Si tu me suis sur Twitter, tu sais que je ne suis pas indifférent à l’actualité internationale. Mais je n’ai pas eu le temps de me plonger suffisamment dans le sujet pour te fournir un contenu avec du recul.
Mais… en voulant tweeter pour partager un de mes articles préférés, je me suis rendu compte que :
Il était un peu trop long pour un thread twitter
Beaucoup de gens ignorent le concept présenté alors qu’il me semble fondamental.
Cet article s’appelle : La stratégie de la mouche: pourquoi le terrorisme est-il efficace ?
Ça explique ce qu’on explique jamais : pourquoi et surtout comment le terrorisme fonctionne.
Et, pour une fois, il a été entièrement traduit en français. Tu peux le lire ici :
Voilà un résumé des concepts fondamentaux.
La méthode terroriste est l’inverse de la méthode militaire
Je ne peux pas mieux l’introduire que l’article original :
Un terroriste, c’est comme une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est bien incapable de déplacer ne serait-ce qu’une tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ainsi, par exemple, que la mouche Al-Qaeda a amené l’éléphant américain à détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient.
Comme son nom l’indique, la terreur est une stratégie militaire qui vise à modifier la situation politique en répandant la peur plutôt qu’en provoquant des dommages matériels. Ceux qui l’adoptent sont presque toujours des groupes faibles, qui n’ont pas, de toute façon, la capacité d’infliger d’importants dommages matériels à leurs ennemis.
Certes, n’importe quelle action militaire engendre de la peur. Mais dans la guerre conventionnelle, la peur n’est qu’un sous-produit des pertes matérielles, et elle est généralement proportionnelle à la force de frappe de l’adversaire. Dans le cas du terrorisme, la peur est au cœur de l’affaire, avec une disproportion effarante entre la force effective des terroristes et la peur qu’ils parviennent à inspirer.
C’est un point fondamental. Quand nos gouvernements déclarent nous sommes en guerre après les attentats de Paris, ils commettent une erreur cruciale.
La guerre c’est pas ça.
Dans la guerre on essaie de s’en prendre aux points vitaux de l’adversaire :
Ses forces militaires
Son haut commandement
Ses usines (l’énergie)
Ses infrastructures (routes, ponts, rails, etc).
Et on essaie généralement (je dis bien généralement) d’épargner le plus de civils possibles. Ou alors au pire du pire on s’en fiche des civils.
À quoi ça sert de tuer 100 personnes en France ? Ou même 3000 aux USA ? Comparés aux dizaines voire centaine de milliers de morts d’une guerre ? Ça sert parce qu’on a pas le choix. La plupart des groupes terroristes sont trop petits pour faire autre chose. Si Al Qaida avait eu une armée 500 000 hommes avec des avions, des tanks et une bombe nucléaire… elle n’aurait pas choisi d’envoyer des avions civils dans des tours.
En comparaison, le terrorisme est un petit joueur. Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 ont fait trente et un morts. En 2002, en plein cœur de la campagne de terreur palestinienne contre Israël, alors que des bus et des restaurants étaient frappés tous les deux ou trois jours, le bilan annuel a été de 451 morts dans le camp israélien.
La même année, 542 Israéliens ont été tués dans des accidents de voiture.
Certaines attaques terroristes, comme l’attentat du vol Pan Am 103 de 1988, qui a explosé au-dessus du village de Lockerbie, en Écosse, font parfois quelques centaines de victimes. Les 3.000 morts des attentats du 11 Septembre constituent un record à cet égard. Mais cela reste dérisoire en comparaison du prix de la guerre conventionnelle.
Faites le compte de toutes les victimes (tuées ou blessées) d’attaques terroristes en Europe depuis 1945 (qu’elles aient été perpétrées par des groupes nationalistes, religieux, de gauche ou de droite...), vous resterez toujours très en-deçà du nombre de victimes de n’importe quelle obscure bataille de l’une ou l’autre guerre mondiale, comme la 3e bataille de l’Aisne (250.000 victimes) ou la 10e bataille de l’Isonzo (225.000 victimes). Aujourd’hui, pour chaque Européen tué dans une attaque terroriste, au moins un millier de personnes meurent d’obésité ou des maladies qui lui sont associées. Pour l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État islamique.
