Cette semaine je vais te résumer un livre incroyable qui s’appelle The Lost Girls of Autism: The Untold Story of Women on the Spectrum.
Gina Rippon est une chercheuse en neurobiologie féministe qui fait son mea culpa avec ce livre. Elle a fait partie des scientifiques qui ont invisibilisé les femmes autistes (sans le savoir évidemment). Avec ce livre elle montre le résultat de dix ans de recherches qui sont venues corriger tout ce qu’on croyait savoir sur l’autisme.
Disclaimer : au cours de cette semaine je vais utiliser les mots « hommes » et « femmes ». Non pas parce que je crois en une division binaire. Mais parce que la plupart des travaux qui vont être résumés ignorent totalement la question de la fluidité de genre. Par défaut, tu peux comprendre « homme » comme « homme cis » et « femmes » comme toutes les autres personnes : celles qui ne sont pas des hommes cis. Les personnes sexisées.
Je te propose de commencer avec un question/réponse. Contrairement à notre habitude je ne vais pas attendre demain pour te donner les réponses. Ce sera directement à la suite. Donc si tu ne veux pas de spoil, réponds en première partie AVANT de lire la deuxième partie.
PREMIÈRE PARTIE : LES QUESTIONS
DEUXIÈME PARTIE : LES RÉPONSES
Il y a plus d’hommes autistes DIAGNOSTIQUÉS par les institutions que de femmes autistes DIAGNOSTIQUÉES
Nous n’avons pas encore la réponse définitive à la question : y’a-t-il plus d’hommes autistes que de femmes autistes. Mais plus les recherches avancent, plus on se rend compte que probablement que non. On ne trouve pas de raison qui ferait que les femmes sont moins souvent autistes que les hommes. Et c’est pas faute d’avoir essayé.
Ce qu’on peut dire avec certitude c’est qu’il y a moins de femmes autistes DIAGNOSTIQUÉES par les institutions que d’hommes.
Et que ça vient proclament de plusieurs biais et non de quelque chose de constitutif chez les hommes et les femmes.
Le cerveau des hommes et des femmes sont différents ?
Non.
Mais oui.
C’est faux à la naissance et vrai ensuite.
Probablement que comme beaucoup de gens tu sous-estimes à quel point le cerveau est malléable après la naissance
Donc si ce que tu veux dire c’est les cerveau des hommes et des femmes sont différents à la naissance et de manière naturelle alors non. À la naissance, le cerveau des femmes et le cerveau des hommes sont identiques, toutes choses égales par ailleurs. Identique.
En revanche… les cerveaux des pianistes sont différents des cerveaux des non-pianistes, les cerveaux des taxis sont différents des cerveaux des non-taxis, etc. Parce que le cerveau se modifie en fonction de l’environnement. C’est une de ses plus grandes forces.
Donc oui, les femmes adultes ont bel et bien un cerveau différent des hommes adultes mais c’est le résultat de l’environnement. Ça n’est pas le cas à la naissance. Par contre ça arrive extrêmement vite. Si vite que ça a l’air inné et qu’on a longtemps cru que c’était inné.
Les bébés filles de 4 mois maintiennent 4 fois plus le contact visuel que les bébés garçons du même âge
On n’observe pas de différence à la naissance sur les compétences sociales des bébés filles et garçons (assigné·es comme tel·les à la naissance). En revanche au bout de 4 mois c’est déjà joué. Les bébés filles maintiennent 4 fois plus le contact visuel que les bébés garçons du même âge.
« Durant les quatre premiers mois après la naissance, les filles, en moyenne, maintiennent le contact visuel quatre fois plus longtemps que les garçons. Les chercheur·euses ont suggéré que cette tendance est liée à la manière dont leurs mères interagissent avec elles.
En moyenne, les mères passent plus de temps en interaction face à face avec leurs filles (faire des grimaces, tirer la langue, etc.) qu’avec leurs fils, avec lesquels elles pratiquent davantage de jeux physiques (comme les faire sauter sur les genoux ou les faire rouler), qui impliquent moins de contact visuel.
Une possibilité est que les parents et les personnes qui s’occupent des bébés réagissent à une sorte de signaux invisibles émis par leurs bébés manipulateurs, les filles réclamant des jeux face à face et les garçons voulant être chahutés. Mais il existe une autre explication.
Dans une série d’études, les chercheur·euses ont « travesti » des bébés selon des stéréotypes de genre et leur ont attribué des prénoms associés à l’autre sexe. Des observateurs, ignorant le sexe réel des bébés, ont montré qu’ils réagissaient différemment selon qu’ils pensaient avoir affaire à une fille ou à un garçon. Quand ils croyaient jouer avec un garçon, ils le faisaient sauter avec enthousiasme ou lui proposaient des tracteurs ou des marteaux. En revanche, les bébés perçus comme des filles étaient câlinés, on leur parlait doucement et on leur proposait des poupées ou des jouets en peluche.
Ainsi, les différences dans les occasions de socialisation ne semblent pas liées à une quelconque nécessité biologique, mais plutôt aux attentes genrées de l’entourage social des nourrissons. »
Oui les femmes ont plus de compétences sociales mais c’est parce qu’on les leur apprend
Pourquoi il y a moins de femmes autistes diagnostiquées ?
En un mot : le patriarcat. En plusieurs mots…. y’a une montagne d’obstacles qu’on leur met sur la route de manière systémique.
