Une psy est utile pour n’importe qui
Il y a un peu plus de 74 000 psychothérapeutes en France. 85% sont des femmes. Je vais donc, ici, genrer ce métier au féminin.
N’attends pas d’avoir un trouble psychique
On voit les psychothérapeutes comme des médecins du mental. C’est partiellement vrai, mais c’est également partiellement faux. Et une des différences c’est précisément que la thérapie ne concerne pas uniquement les personnes qui expérimentent un trouble psychique, qu’il soit passager ou chronique.
Bien entendu, si une personne est atteinte de dépression chronique, la nécessité de suivre une psychothérapie est encore plus grande. Mais ça ne veut pas dire que quelqu’un en bonne santé mentale ne doit pas faire de thérapie. Au contraire.
Sans compter qu’on a tendance à ne pas reconnaître les troubles psychiques. J’ai eu plusieurs élèves incapables de reconnaître leur dépression. Il a fallu que je leur suggère. Parfois plusieurs fois.
Chaque année, on estime que 25% des personnes sont atteintes d’un trouble psychique. Étant donné que ce ne sont pas les mêmes 25% chaque année, ça veut dire qu’une grande partie de la population passe par un trouble psychique au cours de sa vie. Le chiffre est difficile à mesurer mais voici une estimation :
64% des Français ont déjà ressenti un trouble ou une souffrance psychique
Sachant que dans cette enquête, 75% des moins de 30 ans ont déclaré avoir déjà ressenti un trouble. Est-ce que les personnes de moins de 30 ans vivent davantage de troubles parce que c’est une génération plus fragiles ? Bien sûr que non. Simplement le tabou sur les troubles psychiques est plus fort chez les personnes plus âgées.
Il est donc probable que le chiffre soit même encore plus haut que 75%.
Mais, de toutes façons, ce n’est pas la question. Ou plutôt ce n’est pas la seule question.
La psychothérapeute peut t’aider à apaiser un trouble psychique, oui. Mais elle peut aussi t’aider à aller mieux en partant d’une bonne santé mentale. Vois ça plutôt comme une coach de sport. Faire du sport n’est pas réservé aux personnes qui ont des problèmes de santé. Au contraire : chaque personne améliore sa santé en faisant du sport (adapté à ses capacités physiques).
Enfin, il faut avoir à l’esprit qu’il est typique de travailler tout autre chose que ce pour quoi on pense venir. C’est si courant que c’est un cliché de la profession.
Il sait ce que savent tous les psychothérapeutes : que le motif de consultation, le problème qui amène quelqu’un à consulter n’est souvent qu’un aspect d’un problème plus grand, quand ce n’est pas carrément une fausse piste.
Il sait que la plupart des gens excellent à trouver des moyens d’écarter ce qu’ils ne veulent pas regarder en face, à recourir à des distractions ou à des défenses pour tenir à bonne distance des sentiments menaçants.
La honte doit changer de camp
La thérapie suscite de curieuses réactions parce qu’à certains égards, elle rappelle la pornographie. L’une et l’autre impliquent une sorte de nudité. Les deux peuvent s’avérer excitantes. Et les deux comptent des millions d’adeptes, dont la plupart ne se vantent pas.
Si des statisticiens ont tenté de déterminer le nombre de gens en thérapie, leurs estimations sont à prendre avec un grain de sel puisque de nombreuses personnes préfèrent taire le fait qu’elles poursuivent une telle démarche.
J’aurais plutôt dit la masturbation que la pornographie, car il y a de vraies raisons systémiques de critiquer la pornographie dans ses conséquences sur les actrices. Mais oui… il y a une honte autour d’une pratique qui est pourtant très courante.
On dit aller voir quelqu’un pudiquement comme si “psy” était un gros mot. Ou alors on dit t’as été voir un professionnel ? Au lieu de dire “psy”. C’est sidérant.
Encore plus en France puisque nous sommes le quatrième pays au monde où les gens vont le plus voir des psys.
J’ai suivi une formation aux premiers secours en santé mentale et j’ai halluciné de voir que, même là, les gens avaient ce tabou. Beaucoup demandaient à la formatrice comment aider quelqu’un sans jamais faire intervenir une psy. D’ailleurs les gens ne disaient pas psy. Ils utilisaient une des périphrases que je viens de citer. Je trouvais ça fou.
Alors qu’il n’y a pas de raison d’avoir honte. Au contraire. Beaucoup de personnes vont voir des psys parce que leur entourage n’y va pas. Beaucoup de personnes ont un travail plus long en thérapie parce que leurs parents n’y sont pas allés.
Pire encore, les femmes portent souvent sur elle la charge mentale d’être la psy de leur conjoint.
