Hier je t’ai posé 5 questions. Aujourd’hui c’est le temps des réponses.
#1 | La mission officielle de l’Académie est de rédiger un dictionnaire
Bon… en vrai c’est plus compliqué que ça. Je vous avais proposé les choix suivant :
Dire ce qui se dit ou pas
Rédiger un dictionnaire
Faire de la recherche linguistique
Promouvoir la francophonie
L’Académie Française a été créé il y a plusieurs siècles par Richelieu. Au temps de la monarchie, donc. Le but initial était le suivant :
« donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».
Donc techniquement ça peut recouvrir les 4 réponses.
Sauf que… nous ne sommes plus en 1635.
À l’époque, on part du principe que le français est une langue plus pure que les autres, si ce n’est LA plus pure. Ce serait la langue parfaite à la fois logique/mathématique mais aussi capable d’esthétique/de poésie. Cette idée est d’ailleurs une des nombreuses raisons qui font que la France a été un pays colonisateur. On avait notre langue parfaite à apporter au monde.
Donc y’avait effectivement cette notion de dire ce qui se dit. Ça implique en effet de rédiger un dictionnaire.
En revanche, la notion de recherche linguistique n’existe pas encore. L’approche scientifique de la linguistique va arriver dans les années 1900.
Enfin… ça dépend de ce qu’on entend par promouvoir la francophonie… contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’Académie du début n’avait pas pour but de propager le français, que ça soit en France ou à l’extérieur. À l’époque, la monarchie comprend que le français doit rester la langue de l’élite. C’est bien pratique que le bas-peuple soit incapable de comprendre le français.
Bon… mais depuis les débuts de l’eau a coulé sous les ponts. Entre temps la révolution de 1789 est passée par là, et c’est elle qui va encourager l’idée d’une langue à propager. Avec les Jacobins (tu sais les mêmes qui ont centralisé le pays sur Paris).
Mais surtout, on l’a dit, la science linguistique a émergé. Et… on s’est rendu compte que l’Académie racontait n’importe quoi. Sauf que… l’Académie se sent investie de sa mission royale et croit à sa toute puissance. Elle prétend donc être l’autorité sur la langue.
Alors qu’une des découvertes de la science linguistique c’est justement qu’on ne peut pas prescrire la langue : on ne peut que la décrire. Un peu comme en biologie. Ça ne veut rien dire “ce qui se dit”. Ce qui est dit, se dit. Si suffisamment de gens utilisent le mot “propale” alors le mot se dit. Point. Si suffisamment de gens utilisent “iel”, bah le mot se dit.
Ce qui est intriguant c’est qu’à une époque les français s’en rendaient compte. De nos jours, l’Académie jouit d’une image étonnamment positive. Beaucoup de français ont intégré que l’Académie était l’endroit où on disait ce qui doit se dire.
Mais… ça fait longtemps que le pouvoir politique ne lui donne plus officiellement ce rôle. Il est plutôt dans les mains de La délégation générale à la langue française et aux langues de France.
Par conséquent, il reste un rôle principal à l’Académie : rédiger son dictionnaire.
On en reparlera mais elle met un temps si long à accomplir cette mission que son dictionnaire est totalement inutile.
L’avant-dernier dictionnaire est sorti en 1935 et le dernier en 2024. Ça veut dire que pendant la quasi totalité de ma vie, leur dernier dictionnaire avait plus de 50 ans. Et le dernier a été commencé en 1980. Donc ça veut dire que les mots en A datent de 1980 et les mots en Z datent de 2024…
Ça n’a aucun sens.
En réalité c’est un peu moins ridicule car ils font entre temps des additions pour rajouter des mots aux A, etc. Mais quand même.
Sans compter que ce dictionnaire est d’une qualité médiocre. On en reparlera.
Donc… l’Académie a une seule mission : qu’elle accomplit tellement mal et tellement lentement qu’on pourrait dire qu’elle ne l’accomplit pas.
#2 | Un seul des plus de 700 académiciens était linguiste
« Aucun académicien n’est lexicologue, grammairien ou même linguiste. L’Académie française est un club d’écrivains sans compétence professionnelle en linguistique française. »
Jean-Benoît Nadeau
Vous avez été 32% à trouver la bonne réponse. Contre tout bon sens… on a une autorité qui prétend dire ce qu’est la linguistique mais y’a pas de linguistes dedans.
