Des Noirs avec des flingues
Cette semaine je vais te résumer un livre que je t’ai déjà résumé en un email: Des Noirs avec des flingues. Mais, cette fois, on va prendre le temps de la semaine. C’est un livre que j’adore : il est tout petit, il raconte une histoire très spécifique, mais pourtant il a tellement résonné en moi.
L’histoire de Robert Williams
Robert Williams est Noir. Pendant la seconde guerre mondiale il fait l’expérience de l’injustice d’une armée ségréguée où on l’envoie en Europe combattre mais on ne lui donne pas la place que ses compétences auraient dû lui permettre. Il est relégué à un poste administratif. Après des péripéties que je t’épargne, il finit de nouveau dans l’armée en 1954. C’est là qu’il apprend le maniement des armes.
En 1956 il est de retour chez lui, à Monroe.
C’est là que tout va s’emballer.
À la fin de cette histoire, il doit s’enfuir des USA. Il passera 8 ans d’exil à Cuba puis en Chine, avant de revenir affronter son procès aux USA.
Mais revenons au commencement.
La première goutte d’eau
Octobre 1958, David et Hanover, deux enfants Noirs de 7 et 9 ans jouent aux cow-boys et aux indiens avec un groupe d’enfants blancs. La partie se finit. C’est là qu’une des filles blanches, Sissy, va reconnaître Hanover. En fait, ils jouaient ensemble plus jeunes car la maman d’Hanover travaillait pour la maman de Sissy.
Sissy est contente de retrouver son ancien camarade de jeu, alors elle lui fait un bisou sur la joue.
Sissy rentre chez elle et raconte à sa maman qu’elle était si contente de revoir Hanover qu’elle lui a fait un bisou sur la joue.
La maman entre alors dans une colère noire. Elle appelle la police. Avant même d’avoir eu le temps d’être rentrés chez eux, les deux garçons noirs sont arrêtés par la police et jetés en prison.
Motif d’accusation : viol.
Or, la loi sur le viol de Caroline du Nord interdit à la personne mise en cause de voir qui que ce soit, pendant une période de temps. Ça permet à la police d’enquêter sans que la personne puisse influencer d’autres personnes pour changer la version.
Donc la police ne prévient pas les parents.
Quelques jours plus tard, les parents comprennent enfin que leurs enfants disparus sont en fait en prison. Ils vont voir Robert Williams qui est alors le président de la NAACP locale. La NAACP c’est une organisation antiraciste que tu connais probablement parce que c’est celle dont Martin Luther King était membre.
Robert demande donc de l’aide au bureau national de la NAACP.
Mais… le bureau national de la NAACP de se mêler de ce qui est une affaire de viol.
On marche sur la tête, on rappelle qu’on parle de deux petits garçons de 7 et 9 ans qui auraient donc violées une fillette de 7 ans parce que l’un des deux a fait un bisou sur la joue.
Les deux enfants sont condamnés à 14 ans de prison et envoyés en prison pour mineurs.
Heureusement, Robert Williams organise une campagne médiatique qui fonctionne. Pas aux USA, bien sûr. Mais ça commence à faire du bruit en Europe. Il va y avoir des manifestations et des articles de presse pour faire libérer les deux enfants.
La pression finit par obliger la NAACP nationale à s’engager… et de fil en aiguille ça remonte jusqu’au président des USA qui finit par faire ordonner leur libération au début de l’année 1959.
La deuxième goutte d’eau
1959, Mary Reed, une femme noire enceinte de 8 mois se fait agresser par un homme blanc qui s’introduit chez elle pour la violer. Il la tabasse par terre.
Heureusement, le fils de Mary, âgé de 6 ans, s’empare d’un bâton et frappe l’agresseur sur la tête, suffisamment fort pour laisser à Mary l’opportunité de s’échapper.
Elle s’enfuit chez sa voisine, blanche, qui appelle la police. Cette voisine témoignera ensuite au tribunal pour attester que Mary est arrivée chez elle sans chaussures, les vêtements déchirés, en état de choc.
