité. Mais la plus grande minorité.
L’importance de la géographie
Je n’ai jamais compris pourquoi on apprenait l’histoire et la géographie dans la même matière au lycée. Jusqu’à tomber sur des vulgarisateurs incroyables qui m’ont montré le rapport entre les grands événements historiques et la géographie.
Par exemple, il y a un fort lien entre ce qu’il se passe aujourd’hui et le fait qu’il y ait une grande plaine allant de la France à la Chine. C’est notamment ce qui explique que les Mongols de Gengis Khan aient pu envahir l’Europe aussi facilement : il n’y a aucune barrière naturelle qui l’empêche. C’est à la fois ce qui explique pourquoi la Russie est un si grand pays (avec cette immense étendue à l’est de Moscou) et pourquoi il y aura toujours une tension à l’ouest de Moscou. Mais c’est un autre sujet.
Ici, le point géographique important est l’absence d’accès à de l’eau non-gelée.
La Russie n’a accès aux mers chaudes que par un seul endroit : la Crimée (Sébastopol). En cas de conflit, c’est donc un endroit plus que crucial, que ça soit pour s’approvisionner ou pour déployer une flotte. Sinon, pendant une grande partie de l’année, la Russie dépend d’autres pays pour accéder à la mer.
Les attaques mortelles sont venues de l’Ouest
Que ça soit Napoléon ou Hitler, la Russie a été envahie par l’Ouest. C’est assez logique puisque Moscou est proche de la frontière. Ce serait bien plus compliqué d’attaquer depuis la Chine ou le Japon. Sans compter qu’on revient aux dimensions géographiques : pour attaquer, le Japon doit traverser la mer et la Chine doit traverser le fleuve Amour.
Avec ses 2 874 km, l’Amour est le plus long fleuve de l’Extrême-Orient russe. La rivière Oussouri rejoint l’Amour dans le coin inférieur gauche de l’image au niveau de la ville de Khabarovsk. Les deux cours d’eau marquent la frontière entre la Russie et la Chine (en vert clair). D’une longueur d’environ 900 km, l’Oussouri prend sa source dans les Monts Sikhote-Alin.
Alors que depuis l’Ouest c’est open bar.
Par conséquent, une des obsessions de la Russie est de créer une zone tampon entre son territoire et les pays potentiellement menaçants. Une zone d’influence de pays amis (ou soumis, selon le point de vue) pour que ça ne se reproduise jamais.
La désillusion envers l’Occident
Tu connais l’histoire : URSS, guerre froide, chute du mur de Berlin etc.
Et, à ce moment, les USA auraient fait une promesse. Le conditionnel est important car cet événement est contesté.
Il paraîtrait que le quiproquo vient du fait qu’un représentant du gouvernement américain a fait une promesse sans avoir demandé l’autorisation à son président. L’URSS a alors considéré que c’était promis. Les USA ont considéré que non.
La promesse était simple : en échange de la réunification des deux Allemagne, les USA s’engageaient à respecter la fameuse zone tampon. C’est-à-dire à ne pas étendre l’OTAN aux pays frontaliers de la Russie.
L’OTAN c’est l’alliance militaire américaine qui a été créée pour faire face à l’URSS et qui se doit solidarité. Si l’Ukraine avait été membre de l’OTAN alors tous les pays membres (dont la France) auraient été obligés d’entrer en guerre à leur tour.
Et, jusqu’en 1999, la promesse est respectée. En 1999 l’OTAN intègre des pays de la zone tampon : Pologne, République Tchèque et Hongrie. Mais ça “va”. Car ce sont des pays qui n’ont pas de frontières directes avec la Russie et que l’OTAN donne des gages en échange : notamment le fait de ne pas y stationner des forces de combat, ni de déployer des armes nucléaire à ces endroits.
Les relations sont bonnes. Au point qu’en 2001, Poutine sera le premier chef d’État à apporter son soutien après le 11 septembre.
Mais, en 2004… 7 anciens pays de la zone tampon intègrent l’Otan. Dont des pays frontaliers (les pays Baltes). Et là c’est une trahison pour la Russie. La preuve qu’ils ont eu tort de faire confiance aux américains.
Pourquoi l’OTAN avance ses frontières vers elle ? Si ce n’est pour l’encercler ?
Retour de la froideur
C’est à ce moment que va émerger à nouveau une énorme méfiance russe envers les occidentaux.
On ne peut pas parler de Guerre Froide mais les relations sont dégradées.
En 2008, la Russie intervient en Géorgie.
En 2014, la Russie intervient en Ukraine.
En 2016, l’OTAN inaugure un bouclier anti-missiles nucléaires en Roumanie. Officiellement pour se protéger de l’Iran.
La même chose est prévue pour la Pologne d’ici 2022.
La Russie interprète ça comme une provocation. Les USA nient : ils maintiennent que c’est contre l’Iran.