Surtout que c’est gentil de dire que c’est des écrivains. L’Académie est composée en majorité d’écrivains mais aussi de :
philosophes
politiques (Giscard d’Estaing par exemple)
militaires
hommes d’église
C’est vraiment incroyable. Y’a pas de scientifiques de la langue dans cette institution qui prétend imposer cette même langue.
Mais pire encore… y’a pas de lexicologues. C’est-à-dire de personne dont la compétence est notamment de créer des dictionnaires.
Pas étonnant qu’elle n’arrive pas à faire son dictionnaire.
#3 | Le maréchal Pétain a été membre
C’est le point sur lequel vous avez été le plus clivé·es
Et ce sont bien les 40% ayant répondu que l’Académie ne l’a pas exclu qui ont raison.
En 1931, le maréchal Pétain prend la place du maréchal Foch, qui vient de décéder. Il est donc académicien pendant la collaboration. Et ce n’est pas le seul : il y a même Charles Maurras
L’Allemagne et Vichy défaits en 1945, plusieurs académiciens seront frappés d’indignité nationale. Sans que l’Académie se prononce sur le fond, c’est ce qui précipitera le départ de Philippe Pétain, Charles Maurras, Abel Bonnard et Abel Hermant. Mais Gisèle Sapiro, dans son histoire politique du champ littéraire, rappelle que l’institution n’alouera jamais les sièges de Maurras et de Pétain de leur vivant : les immortels espéraient une amnistie.
Non seulement l’Académie ne les a pas exclus à la libération mais en plus, ils ne les ont pas remplacé avant leur mort.
Car… ils ont bien été exclu. Mais pas par l’Académie. Ils ont été condamnés à l’indignité nationale. Or, une des conséquences de cette peine c’est la radiation de toute fonction publique.
En résumé : Pétain et les autres ont été virés par des tribunaux et non exclus par l’Académie.
Ce n’est pas un hasard. On y reviendra mais l’Académie est porteuse d’une vision très conservatrice. On dit même que c’est une des seules institutions qui n’a pas changé d’un iota entre Louis 14 et Internet.
#4 | Le costume coûte 35 000€
Et les membres doivent le payer de leur poche.
Quant à l’épée, elle coûte 100 000€. Mais elle peut être louée ou prêtée. Ça veut dire que les académiciens qui achètent l’ensemble déboursent 135 000€ de leur poche. Forcément ça fait que y’a peu de pauvres membres de l’Académie.
La bonne nouvelle c’est que ce n’est pas payé par le contribuable.
#5 | Aucun des 4 mots n’était conseillé
Toutes mes excuses ! J’ai totalement oublié de rajouter l’option aucun des 4. Il était donc impossible de trouver la bonne réponse. Mais revenons sur les 4 mots.
Bon… vous vous en étiez doutés car vous avez été seulement 2% à voter pour cette réponse mais l’Académie n’accepte pas le mot ASAP.
Mais quand on y réfléchit… pourquoi ? Sur son site, l’Académie indique que :
Asap est l’abréviation de as soon as possible, « dès que possible ». Cette abréviation, qui est loin d’être transparente, semble cumuler la plupart des vices d’une langue qui cache son caractère méprisant et comminatoire sous les oripeaux d’une modernité de pacotille. L’emploi de formes françaises développées serait plus pertinent et n’aurait pas ce désagréable caractère d’injonction. Et il y a fort à parier que le caractère d’urgence d’une requête pourrait être marqué avec plus d’urbanité et que la réponse ne tarderait pas plus.
Il n’y a évidemment aucun début de preuve scientifique (par exemple une étude avec une fréquence des usages péjoratifs ou pas). ASAP me semble plutôt être une tournure neutre. Apparemment on veut nous dire que le souci c’est que c’est :
Une abréviation
Un emprunt à l’Anglais
Mais dans ce cas, comme le dit Monté de la chaîne Linguisticae (que je résume) :
Pourquoi acceptent-ils sans rechigner des mots comme
Laser (acronyme anglais de Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation)
Radar (acronyme issu de l'anglais Radio Detection And Ranging)
Goulag (abréviation du russe Glavnoïé Oupravlénié Laguereï). D’autant plus que c’est un abus de langage car Goulag veut dire : direction des camps. Et donc on devrait dire un Camp du Goulag car “Goulag” est le nom de l’administration en question, non du camp lui-même.
