Hier je t’ai posé 7 questions sur l’autisme. Il est venu le moment de les débriefer.
#1 | L’autisme n’est pas un trouble psychique
Vous avez été une grosse minorité à trouver la bonne réponse : l’autisme n’est pas un trouble psychique.
Il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement. Ce qui veut dire que ça se joue dès l’utérus, à la naissance.
Ce n’est pas quelque chose que l’on peut guérir.
Alors que par exemple, le trouble dépressif n’est pas joué à la naissance. Il y a des prédispositions, mais on va avoir des déclencheurs.
L’autisme est un handicap.
On reviendra sur cette notion mais plus je creuse et plus je me rends compte que dire que quelque chose est un handicap est incomplet. Il faudrait rajouter “dans notre société”. Une partie du handicap n’existe que parce qu’il y a une société qui refuse d’aménager.
Pire encore, il existe une psychothérapie de l’autisme : la thérapie ABA. C’est une thérapie adorée par les profs, les parents et les psychologues
Si on oublie le fait, qu’au début, cette thérapie utilisait des chocs électriques sur des enfants autistes pour les pousser à avoir le bon comportement social… ça reste problématique car il s’agit d’apprendre à l’enfant autiste comment camoufler ses traits, par la force.
Si bien que :
“46% des autistes adultes ayant subi une thérapie ABA enfants déclarent avoir eu un Etat de stress post-traumatique (PTSD) suite à cette thérapie”1
Mais certaines recherches continuent de considérer cette thérapie comme efficace. Parce qu’elle est efficace du point de vue des personnes qui ne sont pas autistes. C’est efficace au sens de : tu rentres dans le rang et tu arrêtes de nous faire chier mais nous on fera aucun effort.
Note : en creusant je me suis rendu compte que j’ai totalement inventé le fait que la thérapie utilisait des chocs électriques par le passé… elle le fait encore maintenant. Les chocs ont été interdits en 2020 seulement puis réintroduit en 2021 aux USA.
#2 | Il y a (peut-être) davantage de femmes autistes
Vous avez été une petite minorité à choisir cette réponse.
C’est très dur d’avoir de l’information fiable dessus. Pourquoi ? Parce qu’énormément d’autistes n’ont jamais eu accès aux diagnostics.
L’autre problème c’est que non seulement les tests ont été pensés par des hommes blancs non-autistes mais ils ont été pensés pour diagnostiquer des petits garçons blancs.
Un des traits de l’autisme c’est une communication plus directe, plus brute, qui prend moins de gants émotionnels. Sauf que… une femme autiste sera socialisée comme une femme. Elle va donc apprendre à prendre des gants, etc. Ce qui va perturber le diagnostic.
C’est pas que cette femme n’est pas autiste, c’est que c’est plus dur de la diagnostiquer si on ne prend pas en compte que le patriarcat la pousse à camoufler cette partie.
On a donc énormément de recherches qui affirment qu’il y aurait 4 fois plus d’hommes autistes que de femmes autistes. Mais, en recroisant le fait que 80% des femmes autistes de 18 ans sont non-diagnostiquées, ainsi que d’autres données, on arrive à un modèle mathématique qui suggère plutôt qu’il y a 4 femmes autistes pour 3 hommes autistes !2
Donc davantage de femmes autistes, que d’hommes. Il faudra voir ce que donnent d’autres recherches pour confirmer le chiffre, car c’est une estimation.
Mais tu peux au moins retenir que les femmes autistes sont sous-diagnostiquées. On croit que l’autisme est masculin parce que les traits de l’autisme ressemblent à certains traits de la masculinité occidentale.
#3 | Il y a moins de personnes racisées DIAGNOSTIQUÉES autistes
Bon, là je vous avais pas mal aidé dans la formulation.
Mais oui, on refuse couramment aux personnes racisées le diagnostic. Et ce n’est pas le seul problème. Comme on l’a vu plus haut, les tests ont été pensés pour diagnostiquer des enfants blancs.
Ça pose énormément de soucis. Par exemple un des traits de l’autisme c’est ce qu’on appelle le stimming, qui peut par exemple prendre la forme de mains qui s’agitent. Sauf que des autistes Noirs racontent qu’ils ne peuvent pas s’autoriser ce luxe car ça les mettrait en danger face à la Police. Idem pour le fait d’avoir une communication qui peut sembler arrogante.
