Pour la santé, il n’y a pas de consommation bénéfique d’alcool. C’est ma grande découverte de la semaine. Retour sur une manipulation de la science aussi scandaleuse que celle de l’industrie du tabac au siècle dernier.
Propagande : “Un verre de vin par jour est bon pour la santé”
On a régulièrement entendu dire qu’un verre de vin par jour réduit les risques de maladie cardiovasculaire. Que c’est bénéfique.
Partant de ce principe, il vaut mieux boire un verre de vin par jour que de ne pas boire du tout.
J’y ai tellement cru qu’un jour j’ai écrit ça dans un email :
D’autant plus qu’on peut en effet souligner qu’il existe des consommations non toxiques de l’alcool. Alors que la première cigarette est nocive.
J’ai été victime de cette propagande orchestrée par les lobbys de l’alcool.
Sans compter qu’en France, le vin occupe une place particulière. On en consomme énormément et on en fait un alcool à part.
Le vin, qui a beau représenter en France un peu plus de 56% de la consommation d’alcool et être plus alcoolisé que la bière, bénéficie du privilège exceptionnel d’être le moins taxé des alcools. Aucun des différents alcools en vente n’est taxé de la même façon, hormis pour ce qui concerne la TVA. En 2020, pour les spiritueux, l’ensemble des taxes "alcool" représente plus de la moitié du prix final de la bouteille, pour la bière, c'est un peu plus de 9%, et pour le vin… 0,83% !1
On a même des députés qui font ce genre de déclarations :
Je ne crois pas que le vin soit un alcool comme les autres. L'addiction à l'alcool est dramatique et notamment dans la jeunesse, avec le binge drinking, etc. C'est dramatique, mais je n'ai jamais vu à ma connaissance, malheureusement peut-être, un jeune qui sort de boîte de nuit et qui est saoul parce qu'il a bu du cote du Rhône, du Croze-Hermitage.
Des études manipulées par l’industrie de l’alcool
Mais alors, d’où vient cette croyance ? Et bien, comme l’industrie du tabac en son temps, l’industrie de l’alcool a financé des scientifiques pour produire des études dans ce sens.
Avec notamment une étude qui a popularisé le concept de la courbe en J.
C’est l’idée selon laquelle une consommation de 1-2 verres d’alcool par jour fait diminuer la mortalité par rapport à ne pas boire du tout. Et qu’ensuite la mortalité remonte.
Franchement… je me demande comment j’ai pu croire à ça : un à deux verres PAR JOUR ?
Genre ?
Comme on le voit, l’industrie de l’alcool a bel et bien financé ce genre d’études :
Nous avons retracé le financement de ces études. Ce que nous avons mis au jour est un incroyable enchevêtrement de scientifiques, de centres de recherche, mais aussi de lobbies, tous financés par les plus grands noms de l'industrie alcoolisée mondiale.
Reprenons avec Curtis Ellison. Pour diffuser dans le monde entier l'idée que l'alcool est bon pour la santé à dose modérée, il a par exemple créé l'ISFAR : un forum qui regroupe 50 scientifiques de toutes nationalités.
Nous nous sommes aperçus que sur ces 50 scientifiques, au moins 22 avaient reçu directement ou indirectement des financements de l'industrie de l'alcool.
Comme le Danois Schonberg aidé par le GODA, lui-même soutenu par la VSOD, qui se décrit comme la voix de l'industrie auprès des autorités et des politiciens et qui est subventionnée, entre autres par Pernod Ricard, et Moet Hennessy Danemark. Citons encore l'Américain Klatsky soutenu pendant 41 ans par l'ABMRF, une fondation entièrement financée par 40 brasseurs.
La Fondation dit elle-même avoir versé aux scientifiques plus d'1,7 M$ pour conduire des études sur les effets bénéfiques de l'alcool sur la santé.2
Or, quand on regarde les études des scientifiques indépendants, on a une toute autre réalité. Ils accusent notamment la courbe en J de provenir d’un biais : dans les études sur les bienfaits de l’alcool on compare les petits buveurs aux abstinents. Mais tous les abstinents. Or, dans les abstinents totaux, ceux qui ne boivent vraiment aucune goutte d’alcool, on trouve beaucoup de gens qui le sont pour des raisons de santé parce que justement ils ont trop bu d’alcool avant.