De même, vous avez été beaucoup à vous douter que ça ne pouvait surtout pas être Propale le mot accepté :
Le nom propale n’est pas la création de quelque poète qui aurait cherché une rime à opale. C’est le résultat, dans le jargon de la mercatique, de l’apocope sévère du nom proposition, réduit à prop-, et de l’aphérèse non moins sévère de l’adjectif commerciale, réduit à -ale. Ensuite, comme le docteur Frankenstein du roman de Mary Shelley avait créé un être vivant à partir de chairs mortes, on a donné vie à cette propale, née des dépouilles cousues de proposition et de commerciale. Il n’est pas sûr qu’il soit nécessaire de faire de la langue un champ d’expérimentation ressemblant au laboratoire de quelque savant à demi fou, surtout si l’on se souvient que, dans le récit de Shelley, le monstre finit par se retourner contre son créateur.
Alors là c’est même pas que y’a pas de preuve scientifique c’est que carrément c’est un mec bourré dans un bar qui rage contre un nouveau mot, mais avec du vocabulaire.
Bon… en revanche ce qui est plus étonnant c’est que l’Académie refuse le mot Convenient
Inconvénient est un nom français, inconvenient est un adjectif anglais signifiant « malcommode, gênant, inopportun ». Certes, il a aussi existé jadis en français un adjectif inconvénient, qui signifiait « inconvenant », mais, à son sujet, Littré disait déjà, dans son Dictionnaire, qu’il était vieilli. Et, même si la langue anglaise a également un adjectif, convenient, qui signifie « commode, pratique, opportun… », il convient d’éviter la forme convénient, que l’on commence à rencontrer ici ou là, puisque notre langue dispose de suffisamment de termes pour rendre compte des différents sens de cet anglicisme.
Bon… déjà là y’a un poil plus d’argument. Y’a une référence a un dictionnaire d’avant, une comparaison avec la langue anglaise mais c’est la conclusion qui va pas : notre langue a assez de termes. Ah bon ? Y’a donc une limite aux nombres de mots possibles ? Pourquoi ?
Surtout que convénient est bel est bien de l’ancien français. Il est donc déjà construit de manière “française”. Pourquoi le rejeter s’il ressuscite ?
Enfin… vous avez été 37% à dire que si un mot devrait être validé par l’Académie ce serait fuiter.
Comme tu le comprends… aucun des mots ne l’est. Donc là aussi l’Académie est fâchée :
Raymond Queneau avait fait de fuiter, dans son ouvrage Loin de Rueil, une variante plaisante du verbe fuir. Mais depuis quelques années, ce verbe a pris un nouveau sens et signifie, s’agissant d’un document secret ou d’une information confidentielle, « être diffusé illicitement ». On peut noter l’habileté grammaticale du procédé qui consiste à placer ces informations en position de sujet pour leur conférer une forme d’autonomie et rejeter ainsi dans l’ombre le responsable des fuites, mais on veillera, cela étant, à user de tours plus appropriés, bâtis à partir de verbes ou de locutions verbales comme divulguer, diffuser, rendre public, etc.
Alors là… c’est vraiment incompréhensible. On a déjà le mot fuite… pour dire qu’une info s’échappe. Certes le mot fuite désigne aussi un truc qui a le pouvoir de bouger, mais y’a pas de confusion possible puisque le verbe est s’enfuir ou fuir. Alors pourquoi refuser le verbe fuiter ? Qui se construit de manière très naturelle ?
Là encore on a aucun argument si ce n’est avant on le disait pas donc c’est caca parce que c’est nouveau.
Source
Tout ce que je viens de dire vient de la même incroyable vidéo. Surtout la dernière partie sur les 4 mots où j’ai carrément paraphrasé la vidéo en question :
Je t’invite vraiment à y jeter un oeil !
J'avais tout bon, mais mort de rire le commentaire de l'académie sur ASAP.
Du café du commerce plein de pathos délirant, mais qui passe chez les bourgeois parce que le style est prétentieux au possible.
En vrai je parierai gros sur l'académie est née d'un complexe d'infériorité
« donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».
Sous entendu ça n'a rien d'évident que le français est une vraie langue en 1634. La seule vraie langue capable de traiter les arts et les sciences, c'est le latin! Les academiciens sont les défenseurs de la sous langue régionale de l'époque (le français naissant qui a encore tout à prouver)
Hélas c'est pas la bonne méthode de légitimer une langue en le confiant à un quarteron de pédants
L'alternative qu'ont pris notamment l'allemand via Martin Luther et l'espéranto via Zamenhof, c'est de se confronter directement au challenge linguistique en traduisant le patrimoine littéraire mondial à commencer par la Bible