Un Noir peut-il s'identifier aux héros blancs dans les films ?
Bien sûr qu'il PEUT. Ce n'est pas ça le problème.
J’ai répondu à la question d’un internaute sur le forum Quora. La question exacte était :
En tant qu’homme noir ayant grandi en France, comment avez-vous vécu le fait que la quasi totalité des héros de film étaient des hommes blancs ? Arriviez-vous à vous identifier à eux malgré cela ?
Voici ma réponse :
Bien sûr que j’ai réussi à m’identifier. Quand t’es enfant, tu t’identifies même à un héros animal ou aux Power Rangers.
Tu poses le problème à l’envers.
Ce qui a été dur c’est de gérer les dégâts causés sur moi, devenu adulte.
Par exemple, j’ai du mal à trouver un Noir beau. Parce que, quand j’imagine “un beau gosse”, j’imagine l’archétype du beau gosse dans les films de ma jeunesse.
Une fois on m’a dit que Pogba (joueur de football noir) était très beau. J’ai eu du mal à y croire. Alors que la veille on m’avait dit que Lloris et Giroud (joueurs de foot blancs) étaient très beaux et ça m’a paru comme évident.
Du même coup, j’ai également du mal à me trouver beau, moi-même. Quand on me complimente sur mon physique, je suis étonné.
Voici l’impact de la représentation sur un enfant, et donc un adulte.
Heureusement qu’il y avait Will Smith. Je me disait que s’il était beau j’étais pas si loin. Mais on a pas arrêté de me répéter que je ne lui ressemblais pas. À chaque fois qu’on m’a dit ça j’ai entendu “non, toi t’es moche, lui c’est l’exception”.
Bien sûr, ce n’est pas ce que voulaient dire les gens. Désormais je vois effectivement que je ne lui ressemble pas. Mais c’était celui qui me ressemblait le plus dans les acteurs que je voyais.
Le pire dans tout ça ? C’est que je l’ai bien vécu.
Voilà toute la puissance du racisme intériorisé. J’avais totalement accepté l’idée de mon infériorité : j’étais destiné à être moins beau c’était comme ça. De la même manière que je ne vis pas mal de faire la taille que je fais : c’est comme ça.
J’acceptais ça comme une loi de la nature.
C’est en grandissant et en réalisant que j’ai ressenti une profonde colère et une pitié envers moi-même.
Le souci c’est justement qu’on peut parce qu’on peut pas faire autrement
Quand je pense à un humain normal, j’imagine un homme blanc. Si on ne rajoute rien, mon image par défaut est un homme blanc. Voilà les effets que peuvent avoir une mono-représentation dans les modèles.
Je peux m’identifier à un héros Blanc parce que sinon je n’aurais pas pu avoir une enfance féconde en imagination.
Mais ça aurait été moins toxique d’avoir plus de héros Noirs.
Je crois qu’il n’y a pas meilleure illustration que la réaction de ces fans Noirs devant l’affiche de Black Panther :
- Mais non ? Tout le temps ?
- Donc… on est assis devant cette affiche géniale de Black Panther
- Tout le temps ?
- Et la conclusion à laquelle on est arrivée c’est que c’est comme ça que les Blancs se sentent tout le temps
- Tout le temps ?
- Depuis l’origine du cinéma, ils ont le droit se sentir puissants et représentés comme ça
- TOUT LE TEMPS ?! Comme ça ? Mais si je me sentais comme ça tout le temps, j’adorerais cet pays, moi aussi !
Je crois que tout est dit…
Et l'inverse est également vrai pour le fait que les blancs peuvent aussi s'identifier aux noirs. Je m'identifie souvent à des sportifs noirs (et blancs aussi bien sûr). Etant supporter de l'équipe de France et d'un club en ligue 1, je peux très bien me voir marquer en tant que Mbappé ou Giroud, ca dépend qui est aligné sur le terrain ^^.
Pour le reste du sujet, c'est vrai que je ne m'en étais jamais rendu compte en tant que blanc. Pour ce qui est sujets sociétaux actuels (avec la police) par contre, il m'a suffit de passer une soirée avec un groupe avec des origines multi ethniques (principalement maghrébine) à mes 18 ans à la Grande Motte durant une nuit d'été 2007 pour me rendre compte des différences de traitement qu'on peut subir en fonction de la couleur de peau. Ce dont beaucoup de Français (de classe moyenne d'ailleurs, par forcément riche) ignorent, sinon je pense (enfin j'espère) que ça changerait.