À cause des clichés et de la méconnaissance, c’est dur de diagnostiquer le TDAH. Mais… avec une grille de traduction ça devient tout de suite beaucoup plus simple.
Comme pour l’autisme, le gros problème des descriptions officielles c’est que, non seulement elles ne font pas l’effort d’expliquer l’expression concrète du trait, mais en plus elle sont écrites par des personnes qui ne sont pas TDAH.
On va donc utiliser ici le travail d’Ellie Middleton dans Unmasked. Tout ce qui va suivre sera une paraphrase du chapitre 4 de ce livre : Traduire les traits TDAH.
Avant de commencer, je rappelle qu’il n’existe aucune raison valable de dévaloriser l’auto-diagnostic. Aucune.
Donc si ces traits te parlent, n’hésite pas à demander à tes proches. Souvent, c’est plus facile. Beaucoup de TDAH racontent la même expérience : j’en ai parlé à un·e proche qui m’a répondu AH BAH TU L’ES CLAIREMENT.
Bien sûr, en leur montrant les traits traduits. Comme je te disais précédemment, j’aurais été incapable de voir que mon amie était TDAH parce que je n’avais pas la traduction. Mais une fois que je l’ai eue c’est devenu limpide. Tous ces trucs “chelous” où je me disais non mais c’est Machine, elle est comme ça, sont devenus un AAAAAAAAAAH MAIS D’ACCORD.
Dernier point : je ne suis pas TDAH donc je vais peut-être commettre des fautes de traduction. N’hésitez pas à me corriger en commentaire si vous estimez que j’ai été imprécis sur la retranscription ou formulation d’un trait. J’ouvre exceptionnellement les commentaires à tout le monde.
Les 3 combinaisons possibles
Il y a une raison pour laquelle on dit maintenant avec ou sans hyperactivité. C’est parce qu’on se rend compte que c’est bien la même chose qui s’exprime de manière différente. Donc soit :
1 - Un TDAH où dominent les traits en rapport avec l’attention
2 - Un TDAH où dominent les traits en rapport avec l’hyperactivité/impulsivité
3 - Un TDAH sans dominance, les deux faces sont équivalentes
Pour faire plus court, je vais nommer traits A1, A2, etc, les traits relatifs à l’attention et H1, H2, etc ceux relatifs à l’hyperactivité.
Trait A1 : une régulation différente de l’attention
C’est le trait le plus connu mais aussi le plus caricaturé et incompris. On représente les TDAH comme étant incapables de se concentrer. Alors que pas du tout. Les TDAH ont un cerveau qui régule différemment la dopamine, l’hormone de la récompense.
Leur attention va tourner autour de ces 4 leviers :
Intérêt : quelque chose qui fait partie des sujets d’intérêts de la personne
Nouveauté : quelque chose de nouveau
Défi : quelque chose qui intègre un élément de compétition ou de difficulté contrôlée
Urgence : un truc avec une deadline
Si une tâche ne comporte aucun de ces leviers, il va être extrêmement difficile pour une personne TDAH de se concentrer dessus. Mais, à l’inverse, si un de ces leviers est présent, ça peut déclencher l’hyperfocus.
L’hyperfocus est une version plus intense de ce qu’on appelle le flow et que tout le monde a : quand on se fait absorber par une tâche. Sauf que là, ça va vraiment vraiment beaucoup absorber la personne au point parfois d’oublier de s’alimenter, se nourrir, etc.
De manière générale, dans ces moments, une personne TDAH a une attention beaucoup plus grande qu’une personne non-TDAH.
J’insiste encore là-dessus car il faut vraiment se débarrasser du cliché : elles ne peuvent jamais se concentrer .
Cette notion des 4 leviers est super importante car elle permet de développer des stratégies de compensation.
Par exemple, cela pourrait ressembler à ce qui suit :
Lire des podcasts à une vitesse de 1,5× ou 2× pour ajouter un défi à la tâche d'écoute.
Travailler sur son ordinateur portable depuis un nouveau café pour ajouter de la nouveauté aux tâches administratives.