Quand on réintègre ces personnes en les classant dans le groupe qui correspond à leur consommation passée… l’effet en J se disperse :
Allez, jouons ensemble à corriger les biais méthodologiques. Après avoir reclassé les anciens buveurs parmi les buveurs actuels… eh bien non, il n'y a pas de miracle. Au revoir la courbe en J. C'est comme la clope : plus on consomme, plus on augmente son risque d'aller vers la tombe.3
D’autres scientifiques vont également dénoncer le fait que les petits buveurs sont également souvent des personnes avec un meilleur style de vie, un meilleur revenu et que donc la corrélation n’est pas une causalité. Ces personnes vivent plus longtemps mais ce n’est pas grâce au vin. Elles vivraient encore plus longtemps en ne buvant aucune goutte d’alcool.
Il y a une vraie stratégie pour minorer les informations de santé publique sur les risques de la consommation d'alcool. C'est une stratégie très ancienne qui a été inventée par l'industrie du tabac. L'industrie du tabac a inventé tout ce qui est aujourd'hui repris par l'industrie alcool, c'est à dire instiller le doute sur les données de la science, sur les risques, produire des études complaisantes, voire de fausses études, justement pour contrer l'information scientifique objective de santé publique.
D’ailleurs, les autorités canadiennes sont passées d’une recommandation de 10 verres par semaine max, à… 2 verres (beaucoup plus crédible).
L’arnaque de la modération
Toute la stratégie des alcooliers repose sur ce fantasme de la modération. D’ailleurs ils ont réussi à faire rajouter à consommer avec modération après le fameux message l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
Pourquoi ? Parce que la modération ça sonne super bien. D’un côté y’a les gens pas drôle qui boivent pas. De l’autre y’a les alcooliques. Mais au milieu on a les modérés.
L'intérêt du concept de modération, c'est qu'il est vague, c'est qu'il est flou. C'est que chacun le perçoit à sa manière. Chacun se sent modéré. Personne ne veut se classer dans la catégorie de buveurs à risques excessifs, etc. Donc le concept de modération est très intéressant en terme de communication pour les alcooliers.
C'est à dire que si on boit avec modération, on risque rien. En gros, c'est ça le message. Bon, évidemment, ce message est faux. Le message implicite c'est les acteurs de santé publique, c'est des radicaux, c'est des gens qui veulent tout détruire, qui veulent qu'on ne boivent pas du tout d'alcool. Donc nous, on est des modérés, on prône la modération, la mesure en toute chose.
Mais justement, cette modération, c'est surtout le flou et c'est surtout l'excuse pour ne pas maîtriser sa consommation.
Ça nous encourage à voir uniquement les alcooliques et les autres au lieu de comprendre que c’est un spectre et non une ligne. Il y a des personnes qui vont avoir un alcoolisme “modéré” et ne pas vivre l’enfer qu’on imagine ou que Jérémy Ferrari racontait.
La stratégie de la modération nous pousse à stigmatiser les alcooliques, les culpabiliser. En faire des gens chelous. Des gens rares.
Pourtant, d'après les données du Baromètre de Santé publique France, en 2020, 23,7% de la population âgée de 18 à 75 ans dépassaient les repères de consommation d'alcool.
Concrètement, ça veut dire qu’une personne sur quatre dépasse la consommation “limite”.
D’autre part on considère qu’il y a 3 millions de français et françaises qui sont en consommation clairement excessive d’alcool (je fais exprès de ne pas employer le terme alcoolique).
Justement, il ne faut surtout pas culpabiliser. Il faut remplacer ce concept de modérés et alcooliques par tout le monde gagne à réduire sa consommation d’alcool, peu importe le point de départ. Tout le monde.