Entre temps, les frères de Mary sont pris (logiquement) de rage, et ils s’organisent pour aller tuer l’agresseur avant le procès. Robert Williams intervient et leur dit qu’il va s’assurer qu’ils aient un bon avocat et que l’affaire soit réglée au tribunal. Il leur rappelle que dans une société civilisée la loi sert justement à punir et dissuader.
Il leur fait ramener un avocat de New-York.
Sauf que… cet avocat ne sera même pas autorisé à prendre la parole pendant le procès. En revanche voilà la plaidoirie de l’avocat de l’agresseur :
Votre Honneur, Mesdames et Messieurs les jurés, vous voyez cet homme. Voici sa femme. Cette femme, cette femme blanche, est la pure fleur de la vie. Elle est l'une des plus belles créatures de Dieu, une fleur pure. Et pensez-vous que cet homme aurait abandonné cette fleur pure pour cela ?
(…)
Il s'agit simplement de savoir si vous allez croire ou non cette femme ou cet homme blanc. Monsieur le juge, votre honneur, cet homme n'est coupable d'aucun crime. Il ne faisait que boire et s'amuser.
Et l’agresseur est acquitté.
Robert Williams raconte qu’il a éprouvé la honte d’avoir conseillé aux frères de ne rien faire. Et les personnes noires présentes à l’audience l’interpellent immédiatement :
Maintenant, que vas-tu faire ? Tu as ouvert les vannes de l’enfer. Désormais ces gens savent qu'ils peuvent nous faire tout ce qu'ils veulent et qu'ils n'ont aucune chance d'être punis par la loi, ce qui signifie que nous sommes exposés en plein jour à la merci de ces gens et que tu en es responsable. Que vas-tu dire, maintenant ?
Répondre à la violence par la violence
Robert répète ce qu’il avait dit avant le procès : dans une société civilisée c’est la loi qui doit punir et prévenir les forts de profiter des faibles.
Mais il rajoute : sauf que le Sud des États-Unis n’est pas une société civilisée, c’est une jungle. Et puisque c’est désormais irréfutable que c’est une jungle, nous devenons revenir aux lois de la jungle. Nous devons donc créer nous-même le moyen de dissuasion. À l’avenir nous défendrons nos femmes, nos enfants, nos maisons avec nos armes à feu. Nous répondrons désormais à la violence par la violence.
Cette déclaration ayant lieu en plein dans le tribunal, la presse est encore là. Alors le lendemain cette déclaration apparaît dans tous les journaux américains. Robert se fait interviewer le lendemain par le Carolina Times. Et il réitère :
Cette décision du tribunal ouvre la voie de la violence. Voici désormais la preuve que le Noir du Sud ne peut pas attendre de justice dans les tribunaux, il doit dissuader ses agresseurs au moment même de l’agression. Il doit répondre à la violence par la violence. Il doit répondre au lynchage par le lynchage. Je ne parle pas d’aller se venger, je ne parle pas d’aller après coup se venger de ce que l’on subit. Je parle de se défendre au moment même de l’agression.
La réaction de la NAACP
Le lendemain de la publication des déclarations dans les médias nationaux, le bureau national de la NAACP appelle Robert Williams et lui demande si ses propos ont été déformés. Il répond que non.
Le bureau lui dit que la NAACP n’est pas une organisation violente et que ce sont des déclarations violentes. Robert répond qu’il sait et qu’il n’a pas fait cette déclaration en tant que président de la NAACP locale mais bien à titre personnel.
Le bureau répond que puisqu’il est président du bureau local, tout ce qu’il dit peut engager la NAACP, que les membres de la NAACP sont solidaires.
Robert demande alors puisque nous sommes solidaires pourquoi n’êtes vous pas intervenus ?
Silence.
Puis Robert découvre à la radio qu’il a été suspendu de la NAACP qui rappelle qu’elle est contre l’utilisation de la violence par les Noirs qui veulent se défendre.
Ce n’est que le début du combat de Robert…