Un petit oui peut t'embarquer dans un grand oui
On continue avec une autre expérience célèbre de la psychologie sociale : celle de Friedman et Fraser.
Accepteriez-vous d’installer un panneau géant dans votre jardin, sans contrepartie ?
On va essayer de manipuler des gens pour qu’ils acceptent d’installer un panneau géant sur la sécurité routière (16m2), sans aucune contrepartie.
Pour cette expérience il va falloir un groupe contrôle et un groupe testé. Le groupe contrôle c’est les gens à qui on ne fait rien de particulier, pour mesurer l’effet de “rien”. Par exemple en médecine, le groupe contrôle c’est des gens à qui on distribue un faux médicament pour pouvoir comparer avec l’effet du vrai.
C’est important parce que, par exemple, dans le cas d’une maladie, si je donne du sucre à 100 personnes, la majorité vont quand même guérir. Donc ce qu’on veut savoir avec le médicament c’est pas si y’a des gens qui guérissent mais bien si y’en a davantage que quand on fait rien.
Dans notre expérience on va donc commencer par demander à des personnes si elles acceptent d’installer un panneau géant sur la sécurité routière dans leur jardin. Sans rien leur offrir en échange.
17% des personnes acceptent.
Tu remarques que c’est pas 0. C’est pour ça que c’est important d’avoir le groupe contrôle.
Maintenant, on commence par demander aux gens s’ils acceptent de coller un autocollant sur la sécurité routière sur leur voiture. Quasiment 100% acceptent. Puis, trois jours plus tard, on leur fait la même requête qu’au groupe contrôle. À savoir : accepter d’installer dans leur jardin un panneau géant sur la sécurité routière.
Et… stupeur…
76% des gens acceptent !!! 60 points de plus que sans la requête préparatoire de l’autocollant.
Le pied dans la porte
C’est l’effet qui m’a fait m’intéresser à la psychologie sociale. Je n’y ai pas cru mes oreilles quand mon professeur de vente en école de commerce m’a raconté ça.
Si bien que j’ai été acheter le livre qui en parle : Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens.
Cet effet est si massif et étonnant qu’il a été étudié en long et en large. On a plein de versions de cette expérience. Par exemple une où on fait intervenir un faux voleur de plage qui vole les sacs des gens.
À un groupe contrôle on les fait juste regarder le voleur voler le sac de leur voisin. Quasiment personne n’intervient.
Au groupe testé, le voisin (qui est aussi un acteur) demande : vous pouvez surveiller mon sac pour moi ?
Et là… quasiment tout le monde intervient quand le voleur essaie de prendre le sac. Une partie des gens se mettent même à courser le voleur.
C’est fou.
Déjà parce que, pour une fois, la sagesse populaire a raison : c’est une bonne pratique de demander ça aux gens.
Mais également parce que quasiment tout le monde accepte de surveiller le sac. Du coup c’est super chelou. Comment ça se fait que les gens ne bougent pas quand ils voient le vol alors qu’ils auraient accepté de surveiller ?
Y’a vraiment ce truc de l’engagement.
Nous essayons de garder une cohérence dans nos actions.
Les enfants sont d’ailleurs les pros pour s’engouffrer dans cette faille.
Pourquoi ça fonctionne ?
Contrairement à ce que nous croyons, nos actes ne sont pas les conséquences de nos valeurs et de nos pensées. C’est plus complexe que ça. Certaines de nos valeurs et pensées vont provoquer nos actes. Mais parfois c’est l’inverse : nos actes vont façonner nos valeurs et pensées.
Donc si j’accepte l’autocollant de la sécurité routière, j’ancre dans mes valeurs je suis une personne pour qui la sécurité routière est importante.
On appelle ça la rationalisation a posteriori.
Ça explique d’ailleurs pourquoi tu as probablement une très bonne image des gens que tu as aidé dans ta vie. Car ton cerveau se dit si j’ai rendu service à cette personne c’est que c’est une personne bien.
À l’inverse, tu as probablement une mauvaise image des personnes à qui tu as fait une crasse. Car, a posteriori, ton cerveau se dit non mais cette personne devait le mériter.
Même quand tu es le méchant ou la méchante de l’histoire, ton cerveau va vouloir te protéger en te disant elle a mérité.
Le pied dans la bouche
C’est une version encore plus surprenante.
Car cette fois, la requête préparatoire n’aura aucun rapport avec la requête finale.
On demande de l’argent à un groupe contrôle, dans la rue.
28% des gens acceptent de donner de l’argent. Le don moyen est de 28 centimes.
On refait ensuite au groupe testé la même chose sauf, qu’avant, on leur demande de nous donner l’heure.
Et bien cette fois…43% des gens acceptent et le don moyen est de 37 centimes.
Concrètement ça veut dire que si on demande à 100 personnes, dans un cas on obtient 7,84€ et dans l’autre on obtient 15,91€.
Quasiment le double !
Juste en demandant l’heure avant de demander de l’argent !
Je m’en remettrai jamais de cet effet.
Surtout que, là, il est plus dur à expliquer.
L’hypothèse c’est que, si les requêtes sont rapprochées alors notre cerveau enclenche le besoin de cohérence, même si elles ne sont pas liées.
En gros puisque je suis déjà en train de parler à cette personne et que j’ai accepté de lui rendre service en lui donnant l’heure, autant lui rendre service à lui donnant de l’argent.
On a fait une expérience similaire en demandant aux gens si on pouvait les dépasser dans une queue en disant juste
est-ce que je peux vous dépasser parce que [j’ai besoin de vous dépasser ?]
Il faut remplacer ce qui est entre crochet par l’objet de la queue. Par exemple dans une boulangerie ça donnerait :
est-ce que je peux vous dépasser parce que j’ai besoin d’acheter une baguette ?
Et je crois que l’expérience originale c’était une queue pour une photocopieuse :
est-ce que je peux vous dépasser parce que j’ai besoin de faire une photocopie ?
Et bah, là encore on augmente le taux d’acceptation. Alors qu’on a rien dit ! Toute personne faisant la queue pour une photocopie a besoin de faire une photocopie ! Mais nous n’écoutons même pas. On entend surtout le parce que et on se dit la personne a une raison, je la laisse.
Arrêter une guerre ou sortir du cinéma…
Cet effet de cohérence est évidemment une bonne chose. C’est plutôt pratique que les gens essaient de se comporter de manière cohérente.
Mais parfois ça se retourne contre nous. Non seulement quand une autre personne s’en sert, mais aussi quand nous-mêmes on s’enferme.
Exemple : le nombre de gens qui refusent de sortir d’une salle de cinéma même quand c’est avéré qu’ils n’aiment pas le film et ne vont pas l’aimer. Simplement parce qu’ils ont payé.
Dans un registre moins marrant c’est aussi pour ça que c’est rarement le président qui a déclenché une guerre qui accepte de l’arrêter quand elle s’enlise.
Dans un registre plus marrant c’est pour ça que les gens font rarement un demi-tour brusque dans la rue. Tu sais quand tu te rends compte que tu es sur le mauvais chemin ? On se met à faire semblant de regarder l’heure par exemple avant de faire demi-tour. Car le demi-tour brusque projetterait aux autres une image d’incohérence.
Pour aller plus loin
Y’a tout de mieux expliqué dans cette vidéo :
Et si tu veux aller encore plus loin y’a la version article détaillé :