Cette semaine, j’aimerais partager avec toi certaines de mes théories sur la politique. Bien sûr, c’est pas anodin de le faire la semaine avant le premier tour de l’élection présidentielle.
Alors suis-je en train d’enfreindre ma règle de ne pas faire d’actus ?
Oui et non.
Oui, pour les raisons évidentes et non parce que j’ai envie depuis longtemps de te partager ces théories. Et, surtout, je les crois intemporelles.
Mais avant tout ça je vais te raconter ma subjectivité. Ça sera à la fois une introduction aux principes et le premier principe : la neutralité n’existe pas en politique.
Le politique n’a pas de réponse scientifique
Je me rends compte que c’est déjà une théorie issue de ma position politique. Alors, ne commençons pas par là. Commençons par :
Je suis de gauche
J’ai été élevé dans une famille de gauche. Tellement de gauche que je ne savais pas que nous étions de gauche. J’ai compris très tard que j’étais de gauche de manière évidente.
Je savais que j’étais de gauche. Tout petit je suis tombé sur une définition du communisme qui m’a marqué à jamais : “personne ne devrait avoir le superflu tant que tout le monde n’a pas le nécessaire”. En une phrase, toute ma vision du monde était résumée.
Mais ce que je ne savais pas c’était que j’étais de gauche. Que c’était une position gauche. Que c’était nécessairement une position minoritaire.
Je l’ai compris en stage à IBM. Une de mes camarades m’a dit :
Toi, Nicolas, je te demande pas : tu es de gauche
J’étais surpris. Je lui ai demandé comment elle voyait ça. Et les réponses qu’elle m’a donné je me disais “ah mais c’est déjà la gauche de penser ça ? Pour moi ça c’était être normal”.
Mais qu’est-ce que la gauche ?
C’est un caractère, un rapport au monde avant d’être un contenu. Voilà pourquoi le capitalisme a été de gauche sous la révolution français. C’est un rapport au monde qui consiste à refuser l’état actuel de la société pour en promouvoir un nouveau, qui n’a jamais été essayer.
La droite c’est le rapport au monde qui se dit que l’état actuel correspond à un ordre légitime.
L’extrême-droite c’est celui qui refuse l’état actuel de la société mais pour revenir à un ordre ancien.
L’extrême gauche n’existe donc pas.
Je rappelle que je te présente ma définition personnelle. Si tu parlais avec quelqu’un de droite, probablement qu’il te définirait l’extrême-gauche. Moi, je ne comprends pas ce que c’est.
Autre manière de définir la gauche : ce sont les gens qui pensent que le politique peut (et doit) tout changer. Alors que les gens de droite ont tendance à penser que certaines choses sont immuables.
Donc… je suis de gauche. Et ça a une autre conséquence que j’avais commencé à décrire plus haut :
Le politique n’a pas de réponse scientifique
Je ne sais pas si les gens de gauche sont les seuls à le penser mais j’ai l’impression que les centristes, par exemple, ont tendance à le nier.
Mais ce que je crois c’est que la science ne peut pas résoudre les questions politiques. Pourquoi ? Parce que les valeurs et l’intelligence sont deux données indépendantes.
Un jour j’ai lu un article qui imaginait qu’on donne une intelligence artificielle à une imprimante. Quand je dis intelligence artificielle, je veux dire supérieure à celle d’un humain. Puis, un mois après, l’humanité a disparu. Pourquoi ? Parce que l’imprimante s’est rendue compte que les humains l’empêchaient d’imprimer tout ce qu’elle veut. Si sa mission est d’imprimer le plus de trucs possibles, c’est plus facile sans humains.
Cette anecdote ubuesque sert à faire le distinguo entre intelligence et valeurs. On peut être très intelligent et tuer tous les humains.
C’est pareil en politique. La science ne peut pas dire s’il vaut mieux partager les richesses ou pas. C’est une question de valeurs. La science ne peut pas dire s’il vaut mieux taxer les héritages ou pas. C’est une question de valeurs. La science ne peut pas dire s’il vaut mieux que n’importe qui puisse se marier. C’est une question de valeurs.
Ma valeur cardinale est donc l’égalité
Avant toutes choses, ce qui motive ma vision politique c’est de permettre à chaque personne d’avoir les mêmes droits.
Ou plutôt devrais-je dire l’émancipation. L’empowerment. Toutes mes réflexions politiques sont tournées vers cette notion d’émancipation. S’émanciper de ses parents, de son employeur, de sa religion, des produits addictifs…
D’autres personnes auront pour valeur cardinale la liberté individuelle. Non pas que ça ne soit pas important pour moi. Mais si j’ai le choix entre m’assurer via un salaire maximum que personne n’aliène d’autres personnes et la liberté individuelle de le faire… mon choix est fait.
Si j’ai le choix entre laisser les gens se tuer en fumant, victimes du marketing de l’industrie de tabac, ou l’interdire : mon choix est fait.