Mais, une fois qu’on a dit ça… pourquoi ça marche ? Puisqu’aucun état n’est menacé dans son intégrité par le terrorisme ? Contrairement à la guerre.
Pour te donner un ordre de grandeur, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a déjà fait 190 000 morts.
Ça n’a rien à voir.
Et pourtant… aucun des deux camps n’a pris le dessus sur l’autre.
L’art du théâtre et de la provocation
Le terrorisme a une autre stratégie que la guerre. Pas parce que ça marche mieux mais parce qu’il n’a pas le choix.
C’est pour ça que, c’est généralement une stratégie de l’asymétrie. Une stratégie de petit face à un géant.
La stratégie est la suivante : apeurer la population qui en échange va demander pousser l’état géant à faire n’importe quoi pour retrouver sa crédibilité.
Oui : crédibilité. Ça n’est que ça.
La plupart des états modernes se sont construits autour de la promesse de protéger la population de la violence politique externe.
En France, les hommes commettent chaque année à peu près autant de féminicides que de morts dans les attentats de 2015. Mais ça, ça n’ébranle absolument pas la crédibilité de l’état : ce n’est pas insupportable pour sa population.
En tout cas, pas pour assez de gens. Le jour où la majorité d’entre nous trouvera ça aussi insupportable alors l’état se dépêchera d’essayer de régler le problème.
Bon… je simplifie un peu. Il faut un second ingrédient : le spectaculaire. Pour que le terrorisme fonctionne il faut de la terreur. Pour de la terreur il faut du spectaculaire : quelque chose de grandiose et inhabituel. C’est l’autre différence.
Plus un état a réussi à enrayer la violence politique et moins il la supporte
C’est le paradoxe de la pièce qui fait plus de bruit dans un tonneau vide. Plus un état est à l’abri de la violence politique et plus elle va être retentissante quand elle se produit.
C’est pour ça que quand les terroristes tuent 200 personnes à Paris, c’est un émoi mondial. Mais quand, la même année, les terroristes tuent plus de 300 personnes en Irak… ça a peu d’effet médiatique.
Parce que l’Irak c’est un pays où il y a régulièrement de la violence politique, à l’inverse de la France.
C’est d’ailleurs pour ça que le terrorisme est un problème moderne. Déjà parce qu’il faut les médias pour transmettre la terreur mais aussi parce que dans le monde de nos ancêtre :
Le terrorisme n’avait aucune place dans un tel monde. Qui n’était pas assez fort pour causer des dommages matériels substantiels était insignifiant.
Si, en 1150, quelques musulmans fanatiques avaient assassiné une poignée de civils à Jérusalem, en exigeant que les Croisés quittent la terre sainte, ils se seraient rendus ridicules plutôt que d’inspirer la terreur.
Pour être pris au sérieux, il fallait commencer par s’emparer d’une ou deux places fortes. Nos ancêtres médiévaux se fichaient bien du terrorisme: ils avaient trop de problèmes bien plus importants à régler.
Mais ça sert à quoi d’énerver l’état géant ?
Ah bah…
En vrai…
Pas à grand chose…
Mais on vient de dire que c’était une stratégie efficace…
Oui et non. C’est pour ça que ce sont souvent les petits qui l’utilisent : c’est une stratégie super aléatoire.
Déjà, l’état attaqué pourrait tout simplement riposter discrètement sans tout casser. En ciblant. C’est ce qu’ont fini par faire les USA pour éliminer Ben Laden.
Mais, même… il suffiraient que les médias ne servent pas de caisse de résonance…
Ou alors… que la population garde son sang-froid…
Bon… ça tu l’as compris en vrai c’est très simple mais trop dur. Tout le monde comprend comment faire mais personne n’y arrive.
Enfin… en vrai y’a des pays qui y arrivent. Par exemple on m’avait raconté que le Royaume-Uni avait réussi à réagir beaucoup plus calmement que la normale en 2005 (mais faudrait que je vérifie).