On peut donc décider, en conscience, des raisons, des moments et des limites dans lesquelles on accepte de faire bénéficier les autres de nos capacités d’écoute, d’empathie et d’intelligence émotionnelle. Autrement dit, faire la différence entre l’empathie et la soumission. On n’est pas obligées d’être les psys de l’autre, ni le déversoir de leur décharge émotionnelle, comme l’a réalisé Émilie :
« Je pense que le travail à faire, c’est la différence entre l’empathie et la soumission. Et moi, j’ai longtemps cru que j’étais empathique alors qu’en fait j’étais soumise… Mon ex, je lui ai demandé d’aller voir le psy trois mois après le début de notre relation. Il ne voulait pas y aller. J’aurais dû m’arrêter là. Qu’il manque d’empathie, de respect, d’écoute, que ses comportements soient parfois effrayants, qu’il n’arrive pas à gérer sa colère : en fait, tout ça, c’était pas mon taf. »
On devrait donc au contraire célébrer, encourager le fait de prendre le temps d’améliorer sa santé mentale, de la même manière qu’on encourage les gens qui se mettent au sport.
Une personne à qui tout dire
Pourquoi voir une psy alors qu’on a des amis, un·e partenaire ? On vient de le voir : surtout si tu es un homme, il faut te poser la question de la charge psy que porte ta partenaire. Gratuitement. Surtout si tu ne le fais pas en retour.
Quant aux ami·es, on donne rarement toute notre vérité. Dans mon cas par exemple, aucune amie ne m’a déjà vu pleurer. Alors que mes partenaires amoureuses l’ont vu régulièrement.
Mais, surtout, les personnes de ton entourage ont un conflit d’intérêt envers toi et toi aussi. Si jamais tu veux traiter un problème concernant une relation amoureuse… la personne en question ne sera pas neutre. Et, tes ami·es auront tendance à prendre trop parti pour toi.
La psy a cet avantage d’être une personne qui n’a aucune attache envers toi. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est interdit pour les psys de développer une relation amoureuse ou amicale avec leurs patient·es. Cette neutralité est fondamentale pour le travail.
C’est cette neutralité qui va t’inciter à dire la vérité la plus nue, la plus brutale, la plus honteuse. Et, la bonne nouvelle c’est que parfois juste la dire va te soulager du poids. La psychothérapeute va y répondre avec un équilibre entre compassion, silence et franchise. Là où les gens qui nous aiment ont tendance à répondre avec trop de compassion. Ce qui, paradoxalement, peut aggraver le problème.
Enfin, c’est cette neutralité qui va permettre à ta psy de voir des choses avant toi. Parce qu’elle t’écoute vraiment sans avoir des sentiments qui viennent brouiller le tout. Elle peut donc te guider vers des endroits qui sont intéressants mais que tes angles morts t’empêchent de considérer.
L’obligation d’introspection
Au final ce qui m’a le plus impressionné dans la psychothérapie c’est qu’elle impose une introspection à heures régulières. Je pensais que ça aurait peu d’effet sur moi car j’ai plutôt une très bonne santé mentale et une grande faculté d’introspection. Mais là c’est un tout autre niveau.
En fait on revient à l’analogie du coach sportif. Oui, j’étais déjà très sportif mais je pratiquais de manière irrégulière. Je faisais beaucoup d’introspection dans les moments compliqués, et moins dans les moments de calme.
Là, pas le choix, chaque semaine à une heure précise je sais que je vais voir la psy. Du coup je vais devoir faire une introspection de 45 minutes à une heure. Rien que ça c’est énorme. Mais, en plus de ça, le fait de le savoir va m’inciter à en faire beaucoup plus que ça. Toute la semaine je réfléchis à des choses que je veux lui dire en séance.
Bien entendu, comme une coach sportif, elle va te pousser plus ou moins fort. Certaines personnes ne font jamais d’introspection, donc la psy va les aider à juste en faire, d’autres comme moi en font déjà beaucoup et elle va les pousser à faire encore plus. Et surtout à faire mieux car on développe de mauvais réflexes quand on le fait par soi-même.
Au début de leur thérapie, de nombreuses personnes sont plus curieuses à l’égard des autres qu’à leur propre sujet (Pourquoi mon mari fait-il ça ?). Mais dans chaque conversation, nous semons des graines de curiosité, parce que la thérapie ne peut pas aider les gens que leur propre psyché n’intéresse pas. Il peut même m’arriver de dire quelque chose comme : « Ce qui m’étonne, c’est que je semble plus curieuse à votre sujet que vous ne l’êtes vous-même », pour voir comment réagit le patient.