Et ainsi de suite…
Contrairement à la science, les valeurs ne peuvent pas être unanimement reconnue comme étant supérieures.
Voilà pourquoi je me méfie quand des gens me disent que “c’est les faits”. En politique, les mêmes faits vont donner lieu à des conclusions différentes en fonction des valeurs.
Voilà un fait : le taux de TVA ne dépend pas du revenu de la personne qui achète.
Interprétation #1 : c’est normal, ce serait beaucoup trop compliqué en plus de faire autrement, on va pas demander une déclaration de revenus à chaque achat.
Interprétation #2 : c’est l’impôt le plus injuste, celui qui rapporte le plus à l’État. On doit l’abolir et tout rebasculer sous forme d’impôt sur le revenu
Interprétation #3 : on doit abolir cette taxe. Purement et simplement. Chaque taxe est un obstacle à la libre organisation du marché.
La subjectivité est incontournable
Ce qui nous amène à une notion adjacente : la neutralité politique n’existe pas dans mon monde.
On ne peut pas être neutre. On peut être centriste, oui. Mais centriste c’est pas neutre. Centriste c’est pas moitié de gauche, moitié de droite. Ça ne voudrait rien dire. On ne peut pas vouloir à la fois changer le monde et à la fois le conserver. Centriste c’est plutôt de gauche sur certains sujets (souvent les sujets de société) et à droite sur les autres (souvent les sujets économiques).
Je dis “souvent”, mais je crois que je pourrais dire toujours ? Je n’ai jamais vu quelqu’un de sincère qui soit de droite sur la société et de gauche sur l’économie.
Quoique… Fabien Roussel c’est un peu ça ?
Je ne sais pas. Mais en tout cas le centrisme c’est pas être à mi-chemin partout. C’est être pleinement à gauche sur certains sujets et pleinement à droite sur d’autres.
Par conséquent, même une personne centriste n’est pas neutre. Elle sera de gauche sur certains sujets.
Centriste ça ne veut pas dire modéré ou raisonnable.
Du même coup, ça signifie qu’un média qui me cache son orientation politique en me faisant croire à la neutralité est en réalité un média qui n’est juste pas-de-gauche.
Puisque la gauche a comme caractéristique de ne pas croire en la neutralité.
C’est paradoxal, non ? Les gens qui croient en la neutralité pensent qu’ils peuvent se camoufler derrière, mais le simple fait d’y croire les exclut de la gauche.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le d’où tu parles, camarade est un questionnement issu des pratiques militantes de gauche.
Tout ce que je vais te dire est influencé par ça
Pourquoi je commence par ce principe politique ? Parce que ça influence tout le reste. Ça te permet de savoir quelle distance tu veux prendre avec mon propos. Et il faut une distance avec un propos.
Je vais voter Mélenchon
Je pense que tu l’avais compris mais je le dis explicitement pour être transparent jusqu’au bout. Si je vais voter, j’irai voter Mélenchon. Je t’ai épargné mon histoire politique où j’ai commencé par prendre une carte au Parti Socialiste en 2007. Pour finir par comprendre que c’est un parti de droite.
Mais cette histoire personnelle et collective m’amène à n’avoir aucun doute sur le choix.
Est-ce que ça veut dire que Mélenchon représente mes idées à 100% ? Très loin de là. Je pense que je suis plus proche de Poutou. Ou au moins entre les deux.
Mais… je ne vote pas dans le vide. Je ne vois pas l’intérêt.
Mais ça on en parle demain.
merci nicolas, toujours intéressant tes réflexions, je t'inviterai a lire
https://www.seuil.com/ouvrage/l-archipel-francais-jerome-fourquet/9782021406023
tu y découvriras que la concept droite / gauche , ne structure plus la société, il est dépassé..... c est d 'ailleurs pour cela que Macro a été élu.
Très intéressant, comme toujours...
Pourtant, je suis un peu étonnée que tu places l'égalité en vertu cardinale.
Je me souviens avoir lu, il n'y a pas longtemps, dans une newsletter ? un article ? je ne sais plus, un passage où tu évoquais la façon dont une ou un de tes amis avait été recruté(e). Cela s'était passé par relation. Tu développais, il me semble, l'idée que les emplois étaient déjà pourvus quand paraissait une annonce. Bon... c'est le monde comme il va, comme il est. OK. Mais ce qui m'avait frappée (choquée ?), c'est que cela ne semblait te poser aucun problème.
Je hais le népotisme, le copinage, le clientélisme et tout ce que ces systèmes impliquent. S'il doit y avoir une course, c'est à la loyale. Tout le monde doit être sur la même ligne de départ (on peut éventuellement discuter d'un handicap), tout le monde a toutes ses chances et le meilleur gagne. Point. On doit parler compétences et non relations sociales, réseaux.
J'ai bien conscience que ce n'est pas le monde comme il est, mais puisqu'on parle d'être de gauche...
Bonne journée à toi.