Se fixer le défi suivant : « Combien de rangement puis-je faire avant la fin de cette chanson ? » pour ajouter de la compétition et de l'urgence à une tâche.
Trait A2 : des erreurs vues comme négligentes ou fainéantes
J’insiste sur le “vues comme”.
Le trait précédent va pousser la personne TDAH à faire des erreurs qui, chez quelqu’un d’autre, serait probablement dues à un manque de respect ou de travail.
Par exemple des grosses fautes d’orthographe, des RDV ratés…
Des choses qui vont agacer les autres qui vont avoir l’impression qu’on leur manque de considération. Et je me confesse là-dessus, avant de comprendre ce qu’était le TDAH j’avais en effet cette impression que parfois les personnes se foutaient de moi.
Alors que c’est tout l’inverse : la personne fait davantage d’efforts que les autres pour un résultat moins bon.
Résultat : souvent beaucoup de honte.
Trait A3 : oublier ou perdre des choses (pas forcément physiques)
La lecture des symptômes, que ce soit sur le site du ministère de la santé ou sur un mème Internet, ne donne pas une image complète des difficultés de la vie avec le TDAH. Les listes de symptômes en un seul mot sont incroyablement vagues ; elles permettent en outre le cliché courant du « Oh, tout le monde est un peu comme ça ». Oui, tout le monde peut être un peu distrait. Mais est-ce que tout le monde a perdu huit paires d'écouteurs pour iPhone au cours des SIX DERNIERS MOIS ?1
Les TDAH ont un sens moins développé de la permanence de l’objet.
Tu as déjà essayé de te cacher puis de réapparaître devant un enfant d’un an ? Probablement que ça le faisait mourir de rire. Parce que l’enfant n’a pas encore le sens de la permanence de l’objet. Pour lui : tu as vraiment disparu.
Dans le film Astérix et Obélix mission Cléopâtre, une des blagues repose dessus :
On m’voit, on m’voit plus…
Le personnage croit qu’elle disparaît, parce qu’elle ne regarde plus les gens.
Bien sûr les personnes TDAH n’ont pas le niveau de permanence de l’objet d’un nourrisson. Mais un niveau moins développé que la moyenne. Ça peut se répercuter de plein de manières différentes :
Porter le même vêtement encore et encore parce qu’il est dans le champ de vision (contrairement à ceux de la penderie) ou dans le champ de nouveauté
Oublier des fruits et des légumes dans le frigo pendant longtemps
Avoir du mal à garder contact par messagerie asynchrone avec les amis et la famille. Un peu loin des yeux, loin du coeur.
Avoir besoin de constamment réentendre les sentiments d’une autre personne pour les croire vrai
Traits A4,5,6… : du mal à s’organiser, à suivre des instructions…
Il y a encore plein de traits de l’attention : avoir du mal à s’organiser (75% des TDAH sont aussi procrastinateurs chroniques), ne pas réussir à exécuter des instructions, avoir envie de couper la parole aux autres en permanence, changer constamment de tâches…
Trait H1 : un mouvement externe ou interne constant
Le cliché de l’hyperactivité c’est un petit garçon qui n’arrive pas à tenir en place. Ça peut être ça. C’est même souvent ça : une douleur quand on reste trop longtemps calme sur une chaise. Mais il y a plein d’autres manières de l’exprimer.
Notamment un mouvement mental et interne. Avoir des pensées plein la tête qui ne s’arrêtent jamais. Parfois on le confond avec de l’anxiété mais ce n’est pas exactement ça, c’est vraiment une hyperactivité mentale.
Trait H2 : tripoter des trucs ou soi-même en permanence
Le besoin de constamment être en mouvement. On appelle ça le fidgeting. Se toucher les cheveux, remuer quelque chose, jouer avec un petit objet…
Ça te rappelle peut être le stimming des autistes ? C’est normal parce que c’est exactement la même manifestation externe. Il est impossible de différencier les deux en les observant. La différence c’est l’objectif : les autistes font ça pour s’apaiser, les TDAH font ça pour s’occuper, ajouter de la stimulation à leur cerveau (donc littéralement l’inverse).