En tout cas en termes de santé.
Les dégâts pour la santé d’un verre par jour
Revenons à l’affirmation du début selon laquelle un verre par jour ce n’est pas dangereux. Que c’est même bénéfique.
Beaucoup l'oublient, mais l'alcool est toxique dès les premières gouttes. En d'autres termes, la consommation sans risque, cela n'existe pas. L'alcool, c'est un produit chimique lié à 200 pathologies, comme les cancers de la bouche jusqu'à l'anus, en passant par le tube digestif et l'œsophage, ou encore le cancer du sein chez la femme.
Une fois ingéré, il attaque notre organisme, augmente le risque de maladies cardiovasculaires, l'hypertension, les hémorragie cérébrale, les troubles du rythme cardiaque. L'alcool entraîne également des troubles psychiques comme l'anxiété et la dépression, et il perturbe le sommeil. Mais cela, l'industrie de l'alcool ne vous en parlera jamais.4
L’alcool est notamment impliqué dans énormément de cancers du sein. 7% des nouveaux cancers du sein détectés en Europe sont provoqués par l’alcool.5
Et parmi ces cancers, 25% ont été provoqué par une consommation de “seulement” une pinte de bière (deux verres de vin) par jour.
Enfin… pour chaque verre d’alcool quotidien, le risque relatif de développer un cancer du sein augmente d’environ 7%. En d’autres termes ça veut dire que boire 3 verres d’alcools par jour augmentent la probabilité d’avoir un cancer du sein de 20% par rapport aux personnes qui ne boivent pas d’alcool.6
On est très très très loin du deux verres par jour c’est bénéfique.
On parle souvent des décès liés à la conduite. Moi-même avant de me pencher sur le sujet j’avais bien en tête que 25% des décès de jeunes étaient provoqués par l’alcool, souvent sur la route.
Mais on parle rarement de ce risque accru de cancer.
Parmi ces 37 000 décès : 10 000 décès par cancer, environ 6 800 décès par cirrhose ou autres pathologies digestives, 3 000 décès par psychose et dépendance alcoolique et 2300 décès par accidents de la route ce qui en fait la deuxième cause de mortalité évitable de notre pays, après le tabac.7
Le but c’est moins d’alcool
Là encore, il ne faut pas culpabiliser. C’est pour ça que je n’ai pas dédié un email entier uniquement pour décrire en détails les dégâts de l’alcool sur la santé.
Mais il faut avoir conscience, faire son choix de manière éclairée.
Je sais que, plusieurs fois, je me suis dit hey allez je prends un verre de vin parce qu’en plus c’est plutôt bon pour la santé d’en prendre un seul.
Je ne me dirai clairement plus jamais ça.
Mais ça ne veut pas dire que je ne boirais plus jamais pour autant. Simplement, je ferai mon choix en conscience. De la même manière que je choisis d’habiter à Paris et que la pollution augmente le risque de cancer.
Ce qui compte c’est de choisir en conscience et de choisir ses combats.
Les sources
Je me suis énormément reposé sur le Cash Investigation sur l’alcool. Malheureusement il n’est plus accessible en replay.
Mais j’ai aussi utilisé l’équivalent belge :
Pour les dégâts de l’alcool, j’ai trouvé mes sources dans cette vidéo :
https://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/video-le-vin-est-lalcool-le-moins-taxe-en-france-alors-qu-il-y-a-un-lien-clair-entre-la-consommation-dalcool-et-le-prix-selon-l-economiste-pierre-kopp_4355411.html
Cash Investigation - Alcool : les stratégies pour nous faire boire
Cash Investigation - Alcool : les stratégies pour nous faire boire
AB Inbev, Pernod Ricard: les stratégies des alcooliers pour nous faire boire | #Investigation
https://www.who.int/europe/news/item/20-10-2021-alcohol-is-one-of-the-biggest-risk-factors-for-breast-cancer
https://www.komen.org/breast-cancer/risk-factor/alcohol-consumption/
https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/DPAlcoolViolence.pdf