On l’a vu : le régime de la cinquième république est une exception en Europe. Mais comment on en est arrivés là ?
En vrai l’histoire, tu la connais. On te l’a raconté à l’école mais avec un ton positif. Un ton à la gloire de la République.
Je vais te la remettre, avec juste un ton neutre :
La crise en Algérie
On est en 1958, l’Algérie est une colonie française. Mais des mouvements de libération font rage et ça fait 4 ans que c’est la guerre.
Le président de la Quatrième République s’apprête à nommer Pierre Pflimlin en tant que Premier Ministre (à l’époque on dit : président du conseil).
Sauf que Pierre Pflimlin c’est quelqu’un qui est partisan de négocier avec les combattants indépendantistes algériens et laisser faire la décolonisation.
En réaction… avant même sa nomination officielle, les généraux (donc les militaires) d’Alger organise un coup d’état régional : le putsch d’Alger. Des militaires pénètrent dans les bâtiments de pouvoir et en prenne le contrôle.
C’est la panique.
Et que demandent les putschistes ? Simple : que De Gaulle gouverne car il est le seul à pouvoir conserver l’Algérie française.
On est un mercredi.
La réaction de Charles de Gaulle
À ton avis, le jeudi, il dit quoi De Gaulle ?
Et bah il dit “ok grave”.
Enfin… il dit plutôt qu’il est “prêt à assumer les pouvoirs de la République”
Il ne condamne pas le putsch.
C’est encore plus la panique. Le weekend passe et il est sous pression de s’expliquer.
Alors le lundi, il organise une conférence où il fait cette réponse désormais célèbre :
Croit-on, qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ?
Euh… bah moi je dirais bien que je vois pas le rapport ?
Il ne soutient pas les actes de l’armée putschiste. Mais quand on lui demande de condamner, il ne condamne pas non plus. Il insiste cependant sur le fait qu’il souhaite accéder au pouvoir de manière légale. Il est une solution de recours, pas le problème.
C’est la panique, la confusion… le régime ne sait pas quoi faire.
Confusion
Le mardi des manifestations éclatent à Paris. Autant contre De Gaulle que pour De Gaulle.
Le mercredi, donc une semaine après le putsch d’Alger, le gouvernement déploie sa propre armée pour se protéger d’un coup d’état.
Le jeudi, le président et le premier ministre font des réunions en panique pour trouver une solution.
Et le samedi…
L’armée putschiste débarque en Corse et prend l’île. Là encore… elle prend le contrôle de tous les bâtiments de pouvoir. Et elle se prépare à envahir Paris.
J’ai déjà dit que c’était la panique ? Bah là c’est au-delà.
Enfin, j’imagine hein ? Je fais un peu de narration. Y’a pas écrit dans Wikipédia '“là c’est au-delà de la panique”.
L’armée en a marre des hésitations donc elle pose un ultimatum : si dans cinq jours l’Élysée n’a pas nommé de Gaulle chef du gouvernement, ils marcheront sur Paris.
Ça nous amène donc au jeudi prochain… deux semaines après le putsch.
La “négociation”
Le lundi ce qui se passe est si fou que je te copie-colle Wikipédia sans ma narration pour tenter de rester neutre :
Le 26 mai, de Gaulle, qui ne détient alors aucun poste officiel, rencontre secrètement le président du Conseil Pierre Pflimlin, mais ils ne parviennent à aucun accord, de Gaulle refusant de désavouer les initiatives prises par ses partisans de son retour présents à Alger et de condamner la prise d’Ajaccio par des parachutistes envoyés d'Alger le 24 mai.
Mais le lendemain 27 mai, de Gaulle affirme qu’il a « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays » et se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République ».1
On croirait une scène d’une série comique absurde.
Si bien que, la veille de l’ultimatum, le président cède : il se sépare de son premier ministre et nomme … De Gaulle.
Voilà.
Le dernier soubresaut
On pourrait croire que ça s’arrête là… mais l’Assemblée refuse de voter la confiance à De Gaulle. Elle vote la confiance à Pfimlin (le premier ministre qui vient d’être limogé).
Alors le président de la République menace de démissionner (et tout le monde comprend que ça déclencherait le coup d’état des putschistes).
L’Assemblée finit par se coucher, pour reprendre les mots de Pierre Mendès France :
« C'est parce que le Parlement s'est couché qu'il n'y a pas eu de coup d'État ! »
Et elle confie à De Gaulle la mission de proposer une nouvelle constitution.
Une constitution personnelle
Normalement, pour écrire une constitution on passe par une constituante, c’est-à-dire une assemblée charger de la concevoir. Que nenni, ici c’est De Gaulle qui va la rédiger (enfin…un de ses potes).
Sauf que… quand je dis “normalement” il faut une constituante… bah dans la constitution de la quatrième république il y avait un garde-fou : une nouvelle constitution devait forcément être adoptée (et donc rédigée) par l’Assemblée.
De Gaulle parvient à contourner ça par des manoeuvres législatives que je t’épargne et il fait adopter la constitution de la cinquième république.
Le pire de l’anti-démocratie
Et donc il passe d’un régime parlementaire (comme ceux qui sont encore en vigueur dans le reste de l’europe) à un régime semi-présidentiel (moi j’aurais dit “bonapartiste, mais bon).
Et il y met tout un tas de leviers de pouvoirs au président pour justement pas qu’il se fasse emmerder par des parlementaires :
Le président peut faire adopter une loi par référendum en contournant l’Assemblée (c’est d’ailleurs comme ça qu’il fera adopter le suffrage universel du président, 4 ans plus tard)
Le président dirige le conseil des ministres
Le président peut dissoudre l’Assemblée mais ne peut pas être destitué par cette Assemblée (ni même la justice)
Le président peut s’octroyer les pleins pouvoirs en cas de crise grave
Le président peut se représenter à l’infini (ce n’est plus le cas aujourd’hui depuis 2008, une des rares choses de bien que Sarkozy ait faite)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_de_mai_1958