L’alliance avec la Chine
En 2008, la Chine a dépassé l’Allemagne comme principal partenaire commercial de la Russie. Et, en 2016, l’Union Européenne n’est plus le principal fournisseur de la Russie.
C’est en partie à cause des sanctions qui ont été déployées depuis l’invasion de la Crimée.
Mais les deux ensembles restent dépendants : les Russes ne peuvent pas se passer de vendre du gaz à l’UE et l’UE ne peut pas s’empêcher d’en acheter.
Du coup, la Russie s’est mise à chercher des contrats avec la Chine pour qu’elle achète davantage de gaz.
Mais, au-delà des relations commerciales, la Chine et la Russie partagent le fait de contester la domination américaine sur le monde.
La coopération de Shanghaï
Sous l’impulsion de ces deux pays a été créée une alliance nommée La coopération de Shanghaï
Le but de cette organisation est d’établir un nouvel équilibre mondial. Et, j’ai été choqué en entendant la phrase qui va suivre :
Une alliance régionale militaire qui regroupe désormais près de la moitié de la population mondiale.
LA MOITIÉ.
Ça permet de prendre un peu de recul avec l’arrogance qu’on a en Occident.
La moitié des humains sont regroupés dans cette alliance.
Russie et Chine ont un autre intérêt commun : la Chine veut se relier à l’Europe par des routes commerciales. Mais entre la Chine et l’Europe il y a … la Russie. Donc la Chine a tout intérêt à ce que la Russie soit en bons termes avec elle et assure la sécurité de ces routes.
2 ans plus tard, les enjeux de fond sont les mêmes
C’est ça que je trouve super instructif dans cette vidéo. On est sur une analyse à froid… très synthétique puisque la vidéo dure 17 minutes.
D’ailleurs, il y a très probablement des raccourcis puisque ça reste court. MAIS je trouve que ça donne de quoi mieux comprendre le monde. Au-delà des emballements.
Et puis, ça n’attise aucune émotion comme la colère ou la panique. On en appelle à notre intellect. Et ça, c’est toujours un meilleur signe.
PS : c’est un sujet que je maîtrise globalement mal. J’ai donc résumé la vidéo mais je ne m’y connais pas assez pour y pointer des erreurs s’il y en a. Si tu en vois une n’hésite pas à me la faire remonter.
Sur l'entrée des pays de l'Est dans l'OTAN, marrant comme quoi une proposition orale d'un diplomate US a valeur d'un pacte sacré dont le non respect est une trahison qui justifie une réaction violente, par contre le traité en bonne et due forme où la Russie, l'Ukraine, les USA et l'UK s'engagent, en échange de l'abandon par l'Ukraine des bombes nucléaires, à garantir l'intégrité territoriale de l'Ukraine et ne jamais la menacer militairement ou l'intimider, ce traité donc passe aux oubliettes.
L'argument qu'il y a des régions de pays frontaliers où la même ethnie que la notre est présente, et qu'il faut une zone tampon / Lebensraum, c'était aussi celui dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom.
Un délégué africain a fait une intervention magistrale à l'ONU pour montrer qu'après la décolonisation, l'Afrique s'est retrouvée avec des frontières beaucoup moins sensées que celle de la Russie, et qu'elle a consciemment choisi de ne pas chercher à bâtir des états ethniques, parce que ça aurait voulu dire la guerre à répétition, CQFD.
Enfin je voudrais faire réfléchir sur ce texte de Adam Something ( https://www.youtube.com/c/AdamSomething ) qui a beaucoup parlé du conflit, avant et depuis le conflit.
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1) NATO is a defensive alliance. Countries join NATO by popular vote. When people use the term "NATO expansion", what they (should) mean is "sovereign countries voting to join".
2) NATO will never invade Russia. Russia has the largest nuclear arsenal on the planet. If NATO invades Russia, the world ends. Nobody wants that.
3) The Russian elite knows that NATO will never invade Russia. "Fear of NATO expansion" is just a cover for the actual goal, which is rebuilding the former Russian/Soviet sphere of influence. Some people want to treat Russia like some scared and confused animal without any agency of its own, lashing out against a perceived threat. This is an exotic misunderstanding of the situation.
4) If Russia feels "threatened" by sovereign countries joining a defensive alliance, that's Russia's problem. Imagine an abusive ex-husband feeling insecure about his ex-wife taking self-defense courses after he assaulted her multiple times following their divorce.
5) It is possible to be critical of both US and Russian imperialism at the same time. In fact, you should be.
6) If Russia doesn't want NATO to expand, they shouldn't have created a puppet state inside Moldavia (1992), shouldn't have invaded Georgia (2008), shouldn't have annexed Crimea (2014), and shouldn't have maintained a low-intensity conflict in the Donbass (2014, ongoing).
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Évidemment depuis on peut rajouter que l'invasion de l'Ukraine est la meilleure justification de l'existence de l'OTAN depuis Staline.