Trait H3 : agir de manière impulsive en dépit du “danger”
Le danger est à prendre au sens très large et peut s’exprimer de manières très diverses :
Les TDAH adultes ont neuf fois plus de risques de se retrouver en prison que les personnes du même âge et du même milieu qui ne le sont pas.
Les TDAH adultes sont beaucoup plus susceptibles que les autres d'adopter un comportement financier risqué, par exemple en contractant des emprunts coûteux ou en faisant des achats impulsifs sans réfléchir pleinement aux conséquences.
60 % des TDAH ont déclaré que cela avait un impact direct sur leur vie financière en raison de problèmes de gestion de l'argent, ce qui leur coûte, en moyenne, environ 2000 euros par an.
Selon une étude menée à la Harvard Medical School en 2007, les filles TDAH étaient presque quatre fois plus susceptibles de souffrir de troubles alimentaires que les autres
Trait H4 : une régulation émotionnelle difficile
70% des TDAH disent avoir des difficultés à réguler leurs émotions.
Le TDAH altère la capacité à réguler les sentiments - colère, anxiété, tristesse ou autres. L'amygdale du cerveau gère les réactions émotionnelles et la prise de décision. Chez la plupart des gens, un flot de colère ou d'inquiétude demande à l'amygdale de transmettre un message au cortex cérébral.
Le cortex cérébral inhibe alors la réponse émotionnelle afin que vous puissiez respirer profondément et réfléchir. Cependant, dans les cerveaux TDAH, cette connexion est faible, ce qui signifie que nous pouvons ressentir des émotions soudaines sans être conscients de leur origine ou de leur raison.
Concrètement, ça donne aux autres l’impression que les émotions de la personne TDAH sont désynchronisées ou disproportionnées.
J’ai été frappé en lisant ce trait parce que justement c’est quelque chose qui m’avait toujours interpellé avec mon amie TDAH : le fait qu’elle se mette en colère parfois des jours après les faits. La colère était légitime mais tellement décalée dans le temps que ça me prenait de court.
L’autre composante de la régulation émotionnelle, on en a déjà parlé : la Dysphorie de Rejet.
Une autre cause importante de sautes d'humeur chez les TDAH est la dysphorie sensible au rejet (DSR), un terme inventé par le Dr William Dodson, qui explique la façon dont les personnes TDAH sont amenées à ressentir une douleur extrême en cas de rejet réel ou perçu - par exemple, si elles pensent que quelqu'un leur en veut, que leur travail n'est pas assez bon ou qu'elles ont déçu quelqu'un. Ce trouble est souvent associé au TDAH, bien qu'il ne soit pas officiellement reconnu comme faisant partie du DSM-5.
Arrêter de juger
Que ce soit toi qui te reconnaît dans les traits TDAH mais qui a toujours cru que tu étais une personne fainéante ou les personnes qui ne le sont pas, nous gagnerons tous et toutes à réduire notre jugement.
À accepter la réalité du TDAH et voir comment on peut aménager sans induire de honte. Mais surtout à avoir la bonne explication. Bien sûr, expliquer n’est pas excuser : une personne TDAH qui serait en charge d’enfants a toujours la responsabilité d’arriver à l’heure, même si c’est plus dur pour elle. Mais elle peut au moins se rendre compte que ce n’est pas qu’elle est fainéante… c’est son cerveau qui joue contre elle.
D’ailleurs c’est une des phrases que j’entends le plus souvent de la part de personnes TDAH non-diagnostiquées : mon cerveau ne veut pas.
Je trouve que c’est une bonne manière de le dire.
La source
Comme je te disais plus haut, l’email entier est une paraphrase du chapitre 4 du livre d’Ellie Middleton que je ne saurais que trop t’encourager à lire, Unmasked :
Dirty Laundry - Richard Pink et Roxanne Emery
Traduction efficace du livre, merci !