Ce travail d’introspection est fondamental. C’est la raison pour laquelle la psy ne va presque jamais donner son avis. Tu vas parler avec toi-même. Elle va simplement t’aider à le faire.
Au lieu de pousser les gens vers le cœur du problème, nous les guidons pour qu’ils y parviennent eux-mêmes, parce que les vérités les plus fécondes – celles que les gens prennent vraiment au sérieux – sont celles qu’ils découvrent petit à petit par eux-mêmes. La disposition du patient à tolérer l’inconfort, inévitable pour que la démarche porte ses fruits, est une modalité implicite du contrat thérapeutique.
C’est grâce à ce principe qu’on obtient des changements durables. C’est parfois frustrant pour les proches qui vont dire mais ça fait des années que je dis comme ta psy et tu m(écoute pas.
La différence c’est précisément que la psy ne dit pas, elle fait dire. Donc en fait c’est soi-même qu’on écoute, ce qui est bien plus puissant qu’écouter autrui.
Comprendre ses mécanismes
L’idée de la psychothérapie n’est pas de faire de toi une autre personne mais bien d’augmenter la compréhension de toi-même. Encore une fois, elle a un point de vue qui va lui permettre de voir ce que tu ne peux pas voir.
Pour reprendre une boutade célèbre du défunt psychothérapeute John Weakland : « Avant une thérapie réussie, c’est toujours le même problème qui se répète. Après une thérapie réussie, un problème n’attend pas l’autre. »
Je sais que la thérapie ne fera pas disparaître tous mes problèmes, pas plus qu’elle n’empêchera que d’autres surgissent. Elle ne m’inspirera pas toujours non plus des gestes éclairés. Les psychothérapeutes ne font pas de greffe de personnalité ; ils ne font qu’en poncer les arêtes.
Un patient peut devenir moins poreux ou critique à l’égard des événements, plus ouvert et apte à ouvrir son cœur aux autres. Autrement dit, la thérapie vise à comprendre qui l’on est.
Corriger son histoire
Il y a forcément une incohérence dans l’histoire personnelle que tu te racontes. Même si tu n’y crois pas. Moi je n’y croyais pas.
Cependant, une partie du travail nécessite de se « déconnaître », c’est-à-dire de laisser tomber les histoires contraignantes qu’on se raconte à son propre sujet, afin de s’en affranchir et de vivre sa vie plutôt que l’histoire qu’on se racontait à propos de sa vie.
Le pire c’est qu’elle est souvent visible par les autres. Par exemple, j’ai été choqué de voir le nombre de mes proches qui m’ont dit mais c’était super bizarre que tu dises toujours que t’as eu une enfance super heureuse alors que tu calcules pas tes parents.
Et il a fallu 6 mois de thérapie pour que la psy me fasse dire qu’avoir été frappé n’était pas normal. Que non ce n’était pas ce qu’on peut appeler une enfance heureuse.
Alors… on peut se dire que ça fait une belle jambe.
« La clairvoyance est le prix de consolation de la thérapie. »
Mais en fait c’est déjà énorme. Parce que raconter son histoire correctement permet aussi à notre entourage de nous aider correctement. Et, surtout, ça permet à soi-même de s’aider correctement.
Bonus : connaître une bonne psy
L’intérêt indirect c’est que c’est dur de trouver une bonne psy. Comme dans absolument tous les métiers, une grande partie sont nulles. Ou nuls. Ce n’est pas propre à cette profession. Mais c’est vraiment chiant en la matière car une mauvaise psy peut te dégoûter de la psychothérapie. D’ailleurs, la plupart des gens que je connais ont dû essayer entre 2 et 4 psys avant de trouver la bonne.
Du coup, quand on a soi-même une psy dont on reconnaît le talent, on peut la recommander aux autres. Malheureusement on ne peut pas le faire avec les gens trop proches de nous puisqu’il faut qu’elle puisse garder sa neutralité. Mais, par exemple, j’ai envoyé des élèves à moi voir la mienne de toute urgence.
C’est vraiment un soulagement de savoir qu’on peut recommander quelqu’un si un·e proche traverse une crise qui demande d’agir rapidement.
Et, quand il s’agit d’une personne proche c’est aussi pratique de pouvoir demander à sa psy de nous recommander une psy qu’elle-même respecte. Je l’ai aussi fait et ça m’a libéré d’un poids.
Bémol : le prix
Tout ce que je viens de dire évacue la question financière. En réalité c’est un scandale que la sécurité sociale ne prenne pas sérieusement en charge les psychothérapies. Ça crée, du coup, une énorme barrière pour les gens qui ne peuvent pas investir ce budget.
L’idée de ce que j’ai écrit n’est pas de négliger ça mais de dire que ça vaut vraiment vraiment le coup si tu en as les moyens.