En voici quelques-uns (liste non-exhaustive) :
La définition des critères et les descriptions des cas typiques ont été faites sur des garçons donc l’autisme chez les garçons est plus facile à reconnaître
Les femmes autistes expriment simplement leur autisme différemment des hommes autistes (par exemple elles ont plus de difficultés sensorielles que les hommes et sont hypersensibles au rejet social alors que les hommes autistes snt hyposensibles à ce rejet
Le système de diagnostic pèse de tout son poids contre les femmes autistes : les garçons sont dix fois plus envoyés en diagnostic que les filles, les parents envoient en diag deux fois plus souvent leur garçon que leur fille, une fois dans le diag une fille a deux fois moins de chance de recevoir leur diagnostic même si elle avait déjà été fortement préqualifiée par un professionnel de santé… On estime que 80% des femmes sont exclut par ces filtres.
Pour avoir sa recherche financée il faut souvent confirmer que les sujets autistes sont bien autistes et il faut le faire avec l’ADOS-2 ou l’ADI. Or, l’ADOS-2 par exemple (vu comme le test de référence) exclut 2 fois plus les femmes que les hommes. Du coup les recherches se retrouvent avec des groupes où y’a 3 fois plus d’autistes hommes que femmes qui sont retenu·es pour participer à l’étude
Les femmes internalisent davantage leurs traits autistiques et pratiquent plus souvent le masking (le camouflage de leurs traits)
L’autisme chez les filles aboutit à un comportement visible, plus tard que chez les garçons (d’ailleurs leur âge moyen de diagnostic est deux ans plus tard que celui des garçons)
L’autisme apparaît plus tardivement chez les femmes (en comportement)
« Les garçons, en moyenne, présentaient à l’âge de sept ans des niveaux plus élevés de traits sociaux autistiques, qui diminuaient légèrement avant de connaître une petite remontée entre dix et seize ans. Les filles, en revanche, montraient un schéma d’évolution différent. Partant de niveaux plus bas que les garçons, elles connaissaient une nette augmentation des traits sociaux autistiques à partir de dix ans. À seize ans, elles atteignaient des niveaux équivalents, voire légèrement supérieurs, à ceux des garçons.
Les chercheur·euses ont également examiné les enfants qui dépassaient le seuil clinique de la grille d’évaluation, c’est-à-dire ceux qui devraient en principe recevoir un diagnostic d’autisme. À l’âge de sept ans, les garçons étaient plus nombreux (10 % du total) que les filles (5 % du total). Mais à seize ans, cette différence avait disparu : 8,6 % des garçons et 9,3 % des filles franchissaient le seuil clinique.
Ainsi, les données montrent que les difficultés sociales menant à un diagnostic d’autisme ne deviennent manifestes chez certaines filles autistes qu’au cours de l’adolescence. »
Les femmes autistes sont aussi performantes en interaction sociales que les hommes allistes
« Dans les seize études sélectionnées, un message constant est apparu : les femmes autistes présentaient des compétences significativement meilleures en interaction sociale et en communication sociale que les hommes autistes. Cette différence entre les sexes se retrouvait également dans les groupes non autistes, les femmes non autistes montrant de meilleures compétences sociales que les hommes non autistes.
Tant les femmes que les hommes autistes obtenaient de moins bons résultats aux tâches sociales que leurs homologues non autistes.
Les mesures des compétences d’interaction et de communication sociales chez les hommes non autistes étaient légèrement meilleures que chez les femmes autistes, mais cette différence n’était pas statistiquement significative. »
En d’autres termes, les femmes autistes sont à peu près aussi douées que les hommes allistes en compétences sociales.
Dans l’ordre c’est :
Les femmes allistes
Les femmes autistes et les hommes allistes
Les hommes autistes
Les études sur les cerveaux autistes sont peut-être fausses car pas testées sur les femmes
Ce n’est pas encore définitivement acté mais on a de plus en plus de preuves dans ce sens. Il se pourrait bien que toutes les descriptions du cerveau autiste que tu aies entendues soient en réalité spécifiques au cerveau autiste masculin.
Le problème de la recherche centrée sur les hommes aurait pu être moins grave si les chercheurs avaient précisé qu’ils testaient uniquement des garçons (ou très peu de filles). Pourtant, la discussion de leurs résultats se faisait presque toujours en termes d’“autisme”, de “TSA” ou, par exemple, de “jeunes autistes”, comme si ces conclusions concernaient l’ensemble de la population autiste.
« En 2017, dans le cadre du réseau américain Autism Centers of Excellence, un consortium de recherche pluridisciplinaire spécifiquement conçu pour aborder les questions de sexe et de genre dans la recherche sur l’autisme, a été lancé. Le projet Gender Exploration of Neurogenetics and Development to Advance Autism Research (GENDAAR) combinait des données génétiques, de neuro-imagerie et phénotypiques provenant d’échantillons soigneusement appariés de filles et de garçons autistes et non-autistes.
En plus des évaluations standard ADOS et ADI, les participant·es potentiel·les ont également été évalué·es à l’aide de tests plus ciblés comme la Social Responsiveness Scale ou de tests de de screening plus courts comme la Childhood Autism Rating Scale.
Les résultats de ce programme ont renforcé le corpus croissant de preuves montrant que les résultats dits “robustes” obtenus chez des participants autistes masculins ne se généralisent pas toujours aux filles. »
Les sources
Tout vient du livre de Gina Rippon :