Pour les autistes racisées, être considéré comme hostile ou désagréable peut s'avérer carrément dangereux. Lorsque les autistes noirs et arabes ne respectent pas les instructions médicales ou les directives des thérapeutes, ils sont souvent placés en institution et privés de leur autonomie juridique .
En 2017, Khalil Muhammad, sergent de la police de Chicago, a abattu Ricardo Hayes, un adolescent autiste noir non armé. Muhammad a affirmé s'être senti menacé par Hayes, mais une enquête a révélé que Hayes avait fait un jogging inoffensif le long de sa rue et n'avait manifesté aucune agressivité envers Muhammad.
Environ 50 % des personnes tuées par la police sont handicapées, et les autistes racisés courent un risque particulièrement élevé. Le fait d'être identifié comme autiste peut être socialement et émotionnellement précaire pour les femmes et les minorités de genre, quelle que soit leur race ; mais pour les autistes racisés, le fait d'être visiblement handicapé peut s'avérer mortel.
Ce n’est d’ailleurs pas qu’auprès de la police. Ma mère m’a répété toute mon enfance : j’ai peur qu’un jour on te plante un couteau parce que tu es trop arrogant.
Elle ne savait pas que ce qu’elle appelait arrogant était un trait autistique et donc c’était une peur sincère. D’ailleurs, moi-même j’en avais peur, surtout dans le collège où j’étais.
#4 | Les autistes tendent à éviter de regarder les autres dans les yeux
J’ai découvert avec stupeur cet été qu’il était normal de regarder les gens dans les yeux. Pour moi c’était juste un truc qu’on faisait quand on voulait vendre quelque chose ou draguer quelqu’un (et c’est pour ça qu’on retrouve le conseil dans ces manuels).
Même aujourd’hui j’ai encore du mal à l’intégrer. Je me demande bien ce que les gens trouvent de si passionnant à regarder dans les yeux des autres ?
#5 | Les autistes ont du mal à DETECTER le second degré mais le comprennent
Bon ici j’ai pas été sympa j’ai inséré un gros piège.
Même la version la plus caricaturale d’une personne autiste, à savoir Sheldon dans The Big Bang Theory a longtemps été décrit comme ne comprenant pas le sarcasme alors même que c’est un personnage très sarcastique !
Parce que, comme le dit cette personne que j’ai prise au hasard sur Reddit :
That kind of sarcasm, wordplay coming from him, he was always good at. His issue was *recognizing * it in w hat other people said.
Sheldon comprend le sarcasme puisqu’il l’utilise. Mais il ne le détecte pas chez les autres.
Non seulement je comprends le second degré, mais j’adore faire du second degré moi-même. C’est probablement mon type d’humour préféré. En revanche, j’ai du mal à le détecter chez les autres.
Mais ça ne s’arrête pas là. Ici je parle uniquement en mon nom car je n’ai pas lu d’études dessus, mais je méprise le second degré en dehors de l’art et de l’humour.
C’est pas que je ne le comprends pas et c’est pas uniquement que je le détecte mal… mais carrément je trouve ça totalement absurde d’utiliser cette forme de communication hors de l’humour ou de l’art. On galère déjà tellement à se comprendre et le second degré, par définition, prend le risque d’un quiproquo.
#6 | Les autistes de moins de 50 ans ont du mal à comprendre les émotions des autres
Je pensais que, comme pour la question #3, la formulation de la bonne réponse allait vous influencer à la choisir, mais pas du tout. Vous avez été une toute petite minorité.
Une étude, menée par Bastiaansen et ses collègues (2011), a observé que, bien que les jeunes autistes aient une activité beaucoup moins importante que les autres dans le gyrus frontal inférieur (une zone du lobe frontal impliquée dans l'interprétation des expressions faciales), à l'âge de trente ans, aucune différence entre les non-autistes et les autistes n'était évidente.
En d'autres termes, les cerveaux autistes ont fini par « rattraper » les cerveaux neurotypiques, en termes d'activité de traitement et d'interprétation des expressions faciales en tant que données sociales.
D'autres études ont montré que les autistes de plus de cinquante ans sont comparables aux personnes non-autistes en ce qui concerne leur capacité à comprendre les motivations et les émotions des autres.3
#7 | L’auto-diagnostic est tout aussi valide que le diagnostic d’un·e psy et moins dangereux
Oh, le drame !