Mais voilà… grosso modo c’est trop dur. Personne n’arrive à se discipliner. Si nous arrêtons d’avoir peur il n’y a plus de terrorisme mais c’est trop dur d’arrêter d’avoir peur.
En vrai ça arrive souvent. Je me rends compte à la relecture que c’est juste que j’appelle terroriste uniquement les groupes qui arrivent à faire perdre les pédales de l’état. Mais par exemple les terroristes corses… y’a pas cet emballement.
Alors on va accepter que tout ça est automatique : je suis un groupe terroriste, je fais mon attentat, et l’état réagit.
Mais comment ça me profite ?
C’est là que ça se corse : c’est un lancer de dé.
En fait on espère que dans la furie de l’état, il casse des trucs qui allaient dans son intérêt. Par exemple, dans leur furie, les USA ont détruit les structures de l’Irak et provoqué le chaos dans lequel Daesh a pu émerger.
Ou, pour le dire comme GPT :
Affirmer que les États-Unis ont "créé" Daesh est réducteur. Cependant, il est généralement accepté que les décisions politiques et militaires prises par les États-Unis en Irak ont joué un rôle dans la création des conditions propices à l'émergence de Daesh.
Voilà. C’est ce que j’ai voulu dire. Je ne veux évidemment pas dire que c’est les USA qui font…
Non… ce qu’ils créent c’est le chaos. Et c’est ce chaos qu’espérait le groupe terroriste.
La solution
Tout ça repose sur le fait que l’état se sent obligé de mettre en spectacle sa réponse pour apaiser sa population terrorisée.
Alors qu’en vrai ce qui fonctionne le mieux c’est un démantèlement ciblé. Mais surtout :
Les médias, ensuite, devraient relativiser les événements et éviter de basculer dans l’hystérie. Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans publicité. Or malheureusement, les médias ne font souvent que fournir cette publicité gratuitement: ils ne parlent que des attaques terroristes, de façon obsessionnelle, et exagèrent largement le danger, parce que de tels articles sensationnels font vendre les journaux, bien mieux que les papiers sur le réchauffement climatique.
Le troisième front, enfin, est celui de notre imagination à tous. Les terroristes tiennent notre imagination captive, et l’utilisent contre nous. Sans cesse, nous rejouons les attaques terroristes dans notre petit théâtre mental, nous repassant en boucle les attaques du 11 Septembre ou les attentats de Bruxelles.
Pour cent personnes tuées, cent millions s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre.
Il en va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace.
C’est notre propre terreur intérieure qui incite les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à réagir de façon démesurée.
Bon… je sais… plus facile à dire qu’à faire…
L’article entier : https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160331.OBS7480/la-strategie-de-la-mouche-pourquoi-le-terrorisme-est-il-efficace.html
Merci @nicolas, excellent article.
L'AFP a aussi pris une position très claire à ce sujet:
https://x.com/afpfr/status/1718275547678003289?s=20
Je cite : "Conformément à ces consignes éditoriales, l’AFP écrit qu’un groupe est qualifié de terroriste par un gouvernement ou une institution. (...)
L’emploi du mot terroriste est extrêmement politisé et sensible. De nombreux gouvernements qualifient d’organisations terroristes les mouvements de résistance ou d’opposition dans leurs pays."
Et ton article rejoint exactement ce point en parlant de "violence politique".
Et cela m'amène à un 1er complément:
Avec Al Qaida ou Daesh il est assez difficile de voir quelles sont leurs revendications.
Mais pour tous les autres exemples (Corse, IRA, ANC, bande à Badeer et maintenant le Hamas) les revendications politiques sont claires.
On peut les désapprouver, mais les ignorer n'a JAMAIS résolut le problème.
.
Et un deuxième complément (double) sur les chiffres:
- rien que les accidents du TRAVAIL causent aussi CHAQUE année plus de décès en Europe que toutes les "attaques terroristes depuis 1945" ; et là non plus personne ne s'en émeut.
- et comme tu le dis en parlant de l'Irak, les victimes du terrorisme dit "islamiste" dans les pays considérés comme musulmans sont bien plus nombreuses que dans les pays occidentaux (10 fois, 100 fois probablement).