Préambule : avant de commencer, je fait une parenthèse sur le fait qu’on estime qu’à chaque instant, on a 4% de la population qui est en dépression.
Ça fait une personne sur 25. J’insiste sur ce chiffre pour deux raisons.
La première c’est de t’inviter à la vigilance : on a tendance à croire que c’est plus rare que ça ne l’est et à ne pas voir des signes pourtant manifestes.
La deuxième c’est que ça signifie que tu me lis peut-être en étant toi-même en dépression. Si c’est le cas je t’envoie un grand câlin à distance depuis l’autre côté. J’espère que tu trouveras des choses qui peuvent t’aider. Mais je le redis : ce sont mes techniques personnelles, si ça se trouve tu ne pourras rien tirer de mon retour d’expérience et c’est normal.
Une mission par jour
Quand j’ai senti que je plongeais je suis intervenu assez rapidement. Et c’est important parce que plus on intervient tôt sur un trouble psychique et plus la guérison est facile.
Je me suis demandé tous les jours est-ce que je suis en dépression ?
Le plus “compliqué” c’est de différencier la dépression d’une humeur maussade passagère.
Mais une fois que j’en étais sûr, j’ai décidé d’activer le programme une mission par jour.
L’idée c’est qu’une personne en dépression est similaire à une personne qui porterait un sac à dos de 50kg en permanence. Tout mouvement devient extrêmement dur. Mais le problème c’est qu’il faut quand même avancer. Sinon, les muscles s’affaiblissent et il devient de plus en plus dur de trimballer ce sac.
Il faut donc trouver un équilibre entre faire déchirer ses muscles mentaux ou les laisser s’atrophier.
J’ai donc introduit progressivement, très progressivement de la difficulté.
D’abord la mission quotidienne c’était des choses comme : faire une demi-vaisselle ou sortir de chez moi aller m’acheter un jeu vidéo.
Quelle que soit la mission, je me suis aussi forcé à sortir, même 30 secondes dehors, chaque jour. Pour ne pas passer des journées sans sentir l’air.
Puis, plus ça a avancé, plus j’ai corsé les missions.
Alors quand je dis corser les missions… dans mon état normal ce serait juste une routine, un tâche parmi plein d’autres dans ma journée.
Ma mission la plus dure c’était aller chercher cette bande-dessinée à 45 minutes de chez moi puis la lire dehors pendant 1 heure dans un parc.
Se servir de ma personnalité contre moi-même
J’ai régulièrement des formes d’hyperfixations. C’est ce qui fait par exemple que j’ai du mal à finir une série, même si je n’aime pas la fin. Mais aussi que je ne vais pas réussir à lâcher une discussion en mode ah ok faudrait regarder sur Google et on passe à autre chose.
J’ai exploité ce trait contre la dépression. Par exemple, j’ai fini la saison 4 de la série The Boys. Alors j’ai passé des heures de vidéo à regarder plein de trucs sur l’univers :
Il se passe quoi si machin se bat avec machin ?
Il se passe quoi si à la place de faire ça, machin avait fait ceci ?
Des avis sur la saison 4
Etc
Sauf que… je suis vite arrivé au bout des vidéos qui faisaient ça sans spoiler la bande-dessinée. Donc je me suis dit ok je vais lire la bande-dessinée, j’ai pas envie d’attendre deux ans pour avoir une idée de la fin de la série.
The Boys est composé de 6 tomes. J’aurais pu acheter les 6.
À la place j’en ai acheté un à la fnac châtelet. Je l’ai lu. Puis j’en ai acheté deux à la fnac Montparnasse car c’était que là que c’était dispo.
D’ailleurs ma mission a été un échec car je m’étais trompé entre Fnac Gare Montparnasse et Fnac Montparnasse et forcément comme je vivais la nuit, j’étais arrivé genre dix minutes avant la fermeture juste pour prendre les BD. Donc pas le temps d’aller à l’autre. Au moins ça m’a donné une mission pour le lendemain.
Puis j’en ai acheté deux autres dans une librairie spécialisée en comics à Saint-Michel.
Au lieu de faire comme j’aurais fait habituellement : les commander sur Amazon pour avoir tout le lendemain.
Ou acheter les 6 d’un coup à la fnac.
J’ai aussi un autre trait : j’ai dû mal à nouer des relations sociales inutilement. Le small talk qui débouche sur rien. Mais ça me rend vulnérable aux vendeurs : si je te parle c’est pour t’acheter même si j’allais rien acheter.
En achetant The Boys à la librairie spécialisée j’ai demandé son avis au vendeur, ce qu’il avait bien aimé lire en lui disant ce que j’aime. Et donc il m'a recommandé une BD de Batman et Superman. C’était en deux tomes. Bon bah… même technique je n’ai pris qu’un seul tome. Du coup le soir quand j’ai fini j’étais trop frustré de pas avoir la suite et le lendemain j’étais de retour.
Pas de jugement sur les missions
De manière générale le mot d’ordre : douceur avec soi-même. Comme le jour où j’ai dû retourner chez moi parce que je n’arrivais pas à gérer le fait d’avoir envie de pisser ET de faire la mission.
Une fois j’ai raté, je n’ai fait aucune mission, j’ai juste été dans mon lit toute la journée : pas grave. Mission le lendemain.
L’idée c’est de recréer artificiellement un sens à la vie, même si c’est avec des choses “futiles”. En effet, la dépression me fait disparaître cette sensation de la vie qui a un sens. C’est d’ailleurs ce qui finit par provoquer les pensées suicidaires quand je m’y enfonce trop.
Là, au moins, résister à la dépression devenait en soi une raison d’être. En me concentrant sur le fait que ça serait bien de l’autre côté.
Et puis les missions redonnent aussi une notion de progression : ok ça fait 9 jours d’affilées que j’ai fait une mission ! Quelque chose pour lutter contre l’auto-dévalorisation provoquée par la dépression.
Bien sûr ça ne fonctionne que si je me rappelle que j’ai un sac à dos de 50 kg et que oui, avoir sorti les poubelles ça peut être une raison de me féliciter.
D’ailleurs j’ai beaucoup fait un truc que j’hésite à te raconter car si tu as des troubles alimentaires je ne sais pas si c’est une bonne idée…
Ce truc c’est que… je me payais en chocolat.
Donc en gros : bravo t’as fait la mission, tiens une mousse au chocolat ce soir.
Et, on rappelle, de toute façon l’idée c’est la douceur avec soi-même, donc même le jour où jai échoué à faire une mission, je me suis offert du chocolat parce que j’avais fait de mon mieux.
Parfois mon mieux c’est ne pas pouvoir sortir de mon lit mais rester en vie.
De manière générale :
Baisser drastiquement le niveau des attentes envers soi-même
Se rappeler que c’est normal de ne plus pouvoir accomplir autant. Et que c’est pas genre une différence de moitié. Plutôt une différence de 1 à 20. En un mois de dépression j’ai fait ce que je fais habituellement en 1 jour ou 2.
Et c’est déjà bien.
C’est ça qui peut être dur à comprendre pour l’entourage ou même pour soi-même. On a pas deux fois plus de mal à faire les choses, on a vingt à trente fois plus de mal. Et en dépression majeure j’imagine que ça doit être plutôt cent fois plus de difficulté.