Je n’ai personnellement jamais compris d’où venait cette méfiance de l’auto-diagnostic.
Je pense qu’il y a une forme d’incompréhension sur le fait que le nombre de gens se déclarant autistes ou TDAH explose. Sauf que :
La réponse de la société à l'augmentation du nombre de diagnostics ne devrait pas être « Oh mon Dieu, tout le monde a un TDAH/autisme maintenant ».
Ce devrait être : « Oh mon Dieu, comment avons-nous réussi à laisser tomber autant de gens ?»4
Il se passe comme avec la non-hétérosexualité :
En France, 22% des personnes de la génération Z, s'identifient comme LBGT+, un taux qui ne cesse de baisser au fil des générations plus anciennes : 12% pour les Millennials (1981-1996), 7% pour la génération X (1965-1980), et 4% pour ceux nés en 1964 et avant.5
Ce n’est pas parce qu’être LGBTQIA est une mode. C’est parce que la société est moins oppressive et donc les gens se posent davantage la question et osent davantage la réponse.
D’autre part, je partage cette incompréhension d’Ellie Middleton :
Pour une raison qui m'échappe encore, les gens semblent penser que lorsqu'une personne s'autodiagnostique, il s'agit simplement de regarder une vidéo TikTok de quinze secondes et de se coller une étiquette « à la mode » pour paraître « excentrique » et « intéressant » - mais ce n'est pas le cas. J'ai fait des recherches (approfondies) pendant près de deux ans avant d'avoir le courage d'aller voir mon médecin généraliste, car je craignais d'être rabaissée et rejetée.
Les personnes qui s'auto-diagnostiquent ne vont pas chez leur médecin généraliste sur un coup de tête, souvent en raison d'un traumatisme médical et du fait qu'elles ont été gazées par des « professionnels » pendant toute leur vie. L'autodiagnostic avant le diagnostic clinique de TDAH et l'autodiagnostic en tant qu'autiste m'ont sauvé la vie. 6
Vraiment… ça me dépasse.
Surtout que c’est vraiment ne pas connaître le niveau moyen des psys. La plupart des psys n’ont pas la moindre idée de ce qu’est l’autisme. Et je ne parle même pas du nombre d’autistes qui sont diagnostiqués Trouble de la personnalité Borderline (ce que m’a fait ma dernière psy) ou Trouble de la personnalité narcissique.
Cerise sur le gâteau… le diagnostic médical peut être utilisé par des politiques racistes. Par exemple la Nouvelle-Zélande a refusé qu’une fille autiste immigre avec ses parents. Et le Canada refusait l’immigration de toute personne diagnostiquée autiste jusqu’en 2018.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire le diagnostic clinique, je dis qu’il faut arrêter de porter un regard négatif et dangereux sur l’auto-diagnostic. Il y a énormément de raisons qui poussent des personnes autistes à refuser le clinique.
Ne serait-ce que parce que y’a des enfants autistes pour qui le diagnostic clinique a été le déclencheur de recevoir des chocs électriques pendant la thérapie ABA, tu te rappelles ?
Il faut avoir un discours d’accompagnement : c’est à la personne concernée de savoir le chemin qu’elle veut prendre. Certaines ressentent le besoin du diagnostic clinique et c’est ok. D’autres non et c’est ok aussi.
Unmasking Autism - Dr Devon Price
Unmasking Autism - Dr Devon Price
Unmasked - Ellie Middleton
Unmasked - Ellie Middleton
"Je me demande bien ce que les gens trouvent de si passionnant à regarder dans les yeux des autres ?"
Parce que parler à quelqu'un qui n'a pas ta pleine attention, c'est super chiant. Le protocole social pour éviter cela c'est de commencer par se taire, regarder dans les yeux et capter que l'interlocuteurice fait de même.
Une fois la discussion démarrée, il y a l'idée que quelqu'un qui est gêné, qui s'ennuie, voir qui est en train de mentir, va avoir tendance à détourner les yeux. "DONC" quelqu'un qui détourne les yeux est peut-être en train de te cacher quelque-chose et il a une aura de pas fiable.
Le premier point c'est bien vu en vrai, le second je le trouve super pénible.
Et pour le dernier point, accessoirement : en France, se faire diagnostiquer est soit extrêmement long, soit très cher. Donc même si c'était tout le temps positif, c'est pas comme si tout le monde pouvait se permettre de le faire.